Économie

Claude Allègre: nous ne manquerons pas de pétrole

Temps de lecture : 4 min

La consommation de pétrole pourrait baisser bien avant que ne diminuent les capacités de production.

La question des réserves de pétrole qui existent dans le sous-sol de la Terre est une question essentielle quant à l'avenir de la Planète et dont la réponse est très difficile. D'abord, parce que en ce qui concerne les gisements prouvés et exploités, il est difficile de savoir la quantité qui reste effectivement encore dans le sous-sol.

Certes, lorsqu'il s'agit de gisement sous contrôle des grandes compagnies internationales (Exxon, BP, Shell, Total etc...), ces dernières sont astreintes à déclarer honnêtement les réserves. On a vu avec la crise qui a secoué Shell il y a quelques années, et s'est soldée par le départ de son Président, que pour des raisons boursières les compagnies ont tendance à annoncer une surestimation des réserves. Mais aujourd'hui avec l'activité vigilante des médias spécialisés, des contrôleurs de la Bourse, on peut considérer que les déclarations des compagnies sont fiables. Mais ceci ne représente qu'une partie des réserves. Lorsque les gisements sont sous le contrôle des sociétés nationales le black-out sur les réserves est total. Or, il s'agit de Aramco (Arabie Saoudite), Pemex (Mexique), Petrobras (Bresil) et des compagnies russes. Excusez du peu et je ne parle pas de l'Iran ou de la Chine. Là il s'agit plus d'estimations pifométriques que de données précises et fiables.

Sur ces bases incertaines et compte tenu du fait que nous savons tous que les réserves s'épuiseront un jour, des spécialistes, suivant en cela le concept inventé par King Hubbert un ancien géophysicien américain ont parlé de «peak oil» c'est-à-dire du maximum historique d'exploitations, la production serait ensuite condamnée à descendre.

À partir de cet exercice pour spécialiste, le peak oil se situerait pour les pessimistes vers 2030 pour les optimistes vers 2060. Or, ces estimations ne tiennent pas compte de deux contributions essentielles :

1°) La découverte de nouvelles réserves de pétrole classiques. Or, ces découvertes s'avèrent beaucoup plus importantes qu'on le pensait. Les deux exemples qu'on cite volontiers sont «l'offshore» brésilien et «l'onshore» sibérien.

Dans chacun des cas, il y a des réserves qui pourraient être d'une richesse «moyen orientale». Bien sûr ces gisements n'entreront en exploitation que dans cinq ans.

2°) Les huiles non classiques. On a coutume de les classer en deux catégories qu'il ne faut pas confondre: les sables bitumineux (tar sands) et les schistes bitumineux. Les premiers concernent le Canada en premier lieu l'Alberta, le Venezuela et la Russie. Les seconds concernent d'abord les Etats-Unis. Pour les sables bitumineux, une exploitation intensive s'est déclenchée lorsque le baril de pétrole dépassait les 100 dollars.

Elle s'est arrêtée lorsqu'il est tombé à 30 dollars. Elle ne reprend pas alors qu'il va vers les 80 dollars. Pourquoi? L'exploitation telle qu'elle a été menée au Canada en particulier a constitué un scandale absolu pour l'environnement. Usage excessif d'énergie, d'eau et surtout rejet dans les lacs et rivières de boues organiques qui détruisent toute forme de vie. Le gouvernement canadien envisage très sérieusement si ce n'est d'interdire tout au moins de taxer très lourdement ce type d'exploitation. Sauf découverte technologique majeure pour fluidifier le bitume pâteux qui imprègne la roche poreuse et rendre l'exploitation plus «propre», il y a tout lieu de penser que l'activité ne va pas reprendre de sitôt.

Pour ce qui est des schistes bitumineux à l'inverse a eu lieu une heureuse surprise, alors qu'on pensait que l'exploitation serait difficile et coûteuse un véritable miracle s'est produit. On a découvert qu'une partie importante de la matière organique était contenue dans de petites vésicules gazeuses. Une simple fracturation hydraulique - c'est-à-dire une injection de fluide jusqu'à fracturer la roche - permettait de libérer et de récupérer ce gaz. Cette source représente aujourd'hui un pourcentage non négligeable de l'énergie consommée aux Etats-Unis et son importance va croître avec des réserves considérables.

Les réserves de pétrole sont donc probablement plus substantielles que prévues.

D'un autre côté, alors que la crise s'estompe doucement la demande n'augmente pas beaucoup. Certes, le prix du baril augmente et va dépasser 80 dollars mais c'est pour une part importante dû à une spéculation y comprise sur le dollar.

Lorsqu'on examine la cause de cette reprise lente, on constate que l'idée d'économie d'énergie fait son chemin en Amérique ou la consommation de pétrole ne cesse de baisser mais aussi dans les grands pays émergents comme la Chine ou l'Inde. Pour la production d'électricité, le charbon ne cesse de prendre de l'importance. Pour les véhicules, ceux de taille petite ou moyenne prennent le pas sur les traditionnelles «stations-wagons» et autres 4X4, enfin les dépense de chauffage tendent partout à diminuer. Cette évolution est telle que certains experts parlent aujourd'hui non plus du «pic de pétrole» mais d'un pic de la demande qui ne serait pas éloigné de la consommation actuelle. Certains envisagent qu'à compter de 2020 la demande mondiale va se stabiliser ou même diminuer, allongeant du même coup la durée de vie des réserves qui pourraient atteindre le milieu du siècle prochain.

Voilà une perspective nouvelle qui petit à petit émerge de la sortie de crise. Vrai ou faux? Comme pour le climat, «la prédiction est difficile surtout lorsqu'il s'agit de l'avenir» (Niels Bohr).

Claude Allègre

Lire également: La malédiction du pétrole.

Image de Une: Vue aérienne de la plateforme offshore norvégienne Oseberg Scanpix Scanpix / Reuters

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