France

Le jour où la gauche a avoué qu'elle abandonnait la lutte contre le chômage

Temps de lecture : 4 min

Le projet de revenu universel porté par Benoît Hamon est présenté comme l'idée la plus originale de la gauche. Il est aussi l'aveu d'un échec à agir sur les causes des inégalités pour se concentrer sur leurs effets.

Benoît Hamon I STR / AFP
Benoît Hamon I STR / AFP

Au cours du troisième et dernier (il était temps) débat entre les candidats de la primaire de la gauche, Benoît Hamon a été lors d’une séquence l’homme seul contre tous du plateau. À l’exception de Jean-Luc Bennhamias –mais un tel soutien est-il une aubaine?–, le candidat s’est vu attaqué par les principaux concurrents sur sa proposition d’instaurer un revenu universel. Il a, comme disent les experts, polarisé, signe que faute de convaincre tout le monde, il suscite l’intérêt et a la capacité d’amener les débats à tourner autour de sa vision et de ses propositions.

Vincent Peillon, Arnaud Montebourg et Manuel Valls ont mis en avant le coût de la mesure et son caractère irréaliste selon eux. Au-delà du jeu de rôles assez classique entre une gauche «réaliste» et une autre plus volontiers «dépensière», l’ancien Premier ministre a souligné qu’il s’agissait de la question centrale du rapport de la gauche au travail. Ou plutôt à son absence. Car c’est l’implicite du discours en faveur du revenu universel. Voici ce qu’en dit le programme de Benoît Hamon:

«Parce qu’il est trop souvent synonyme de souffrance et de perte de sens, nous voulons refonder notre rapport au travail. Nous défendons un travail choisi et non plus subi, un travail partagé et dont la valeur dépasse la seule contribution au PIB. C’est ainsi que nous répondrons au défi de la raréfaction du travail et de la révolution numérique. Nous voulons en finir avec la précarité, et donner la possibilité à tous de s’émanciper et de s’engager librement dans l’activité qui répond à ses aspirations. C’est pourquoi nous créerons le Revenu Universel d’Existence, protection sociale du XXIe siècle.»

Un mot n’est pas prononcé, c’est le mot «chômage». On lui a préféré la formule atténuée de «raréfaction du travail» mais cela revient au même: la défense du revenu universel acte l’échec de la lutte contre le chômage et, surtout, l’aveu que nous entrons dans le XXIe siècle en abandonnant la partie.

De la douce oisiveté à la honte…

Or, cette mise de côté du problème social numéro un de la fin du siècle qui s'achève a été actée un peu rapidement et en douce. Récemment, j’ai eu l’occasion de relire un classique, La Fin du travail, un ouvrage écrit par l’économiste Jérémy Rifkin en 1995, publié l’année suivante en France avec une préface de Michel Rocard, qui connut alors un grand succès. Le livre a popularisé un thème aujourd’hui omniprésent, celui d’une économie de plus en plus automatisée et numérisée, dans laquelle l’humain sera de moins en moins appelé à jouer un rôle de producteur.

Un passage particulièrement frappant de Rifkin revient sur un des premiers articles de la presse américaine à propos des salariés du tertiaire qui découvrent le chômage à la fin des Trente Glorieuses. Ils passent leurs journées à la médiathèque pour lire le journal en costume, pensant que c’est une question de jours avant qu'ils ne retrouvent un emploi. Puis, ils abandonnent le costume, restent chez eux en veillant à ne pas être repérés par leurs voisins dans cette honteuse oisiveté… pour finalement prendre conscience que le chômage n’est pas un état éphémère mais s’installe comme un état durable sinon permanent pour un nombre croissant d’individus.

Et les causes du chomage?

On mesure le gouffre entre cette époque pas si lointaine et la nôtre au fait que le quotidien d’un chômeur constituait alors «une information» digne d’être racontée dans un grand journal. De nos jours, la sempiternelle courbe du chômage et le commentaire sur ses légères fluctuations se sont installés dans le quotidien médiatique au même titre que la météo ou les résultats de la Ligue 1, sans faire réagir grand monde, sinon pour se féliciter d’une légère baisse de quelques milliers de chômeurs, qu’on a pris soin depuis des années de désigner selon l'expression plus politiquement correcte de «demandeur d’emploi».

Le revenu universel n'est pas la fin du chômage: il en accepte l'inéluctabilité. Il est le moyen de s'en accomoder. Il ne s'agit pas du tout ici d'attaquer le principe du revenu universel, de le discréditer comme un truc de hippies ou une mesure trop chère, mais plutôt de rappeler pourquoi, pour tous les bons arguments qu’il a en sa faveur, ce revenu universel peut difficilement être présenté comme il l’est parfois, sous l’angle d’une manière de regagner du pouvoir sur le marché du travail pour les chômeurs: à l’inverse, il est très précisément conçu pour répondre à la pénurie de ce dernier, dont les causes ne sont guère interrogées dans le débat.

Sans s'aventurer dans les passionnantes considérations philosophiques autour de la mesure, car sur ce point il y a des millions de pages qui vous attendent sur internet (notamment ici et ici) on peut néanmoins rappeler qu’avec le revenu universel, on parle toujours des effets du chômage, ce qui est une très bonne chose, plus rarement de ses causes, ce qui est peut-être la raison de son succès consensuel.

Double renoncement

Comme dispositif de lutte contre la pauvreté, il est une très bonne idée. Comme outil de remise en question de l'organisation de la production et donc de l'inégalité des revenus à la source, il sera moins utile, voire, et c'est le risque, il pourrait aider à entériner l'ordre établi, ainsi qu'à maintenir une structure sociale organisée entre producteurs et «inutiles».

Comme l’a écrit Gérard Horny sur Slate, le revenu universel peut être compris comme un «double renoncement à lutter contre les inégalités et à chercher le plein emploi. Tous ceux qui y voient la possibilité de mener une vie libérée du travail et d’exercer des activités non rémunérées, mais socialement ou culturellement utiles, ont sans doute raison. Mais ne doivent-ils pas craindre que ce soit aussi et peut-être surtout un moyen de régler le problème des gens pour lesquels il n’y a pas d’emplois?»

Newsletters

Jean-Paul Belmondo, professionnel de Roland-Garros

Jean-Paul Belmondo, professionnel de Roland-Garros

L'acteur avait deux amours: le cinéma et le sport. Fan de boxe, cofondateur du PSG, le comédien mort le 6 septembre 2021 à l'âge de 88 ans ne manquait presque jamais une édition de Roland-Garros. Dans les dernières années de sa vie, c'est l'un des...

Lu Shaye, l'ambassadeur qui prouve que la diplomatie chinoise passe à l'offensive

Lu Shaye, l'ambassadeur qui prouve que la diplomatie chinoise passe à l'offensive

Les remous provoqués par ce «loup guerrier», qui a insulté un chercheur français sur Twitter, s'inscrivent dans un cadre plus large.

VGE, président du cool trente ans avant Obama

VGE, président du cool trente ans avant Obama

Valéry Giscard d'Estaing est mort ce mercredi 2 décembre à l'âge de 94 ans. Tout au long de sa vie politique, l'ancien président de la République n'aura cessé de tenter de se construire une image d'homme moderne, en rupture avec les chefs d'État...

Podcasts Grands Formats Séries
Slate Studio