Pour le qualifier, il choisit quatre mots américains qui claquent entre ses dents. «This is the man», lance comme un slogan Benoît Hamon quand on lui demande de nous décrire Ali Rabeh, proche de longue date. Lui qui a été son bras droit au parti socialiste, son directeur de campagne aux législatives de 2012, son chef de cabinet à l'Économie sociale et solidaire, son conseiller spécial quand il était ministre à l'éducation nationale: c'est l'homme qu'il faut avoir dans son équipe. «Je vous le dis, vous le verrez loin, très loin», se félicite le candidat à la primaire de la gauche, l'index levé fermement au ciel.
Ali Rabeh met sa veste en cuir et enfourche sa moto.
De Trappes, dans les Yvelines, circonscription de Benoît Hamon où il a été élu aux municipales de 2014 à la jeunesse et aux sports, il disait en mars dernier à Patrice Ribero, secrétaire général de Synergie-officier, un syndicat de policiers classé à droite: «Non, ma ville n'est pas Molenbeek». Parce qu'au sud de Paris, Trappes fait l'objet de beaucoup de fantasmes. Valeurs actuelles qualifie la ville de «poudrière islamiste». Ali Rabeh, lui, en est tombé amoureux.
En 2012, quand il est appelé au cabinet de Benoît Hamon à Bercy, il choisit de rester dans cette ville qui ne fait pas rêver. Il aurait pu s'offrir le luxe d'être du bon côté du périphérique, mais ce serait renier ses valeurs. Frank Underwood, le politicien cynique de la série House of cards? Son antithèse. La politique, pour Ali Rabeh, c'est un moyen, pas une fin. «Quand on est élu, on devient assistante sociale», explique celui qui faisait passer des dossiers individuels au ministre pour défendre une association ou une famille en détresse:
«Tous les députés vivent ça, mais à Trappes, c'est tous les jours».
Le paquebot de Bercy, les ors de la rue Grenelle, il n'est pas né pour, même s'il a «l'engagement dans le sang» selon un proche, Mathieu Hanotin, aujourd'hui directeur de campagne de Benoît Hamon. Un père ouvrier chez Peugeot, une mère au foyer. Tous deux sont marocains, arrivés en France dans les années 60. A la maison, trainent quelques tracts syndicaux et la voix d'Anne Sinclair sur TF1, époque Sept sur Sept.
Le choc 21 avril
Le 21 avril 2002, Ali Rabeh a 17 ans et demi, il n'a pas pu voter. L'accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de l'élection présidentielle va l'envoyer à Paris pour sa première manifestation contre «une salissure sur la République». Triste, il a la certitude qu'aucun manifestant ne se déplacera si Marine Le Pen se qualifie en 2017.
A la sortie d'un cours de maths à l'université, où il préparait un diplôme d'informatique avant de se réorienter vers un master de sciences politiques, une étudiante lui tend un tract de l'UNEF et lui propose d'assister à une assemblée générale. «Le virus de l'engagement me prend, ça m'a réveillé».
Il milite beaucoup. De toute façon, c'est plus à l'UNEF et au Mouvement des Jeunes Socialistes que sur les bancs de la fac qu'Ali Rabeh s'est formé. Depuis, il a fait du porte à porte sa méthode, celle qui lui permet de voir «les gens». «Il y a une appréhension de certains militants pour le porte à porte. Mais c'est très excitant!».
En 2003, au moment de la réforme de Luc Ferry, qui voulait décentraliser et affecter aux collectivités territoriales 100.000 postes non enseignants de l'éducation nationale, Ali Rabeh milite presque à temps plein. C'est à cette époque qu'il rencontre Mathieu Hanotin. Ensemble, ils remobilisent la fédération de Saint-Quentin en Yvelines qui est alors «moribonde», selon les termes du député de Seine Saint-Denis. Aujourd'hui, William Martin, le président de l'UNEF vient de Saint-Quentin.
