L'once d'or a commencé ce mois de mars en petite forme. Cotée le lundi 2 au matin à 949,50 $ à Londres, elle est revenue à 937,25 $ dans l'après-midi. Elle a repris momentanément le chemin de la hausse sur le marché américain, après l'annonce d'une perte proche de 100 milliards de dollars de l'assureur AIG en 2008 et d'une nouvelle aide massive de l'Etat fédéral, avant de retomber sous les 930 $ mardi 3. Mais ces péripéties sont anecdotiques: après avoir enregistré un cours moyen de 872 $ en 2008, en hausse de 25 % sur la moyenne 2007, l'once est bien partie pour enregistrer une bonne année 2009, après s'être déjà hissée à 989,75 $ le 24 février.
Est-ce vraiment étonnant ? Oui, si l'on considère que l'or est d'abord un refuge contre l'inflation. La hausse de l'once paraissait parfaitement normale jusqu'au milieu de 2008, alors que le cours du baril de pétrole s'approchait de 150 $ et que les indices de prix s'envolaient : 4,4 % en glissement annuel en juillet dans la zone euro, 5,6 % aux Etats-Unis et même 2,3 % au Japon, qui se croyait enfin sorti de la déflation. Mais, en quelques mois, la situation a totalement changé : avec la récession le baril de pétrole se négocie autour de 40 $ ; en janvier, la hausse annuelle de l'indice des prix à la consommation est tombée à zéro aussi bien aux Etats-Unis qu'au Japon et juste au-dessus de 1 % dans la zone euro.
On n'achète plus de l'or aujourd'hui pour se protéger contre l'inflation. Sa progression ne s'explique pas non plus par le traditionnel mouvement de balancier avec le dollar : le billet vert est au contraire bien orienté face à la plupart des monnaies.
Alors, pourquoi les investisseurs se ruent-ils pour acheter des parts de fonds investis en or ? Pourquoi des gens sérieux comme les responsables de la stratégie de placement de la banque suisse Pictet conseillent-ils de rester investi sur le métal précieux à hauteur d'environ 6 % de son portefeuille, ce qui est énorme compte tenu de la place de l'or sur les marchés financiers mondiaux ?
Le raisonnement tenu par ces derniers est très clair : à l'horizon de quelques mois ou quelques trimestres, l'or risque de souffrir, car la baisse des taux d'intérêt et les plans de relance, notamment ceux adoptés par les Etats-Unis et la Chine, devraient permettre de stabiliser temporairement la situation économique. Mais, ensuite on se retrouvera face au processus de désendettement général du secteur privé, très loin d'être terminé, et à l'absence de relais de croissance. Que peut-il se passer alors ?
Le premier scénario envisagé est celui de l'inflation. Elle permettrait de résorber en douceur le problème de la dette et les banques centrales pourraient être contraintes de la tolérer. Ce scénario serait évidemment favorable à l'or. Le second, celui de la dépression, ne le serait pas moins : l'incapacité à remettre le système de crédit en état de marche finirait par miner la confiance envers l'économie américaine et mondiale et à peser sur le dollar.
En somme pour que l'or soit un placement miracle il faut que le monde se trouve dans une situation telle qu'il n'y aurait à l'horizon des prochaines années pas d'autre solution que la peste ou le choléra. Et dans cette situation de crise qui ne pourrait déboucher que sur des scénarios politiques et sociaux extrêmes, l'or jouerait son rôle de valeur refuge. Le plus stupide et le plus stérile des placements (quelle est l'utilité économique d'un lingot dans un coffre fort ?) ne trouve en fait sa justification que dans la faiblesse des autres.
Pourtant, la partie n'est pas jouée. Le grand retour de l'inflation ne paraît pas le plus probable : on voit mal comment pourrait se déclencher dans un avenir prévisible une spirale à la hausse prix -salaires dans un contexte de capacités de production sous-utilisées et de chômage en hausse. Le risque d'une incapacité à résoudre le problème de la dette paraît plus sérieux. Les investisseurs boursiers s'inquiètent d'une éventuelle nationalisation des principaux établissements financiers américains. Ils ont tort. C'est ainsi que l'histoire se terminera, de façon plus ou moins franchement assumée ; tergiverser ne fait que prolonger la crise, renforcer le sentiment d'insécurité et encourager l'épargne à aller là où elle est la moins utile.
Gérard Horny