Deliveroo, Foodora, Nestor, Uber Eats... Ils n’ont rien inventé. Les dabbawalas, des livreurs à pied et à vélo, desservent chaque jour les dédales de la gigantesque ville indienne de Bombay. Depuis 125 ans, pour la modique somme de 800 roupies (environ 11 euros), les indiens peuvent se faire livrer leur repas sur leur lieu de travail.
En début de matinée, les dabbawalas collectent les «lunch box» de leurs clients, pour les leur livrer quelques heures après. Ici, pas de plats de restaurants mais des repas fait-maison. Et pas d’application, seulement un service basé sur la confiance.
«Nous connaissons [notre dabbawala] depuis si longtemps que nous savons qu’il va faire un bon travail», explique une cliente.
Toute la qualité de ce service à l’ancienne repose sur une organisation millimétrée. Une étude de 2010 réalisée par la Harvard Business School a classé ce sytème de livraison «Six Stigma», signifiant que les dabbawalas font moins de 2,4 erreurs par million de transactions. Pour résumer, avec 200.000 clients à livrer chaque jour, seulement 400 livraisons de repas sont retardées ou manquantes en une année.
La ponctualité est cruciale dans l’organisation, et pour ce faire, des délais supérieurs au temps de livraison sont toujours prévus, pour permettre aux dabbawalas d’improviser, si une lunchbox manque ou si le trafic est trop dense. Un second livreur est toujours laissé sur le banc de touche pour pouvoir rentrer en action si un dabbawala est retardé.
La Silicon Valley s'inspire des livreurs de lunchbox indiens
Les start-up américaines regardent de très près l’organisation quasi infaillible de ces systèmes de livraison non informatisés. Pour pouvoir réussir en Inde, ces applications doivent s’inspirer du fonctionnement des dabbawalas. Même si le pays est en train de prendre un virage où les nouvelles technologies s’imposent peu à peu, il y a plus important qu’un design attrayant et que des prix au rabais. La construction d’un business plan solide et d’une chaîne d’approvisionnement adaptée à la structure de la ville doivent primer.
Le co-fondateur et PDG de l’application Runnr confie d’ailleurs avoir demandé leur expertise. Il embauche même certains dabbawalas pour sa start-up de livraison de repas à domicile. Mais difficile de faire de l'ombre à ces réseaux qui se sont forgés sur la confiance, donnant au métier de dabbawala une forme de prestige. Surtout que cette main d’oeuvre non qualifiée est décemment rémunèrée (environ 12.000 roupies par mois, soit 165 euros).
Toutefois, certains pensent à moderniser les dabbawalas, via une application pour rentabiliser les trajets. Mais beaucoup s’y opposent, ou jugent le projet impossible à cause de la part de spiritualité presque intrinqèque au métier. Les livreurs appartiennent presque exclusivement à la communauté Vakari, qui adore le dieu hindou Vithala, dont l’enseignement est que le don de nourriture est l’une des meilleures choses que l’on puisse faire. «Nous avons une chance en or de marcher sur le chemin de la spiritualité tout en gagnant notre pain», explique Subodh Sangle, coordinateur des dabbawalas de Bombay. S’ils venaient à utiliser les nouvelles technologies, ceux-ci risqueraient ainsi de perdre tout ce qui fait leur singularité.