Il faut dire qu'à l'époque, la politique de Dominique de Villepin les aide. Face à la réforme du Contrat Première Embauche, plus d'un million de jeunes sont dans la rue. L'engagement d'Ali Rabeh a payé, la réforme est abandonnée. Et lui en sort victorieux. Début 2006, il prend la tête des MJS dans le département. En 2011, à un an de la présidentielle, alors que Dominique Strauss-Kahn fait la Une de tous les journaux, Ali Rabeh accède à des responsabilités nationales. Il devient le bras droit du porte-parole du PS: Benoît Hamon.
«Offensif dans la défense»
Le revenu universel, la reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle, c'est Hamon qui a mis ces idées sur le devant de la scène!
Ali Rabeh
A Trappes, dans sa circonscription, la permanence de Benoît Hamon fait face à une école élémentaire rénovée et à une ancienne mairie décrépie transformée en commissariat de police. Ali Rabeh revient en permanence sur son mentor en campagne, fait son éloge. Benoît Hamon réussit à être «offensif dans la défense». Alors que le pays croit la politique impuissante, il voit son candidat comme le plus à même de faire bouger les lignes: «Le revenu universel, la reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle, c'est Hamon qui a mis ces idées sur le devant de la scène!».
Quand on lui demande si la promotion du revenu universel n'est pas démagogique, Ali Rabeh ne tient plus: «Non! Proposer cela, c'est prendre des risques alors qu'il y a une inflation de discours qui prônent de faire des économies». Ali Rabeh n'a pas assez de compliments: il parle de «l'étoffe» du candidat, d'un homme qui n'est pas «un énarque formaté», de quelqu'un qui a «résisté» à Macron ou au lobbying du syndicat du patronat, le MEDEF.
Mais à 32 ans, Ali Rabeh sait aussi donner des coups. Jean Vincent Placé, Emmanuelle Cosse? «C'est pas possible de vendre son âme comme eux». Montebourg? «Il veut se voir en homme providentiel» alors qu'Ali Rabeh veut soutenir un projet et non une ambition personnelle. «Si les gens sont si déçus de Hollande, c'est parce qu'ils ont investi dans l'homme et pas dans le projet», glisse-t-il.
La gauche décomplexée
Pourtant, il croit la conciliation possible entre les déçus du hollandisme. A l'entendre, il suffirait que de Pierre Laurent à Benoît Hamon, les candidats à gauche de François Hollande s'enferment et travaillent à un programme commun pendant une semaine pour se mettre d'accord sur un projet de synthèse. Leur opposition ne serait pas plus épaisse «qu'une feuille de papier à cigarette». Ali Rabeh croit au rassemblement, à «la gauche décomplexée», répond-il en écho au slogan de Jean-François Copé.
Officiellement, Ali Rabeh s'occupe de la «mobilisation dans les départements». Officieusement, il est très actif tour Montparnasse, au QG du candidat. Ses conseils sont précieux à Benoît Hamon. Et à Trappes, comme dans le reste de la France, il toque aux portes, claque des bises, serre des mains, anime des réunions publiques.
Ali Rabeh, «a une forte matrice idéologique, une lecture politique du monde», explique Catherine Joly, directrice adjointe du ministère de l'économie sociale et solidaire, en 2012, quand Benoît Hamon était aux commandes. L'énarque apprécie la capacité de son ancien boss à s'entourer de personnalités hors cadres. «Ali, c'est quelqu'un qui ne prendra jamais la forme d'un moule, c'est un homme de convictions», explique-t-elle. D'ailleurs, Benoît Hamon l'avait annoncé dès le départ: «Je ne veux pas un cabinet de technocrates interchangeables», disait-il quand la gauche est arrivée aux commandes du pays. Le candidat à la primaire, ou «la Belle alliance populaire», n'attend pas d'un collaborateur qu'il soit tout le temps d'accord avec lui.: «C'est me respecter que me dire que ça déconne».
Pas un problème pour Ali Rabeh. «Keep cool», lui conseille d'ailleurs l'ancien ministre, selon qui l'exigence de son collaborateur, envers lui-même et les autres, conduit à être cassant. La rigueur peut vite se transformer en maniaquerie. «Si des affiches au mur ne sont pas parfaitement alignées, ça ne va pas», dit l'assistant parlementaire de Benoît Hamon, Arnaud Resteghini, en vérifiant un mur d'affiches façon pop art. Ali Rabeh, «c'est le Sherlock Holmes de la politique».
