Mais qu’est-ce qui arrive à nos héros préférés de séries télé et de cinéma? Je ne sais pas pour vous mais moi, j’ai du mal à me souvenir de la dernière fois que j’ai saigné du nez. Je pense que ça devait être dans la cour de récré de mon école primaire ou peut-être dans celle de mon collège en sixième 3.
Pourtant, sur les écrans, depuis près de quarante ans, le sang n’a jamais cessé de couler. C’était par exemple le cas dans Pacific Rim quand un personnage se connecte mentalement seul à son robot géant, dans L’Effet Papillon quand Ashton Kutcher a trop de blackout successifs, dans la série Smallville quand Chloé connecte son esprit au Cristal Bleu, dans Lost quand les habitants de l’île sont coincés dans un espace temporel intermédiaire, dans Fringe quand un personnage tente de lutter contre un «Observateur» tentant de lire ses pensées ou, plus récemment, dans The OA quand le personnage a des rêves prémonitoires.
Cet afflux est d'autant plus étrange que, pour la majorité des gens, le saignement de nez brutal s’arrête à la puberté. Et il y a une raison assez simple à ça: c’est à ce moment de la vie où l’on arrête de se fourrer les doigts dans le nez à la moindre occasion. Le nez est, en effet, une zone très vascularisée, comprendre qu’il est composé de nombreux petits vaisseaux sanguins, en particulier dans sa partie antérieure appelée «tache vasculaire». Il suffit ainsi d’un petit choc (un doigt indiscret par exemple) pour l’écorcher et faire saigner –en particulier quand l’air est sec. C’est ce qu’on appelle une epistaxis.
Épuisement du trope?
Alors, à moins d’être un gros consommateur de cocaïne, un boxeur, un pilier de bar qui aime un peu trop la bagarre en fin de soirée, un(e) adepte de la chirurgie esthétique, il y a assez peu de chances que vous saignez du nez régulièrement. Certes, il y a aussi la possibilité que vous soyez particulièrement en phase avec vos émotions et, à cause des sautes d’humeur un peu brutales de votre tension artérielle, vous vous mettiez à saigner en embrassant un garçon (comme c’est arrivé à Ariana Grande) ou pendant une pendant une partie de jambe en l’air. Mais là encore, ce sont des cas particuliers et donc plutôt limités. Et surtout plutôt bénins (à part pour votre vie amoureuse). Alors pourquoi constamment saigner du nez et en faire autant un drame?
J’aimerais tous vous scanner dans cette pièce, un à la fois. Je dois vous rappeler que l’expérience de scan est habituellement très douloureuse, pouvant parfois causer des saignements de nez, des otites, des crampes d’estomac et la nausée
Dans la pop culture, le saignement de nez est surtout très présent dans les comic-books et, plus généralement, dans un grand nombre de fictions sur les super-héros. Susan Storm alias La Femme Invisible est notamment victime de saignement de nez quand elle abuse de son pouvoir de création de champs magnétiques, tout comme les quatre héros de Chronicle quand ils abusent de leur pouvoir télékinétique ou les Heroes quand ils tentent de résister au pouvoir de télépathie.
Dans la saison 8 de Scrubs, le Dr Cox a même un saignement de nez en essayant de résister à «un sourire infectieux». Quand un trope est parodié, c’est définitivement la preuve qu’il a probablement été (un peu) trop utilisé.
À se demander si la petite Eleven de la série Stranger Things ne serait pas l’exemple de trop. Douée de pouvoirs de télékinésie, elle est capable, grâce à la puissance de son esprit, de fermer une porte à distance, de vous faire faire pipi dans votre slip, de vous faire voler dans les airs et même de vous briser le cou. Mais à chaque fois qu’elle utilise ce pouvoir, elle saigne du nez. C’est systématique. Dans les cas les plus extrêmes, elle en défaillit même d’épuisement.
Le cerveau qui parle
En fait, les deux créateurs de la série Matt et Ross Duffer utilisent le trope comme ils ont emprunté à E.T. la scène du vélo qui vole, aux Goonies et à Stand By Me la bande de gamins partant à l’aventure, à John Carpenter sa musique ou à Poltergeist sa dimension parallèle. Pour Eleven, ils se servent dans Firestarter, un film de 1984 adapté du roman Charlie de Stephen King, le premier film grand public à utiliser le saignement de nez comme ressort narratif. Drew Barrymore y incarne Charlie McGee, une petite fille qui peut déclencher le feu par la force de son esprit et qui tente d’échapper, avec son père (David Keith) doté du pouvoir de pénétrer les esprits, à une obscure agence gouvernementale qui veut poursuivre des expériences scientifiques sur elle.
