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Les «éboueurs» de Facebook finissent souvent traumatisés

Temps de lecture : 2 min

En Allemagne, les employés en charge de la modération des contenus ont confié anonymement leur désarroi face à leur tâche.

Facebook | bykst via Pixabay CC License by
Facebook | bykst via Pixabay CC License by

Dans le jargon, on les appelle ça de la modération de contenus. Mais ceux qui s'y sont frottés préfèrent parler de «ramassage des ordures numériques», précise l'hebdomadaire SZ Magazin, qui a publié en décembre 2016 une longue enquête sur le quotidien des employés chargés de modérer les contenus indésirables qui pullulent sur Facebook. L'article, qui se base sur de nombreux témoignages anonymes recueillis auprès de salariés et d'ex-salariés d'une entreprise allemande qui fait de la sous-traitance pour le géant américain, est disponible en ligne ici.

Les employés de l'entreprise Arvato, filiale du groupe Bertelsmann, n'apprennent le nom de leur client prestigieux et en quoi consistera exactement leur travail que le jour de leur embauche, et sont tenus par contrat de ne divulguer aucune information relative à leur mission. Car Facebook, malgré les pressions, continue de garder secrètes ses règles de modération, sous le prétexte que les rendre publiques aiderait les internautes à mieux les contourner.

«Au début, on faisait encore des blagues»

Au terme d'une formation express de deux semaines au cours de laquelle leur est enseignée la politique de modération du géant américain, les employés sont lâchés dans les ténèbres du web 2.0, tenus qu'ils sont de regarder à la chaîne les contenus signalés comme indésirables par les utilisateurs du réseau social et à trier ces déchets numériques: photos de cadavres, de pénis érigés en gros plan, d'animaux torturés, vidéos d'agressions sexuelles, de mise à mort...

«Au début, on faisait encore des blagues pendant la pause de midi au sujet des nombreux pornos qu'on devait regarder. Mais au bout d'un moment on est devenus de plus en plus abattus», raconte un témoin.

Un autre ajoute: «Il arrive encore et toujours que les gens bondissent de leur siège. Partent en courant. S'effondrent en larmes.»

«Je ne peux plus partager une intimité avec mon partenaire»

Plusieurs témoins rapportent être poursuivis par les images qui les ont traumatisés, comme cet homme:

«Il y a une vidéo que je n'arrive pas à me sortir de la tête: une femme en chaussures à talon piétine un chaton dans une vidéo fétichiste. Je ne pensais pas que les gens sont capables de ce genre de choses.»

Ou le témoignage de cette femme:

«Depuis que j'ai vu du porno avec des enfants, je pourrais devenir bonne sœur. Le sexe, c'est fini. Je ne peux plus partager une intimité avec mon partenaire depuis plus d'un an. Dès qu'il me touche, je commence à trembler.»

À défaut d'un psychologue, l'entreprise emploie une assistante sociale à laquelle les employés peuvent s'adresser et qui anime des séances collectives auxquelles aucune des personnes interviewées par le SZ Magazin n'a participé, par peur d'évoquer leurs problèmes en présence des autres. Une ancienne employée raconte qu'elle n'a d'ailleurs jamais réussi à obtenir un rendez-vous individuel auprès d'elle, malgré plusieurs demandes.

«Tu peux démissionner»

Pire, un témoin rapporte que quand il a voulu s'ouvrir du malaise que provoquait chez lui le visionnage intensif de ces images à sa chef d'équipe, celle-ci lui aurait répondu:

«Si ce boulot ne te convient pas, tu peux démissionner.»

Interviewée par l'hebdomadaire Der Spiegel, la direction d'Arvato a démenti les dires des témoins, arguant que l'entreprise mettait des médecins d'entreprise et des psychologues à disposition de ses employés. Une porte-parole de Facebook a également déclaré que la firme américaine «rejett[e] formellement le reproche selon lequel nous ne occuperions pas assez des employés de notre partenaire en Allemagne».

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