L'horloger de la rue Grenelle
En cas de crise, savoir faire vite et bien, c'est un métier. Arnaud Resteghini se souvient de la communication après les attentats du 13 novembre. L'équipe était sous l'eau. Il fallait organiser une communication efficace, chaque élu doit connaître la position de l'ancien ministre. En une journée, en bon horloger, Ali Rabeh a réussi à mettre de l'huile dans les rouages et à structurer le travail à faire entre les élus à appeler, les éléments de langage à produire, le parlement réuni en congrès de Versailles.
Ali Rabeh veut être rapide. D'ailleurs, le mandat de Benoît Hamon à l'éducation nationale n'a duré que 147 jours. A peine le temps de faire passer la réforme des rythmes scolaires et la mise en chantier d'une réforme de l'évaluation des élèves, exit l'ABCD de l'égalité. Dans le bureau Maupassant qu'il occupait, Ali Rabeh n'a jamais déposé ses affaires. Sur son bureau, pas de photos. «L'expérience d'un cabinet, c'est comme une campagne, ça dure six mois». Et pas tellement le temps de s'y préparer, de se mettre en jambe, ni de dormir.
A cette époque, Ali Rabeh fait des nuits de trois ou quatre heures. Quand il arrive rue de Grenelle où il ne connaît finalement pas grand chose de cette machine qui emploie près d'un million de professeurs, Benoît Hamon reçoit un «dossier ministre», un genre de manuel. Et là, «on bouffe de la note sans arrêt pendant 15 jours», se souvient Ali Rabeh. Et tout ça, histoire de ne pas faire la même bourde que Myriam El Khomri au micro de Jean-Jacques Bourdin. Trois mois après son arrivée au ministère du Travail, l'animateur vedette de RMC demande à la ministre le nombre de renouvellements possibles d'un CDD, ce à quoi n'arrive pas à répondre l'auteure de la loi Travail.
Ce genre d'erreurs, il ne pourrait pas laisser passer. En campagne comme au ministère, c'est justement le travail d'Ali Rabeh de déminer le terrain. C'est lui qui assure l'intendance de la maison. Mais sa mission reste avant tout le lien avec le territoire: préparer les visites, mobiliser et coordonner les militants. Dans la circonscription, un tiers des soutiens à Benoît Hamon ne viennent pas du PS et certains voteraient bien Ali Rabeh en 2017.
Certains peuvent croire qu'étant issu de l'immigration, vous ne jouerez jamais un rôle de premier plan
Ali Rabeh
Cette popularité, elle n'était pas acquise. A Trappes aussi, quand on n'est pas blanc, prendre des responsabilités est un combat. Les attaques basses viennent des opposants politiques mais aussi de son propre camp. «Certains peuvent croire qu'étant issu de l'immigration, vous ne jouerez jamais un rôle de premier plan», analyse l'élu de Trappes. Il y a huit ans, quand il briguait la tête de la section socialiste, on lui a rapporté des propos d'une élue de premier rang: «Les arabes vont prendre la section». Alors, «on redouble d'effort, d'ailleurs, j'ai gagné la bataille avec 70 % des voix», se souvient-il. Il n'a jamais pardonné.
Prendre et donner des coups politiques, ça va quand on a 32 ans. Ali Rabeh n'a pas encore d'enfants, mais des projets de famille. Quand il le faudra, il dit être prêt à lever le pied et ne pas devenir un professionnel de la politique. Travailler dans une association, ce serait l'occasion de servir une cause, de se sentir utile. Son mentor lui, «espère le convaincre de continuer à travailler avec (lui)». Mais à la question «Vous président, quel ministère donnez-vous à Ali Rabeh?», Benoît Hamon sort son plus grand sourire «Je ne peux pas répondre à cette question». Ali Rabeh ira loin, très loin mais ce n'est pas un homme pour les projecteurs, on le voit plus à l'aise à chuchoter à l'oreille des candidats.
Cet article fait partie d'une série consacrée aux proches des candidats à l'élection présidentielle rédigée par les étudiants de l'école de journalisme de Sciences Po.