«De petites hémorragies cérébrales», écrivait Stephen King dans son roman publié en 1980 pour décrire ce qui se passait dans la tête d’Andy McGee quand il utilise son pouvoir télékinétique. Une expression impossible à retranscrire à l’écran, en tous les cas pas avec les moyens techniques du début des années 1980. Comment, alors, montrer une artère du cerveau en train de se rompre? Mark L. Lester, réalisateur de Firestarter, ira chercher l’inspiration dans un film visionnaire sorti trois ans plus tôt.
«J’aimerais tous vous scanner dans cette pièce, un à la fois. Je dois vous rappeler que l’expérience de scan est habituellement très douloureuse, pouvant parfois causer des saignements de nez, des otites, des crampes d’estomac et la nausée.»
1981. C’était la première fois, de mémoire d’internet, qu’on utilisait ce qui n’était alors qu’une belle invention narrative. Dans Scanners, David Cronenberg mettait en scène un scientifique (Patrick McGoohan) qui tente d’enrayer un mouvement d’hommes et femmes, les Scanners, tentant de contrôler le monde grâce à la télépathie et la télékinésie. Le réalisateur canadien, qui avait déjà exploré le thème de la télépathie dans son moyen métrage Stéréo en 1969, est ainsi le premier à s’être dit que les saignements de nez seraient une excellente manifestation visuelle de la pression exercée sur le cerveau par des pouvoirs invisibles.
D’autant que Cronenberg y poussait son idée jusqu’au bout, les saignements de nez aboutissant, dans les cas les plus extrêmes de «scan» à une explosion de la tête (une image qui lui vaut, chaque jour, les remerciements de millions d’amateurs de GIF #MindBlown).
Excitation sexuelle
Le saignement de nez est alors l’occasion de filmer une image particulièrement spectaculaire qui, dans le même temps, laisse sous-entendre que du sang s’écoule du cerveau, même si tout cela se fait, bien sûr, au mépris de la science médicale, l’hémorragie cérébrale ayant pour principaux symptômes la nausée et les vomissements. Mais après tout, le pouvoir de télékinésie n’est que pseudoscience, malgré les nombreuses personnes l’ayant revendiqué depuis la fin du XIXe siècle. Dans de nombreux cas, il induit littéralement une goutte d'étrangeté dans la normalité. Les réalisateurs jouent de manière décalé de sa banalité pour fabriquer du fantastique.
Dans la réalité, l’excitation sexuelle et les saignements de nez n’ont aucune connection directe
Pourquoi s'embarrasser d'un tel faux semblant de réalisme? Si Hollywood avait fait vomir ses héros au lieu de les faire saigner du nez, la science-fiction moderne aurait été beaucoup plus drôle (et forcément moins crédible et effrayante). D’autant que la grande industrie de l’imagination ne pouvait décemment pas utiliser le vomi, ce dernier étant déjà réservé pour montrer qu’un personnage est hyper-stressé: «J’ai l’estomac qui fait du yo-yo autour de mon trou de balle», disait Nicolas Cage dans Rock pour aller au-delà de la simple démonstration visuelle.
Les mangaka japonais ont d’ailleurs depuis longtemps fait leur deuil de ce réalisme médical, le saignement de nez manifestant visuellement chez eux une force pas du tout invisible, en tous les cas chez les garçons. Dans la culture manga, un nez qui saigne est en effet synonyme d’érection. Et plus le saignement est abondant, plus l’excitation est intense, un puissant jet de sang signifiant carrément une éjaculation.
Bref, c’est l’équivalent de la bonne vieille grimace du «Jizz In My Pants» occidental, celui des Lonely Island ou de American Pie mais en beaucoup plus imaginatif! Et là encore, il n’y a pas franchement d’explications scientifiques comme le rappelait un médecin interrogé par Kotaku:
«Qu’une excitation sexuelle provoque l’augmentation du rythme cardiaque et de la pression artérielle est un fait bien documenté. Cependant, dans la réalité, l’excitation sexuelle et les saignements de nez n’ont aucune connection directe.»
C’est quand même beau la créativité, ce que le cerveau humain est capable d’imaginer. Probable qu’à force de se creuser la tête, ils ont dû en verser des litres de sang tous ces auteurs, scénaristes, dessinateurs et réalisateurs...