Il existe, dans une île du Golfe persique, un endroit nommé «la vallée des étoiles». Un endroit si extraordinairement sculpté par les vents et l’érosion qu’il semble superflu d’y ajouter quoique ce soit pour en faire le théâtre d’une aventure fantastique.
Le réalisateur iranien Mani Haghighi ne va pourtant pas se priver d’y introduire de multiples couches de récits, d’allusions, de mystères.
Des zones d'ombre
Toi, spectateur, si tu exiges que dans un film tout te soit lisible et explicable, passe ton chemin. Pour un Iranien, le film recèle d’immenses, complexes et très délibérées zones d’ombres. Pour un Occidental…
Cette histoire se passe dans les années 1960 et elle se passe aujourd’hui. Elle a lieu dans un monde onirique et dans la réalité, dans l’empire du Shah et de sa sinistre police politique et dans la République islamique actuelle.
Elle se passe dans la mémoire du cinéma iranien, dont Haghighi, petit fils d’une des plus grandes figures fondatrices du cinéma moderne dans on pays, Ebrahim Golestan, vient à l’écran évoquer la mémoire, et dont on voit un extrait d’un de ses films les plus connus, La Brique et le miroir (1965). Et elle se passe dans un rêve de cinéma noir américain stylisé. Elle se situe dans un pays policier, magique, religieux, mystique.
Des flics, des mages, des amoureux, des révolutionnaires clandestins, un chasseur de requins, un géologue et un ingénieur du son, un chameau et un bébé
Elle mobilise des flics, des mages, des amoureux, des révolutionnaires clandestins, un chasseur de requins, un géologue et un ingénieur du son, un chameau et un bébé. La mémoire et l’oubli, une boite au trésor et les traces de l’explorateur et flibustier anglais William Baffin tué par les Portugais sur cette même ile de Qeshm en 1622. Le film se présente comme «d’après une histoire vraie».
Une mise en scène à la fois amusée et inquiète
Sa vérité est en tout cas dans la beauté intrigante des plans, dans l’étrangeté des croyances et des pratiques, dans l’instabilité des systèmes d’explication. Un micro qui s’enfonce dans les failles sismiques, un appareil photo accroché à un nuage de ballons multicolores pour essayer d’apercevoir la trace d’un possible dragon germanophone, un navire échoué en plein désert au milieu d’un cimetière transformé en pouponnière: on n’en finit pas d’énumérer des composants de ce film, sans craindre de le déflorer. Puisque c’est moins l’accumulation d’ingrédients que la manière sensuelle, à la fois amusée et inquiète qu’a la mise en scène de les agencer qui importe ici.
Cinéaste injustement méconnu en France, Mani Haghighi est l’auteur de quatre autres longs métrages, dont deux au moins, Men at Work (2006) et Modest Reception (2012), mériteraient amplement une distribution en salles. Ce sont à chaque fois des paraboles où le réalisme et la fantasmagorie se réagencent en questionnement ouvert, avec une bonne dose d’humour susceptibles de mener droit au tragique.
Se laisser déborder par sa puissance d’invention
Avec Valley of Stars, Haghighi manifeste un talent rare. Non pas tant celui d’une invention plastique et narrative impressionnante –nombreux sont les réalisateurs qui s’y livrent avec des bonheurs variables– mais la capacité à se laisser déborder par cette puissance d’invention.
Le cinéma est trop souvent le jouet de démiurges plus ou moins inspirés. Ici, la véritable force n’est pas dans le contrôle et l’étalage de ces ressources d’imagerie, mais dans le lâcher prise devant ses propres inventions, l’acceptation de rendre à l’interprétation, aux sensations, à la libre association par chacun ce qui a été convoqué sur l’écran –et, de manière très suggestive, sur la bande son.
Là-bas près du Détroit d’Ormuz, dans Dar-reh Setareh la vallée des étoiles, le vent souffle où il veut. Parfois la terre tremble. Les images se forment et se déforment, la terreur politique, le désir amoureux, la mémoire fragile, la science parcellaire, la sensibilité aux présences invisibles se composent et se recomposent. Et cela fait, oui, un beau film.
Valley of Stars
De Mani Haghighi, avec Amir Jadidi, Homayoun Ghanizadeh, Ehsan Goudarzi, Ali Bagheri, Kianna Tajammol.
Durée: 1h58. Sortie le 25 janvier