France

Jean-Marie Colombani: la mauvaise gouvernance mine le sarkozysme

Temps de lecture : 5 min

A trop vouloir tout diriger et contrôler, Nicolas Sarkozy se prive du bénéfice de réformes importantes.

Seul François Mitterrand avait fait moins bien! Lorsque l'on regarde le baromètre de confiance de l'IFOP pour le Journal Du Dimanche et que l'on compare la cote des présidents à mi mandat, Nicolas Sarkozy ne brille pas: il termine avant dernier de la liste avec seulement 36% de confiance. François Mitterrand, lui, était tombé sous la barre des 30%.

Cela ne signifie rien pour l'avenir bien sûr; mais cela donne une photographie du recul du président dans l'opinion, de l'agacement, voire de la crispation qu'il provoque désormais dans une partie de l'opinion. Faut-il mettre en cause les réformes? François Mitterrand avait un jour, à tort -c'était à propos de la Bosnie- proclamé qu'il ne voulait pas «ajouter la guerre à la guerre». Nicolas Sarkozy, lui, n'hésite pas à ajouter la réforme à la réforme. C'est une volonté délibérée bien sûr chez un président, qui veut rester comme celui qui aura réussi à réformer et moderniser le pays; et qui voudrait, au fond, correspondre aux compliments que fait de lui Michel Rocard, savoir «un président innovant, et parfois courageux».

Cela lui complique aussi la tâche, comme on le voit avec la réforme territoriale qui souffre, entre autres, de la superposition des chapitres qui ont été ouverts à cette occasion, pêle-mêle: l'organisation politico-administrative, mais aussi la suppression de la taxe professionnelle, sans oublier un éventuel changement du mode de scrutin et la réduction de moitié du nombre des élus territoriaux. Mais, en cette matière, il est bien trop tôt pour juger, d'une part de la réalité concrète des réformes engagées ou proclamées et, d'autre part, de leur adéquation avec les besoins du pays. Ce débat-là aura lieu, vraisemblablement, à l'occasion de la prochaine élection présidentielle. Trop tôt pour évaluer vraiment l'impact des réformes. Mais bien assez tôt pour apprécier la bonne ou la mauvaise gouvernance. Et c'est peut être là que le bât blesse. En tous cas, il y a dans l'opinion la perception d'une gouvernance imparfaite, voire d'une mauvaise gouvernance; certainement, un système qui énerve une partie du pays.

Nicolas Sarkozy est en victime d'une contradiction qu'il a contribué à créer. Si l'on regarde deux des grandes réformes institutionnelles qui portent d'ores et déjà sa marque, à savoir la loi sur la représentativité syndicale et la réforme constitutionnelle, on se dit que ce sont là des avancées démocratiques incontestables. Et que l'une et l'autre, dès lors qu'elles seraient appliquées, renforcent le poids, pour l'une, des corps intermédiaires que sont les syndicats, pour l'autre, des parlementaires. Et l'on voit que l'application de ces deux réformes oblige désormais tout gouvernement, qui voudrait par exemple modifier le code du travail, à élaborer toutes réformes en concertation avec les syndicats; de même que tout gouvernement, et tout président, doit, ou en tous cas devra, compter avec un rééquilibrage des pouvoirs au bénéfice des députés et des sénateurs.

S'agissant de l'inspirateur de ces réformes, on pourrait penser qu'il n'a plus qu'une hâte: les voir appliquer. Et c'est là que la contradiction est éclatante: Nicolas Sarkozy exerce le pouvoir sans partage, n'entend pas le partager, et affirme haut et fort qu'il n'entend pas non plus s'embarrasser du point de vue des parlementaires. Quand il ne part pas en guerre contre les élus locaux... Ainsi, à trop vouloir tout diriger et tout contrôler, il crée les conditions d'une crispation qui affecte d'abord les parlementaires et, parmi ces derniers, les siens, et il se prive du bénéfice qu'il aurait du retirer de l'application de ces réformes.

A l'expérience, il faudra bien sûr nuancer. Prenons l'exemple de la taxe professionnelle. Le leitmotiv est de dire: je ne reculerai pas. Mais personne ne conteste vraiment la suppression de cet impôt jugé naguère «imbécile» par François Mitterrand. En revanche, tout le monde est désorienté par l'improvisation qui semble avoir suivi la décision du président. Résultat: les parlementaires, y compris de l'opposition, sont invités maintenant à amender, à participer à la mise sur pieds du système qui succèdera à la taxe professionnelle. Mais entre temps, l'opposition aura eu beau jeu de dénoncer, ici une tentative de recentralisation, là une tentation populiste sur le dos d'élus locaux réputés dispendieux (quand l'Etat ne le serait pas...). Au reste, l'inquiétude et la critique sont d'abord venues des rangs mêmes de la majorité, à travers les protestations de deux anciens premiers ministres Alain Juppé et Jean-Pierre Raffarin.

De tout cela, que retenir à ce stade? Que nous assistons peut-être à la mort de l'une des institutions clés de la Vè République, à savoir le poste de Premier ministre. L'actuel titulaire de la charge, François Fillon, semble d'ailleurs parfois résigné; à moins qu'il ne songe à se protéger, laissant le président prendre les coups qu'il appelle de ses vœux. En tous cas, cet effacement du rôle de chef du gouvernement comporte en lui même deux dangers visibles. Celui de ralentir la machine administrative et celui de priver le président d'un instrument de dialogue.

Dans le système français en effet, les pouvoirs sur et de l'administration sont à Matignon. Et s'il n'y a pas une application permanente à ce niveau pour suivre la mise en application des réformes, celles-ci peuvent très bien s'enliser dans les dédales d'un système qui comporte sa propre force d'inertie; c'est aussi à Matignon que doit se faire le dialogue permanent entre les différents pôles de pouvoir d'une majorité. Or chacun, désormais, qu'il soit ministre ou député, s'est résigné à l'idée qu'il faut attendre le verdict présidentiel. Sur tout sujet et en toute circonstance. Si bien que les parlementaires ont cessé de considérer les ministres; et les occasions de crispation se multiplient.

On devrait en avoir prochainement une nouvelle illustration: alors que le chef de l'Etat voudrait introduire, pour les prochaines consultations territoriales, un mode de scrutin à un tour, nombre d'élus de droite veulent rester fidèles à un mode de scrutin à deux tours.

Pour autant, chacun le sait, Nicolas Sarkozy ne semble guère décidé à changer de méthode. Il se rassure le plus souvent en constatant que, dans la vie politique, la relativité tient une plus grande part que l'absolu: l'action d'un pouvoir en elle-même est une chose, la réaction de l'opposition en est une autre. Et, de ce point de vue, sa réponse est de travailler assidûment au maintien de la dispersion des forces d'opposition.

On le sait, l'absence d'alternative visible et de leadership affirmé à gauche est pour le moment son meilleur atout. C'est à cette aune qu'il faut regarder la réactivation par Nicolas Sarkozy de son célèbre triptyque -sécurité-immigration-fiscalité- grâce auquel il espère remobiliser son électorat. A charge, pour la gauche, de ne pas tomber dans les pièges qui lui sont ainsi tendus...

Jean-Marie Colombani

A lire également sur le même sujet: Ve ou VIe république, Nicolas Sarkozy va devoir choisir et Pourquoi la méthode Sarkozy ne fonctionne plus.

Image de Une: Nicolas Sarkozy Reuters

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