Pour préparer leur série «Pigalle, la nuit», lundi soir sur Canal+, Hervé Hadmar et Marc Herpoux (Les Oubliés) se sont immergés au cœur du célèbre quartier parisien. Ils racontent leur expérience.
Hervé Hadmar a eu l'idée de la série après la diffusion des Oubliés, en novembre 2007: «Je voulais parler de Pigalle, du quartier, se souvient. Je ne savais pas ce que j'allais raconter, mais l'arène à elle seule m'inspirait. Avec Marc, on y est allé boire un verre. On connaissait, comme deux types qui ont vécu un jour à Paris, qui y sont passé, mais sans plus. Là, j'ai senti immédiatement un truc. J'ai vu des personnages, partout. Des personnages extraordinaires. J'ai compris que le lieu ne tient pas sa richesse de sa géographie, mais de ses habitants. Qui sont-ils? Comment sont-ils arrivés là? Comment vivent-ils?»
«Notre ambition de départ, c'était de faire une œuvre chorale, le Magnolia de Pigalle, une histoire de destins croisés, celle de la faune hétéroclite du quartier, poursuit Marc Herpoux. Ce qui nous a intéressé, c'est l'aspect multiethnique, nulti-sexuelle, multi-tout de ceux qui vivent dans le quartier. On y a aussi trouvé un thème qui nous est cher, la nécessité qu'a la société contemporaine de se créer ses propres mythes. Tout le monde a un fantasme de Pigalle. Le gars de Rennes a son fantasme. Celui de Hong-Kong aussi. L'Américain dira peut-être «Moulin Rouge», mais à la fin c'est la même chose: le sexe, la musique, la nuit...»
La peur du cliché
«Notre peur, c'était de rester dans le fantasme, le cliché qui nous avait dans un premier temps attiré. Il fallait évidemment en donner un peu au téléspectateur, mais tout en faisant en sorte qu'il y croit, que la ville soit crédible, réaliste autour du fantasme», explique Herpoux. «On a demandé à la production de nous louer un appartement à Pigalle, poursuit Hervé Hadmar. Il fallait qu'on dépasse notre propre fantasme, et qu'on vive pour de bon dans le quartier. On s'est installé dans un deux-pièces situé juste derrière la Cigale. C'est là qu'on a construit la série, qu'on a passé les huit premiers mois de notre travail. Les murs de l'appartement étaient couverts de post-it, de fiches de personnages, et on inventait notre histoire au cœur de Pigalle. Ça nous a permis d'être dans son magma, dans ses bruits. La nuit, quand j'y dormais, j'ai capté toute une musique, des cris, des klaxons, les booms booms de la musique. Ça ne s'arrête jamais.»
«Il y a eu une première phase d'observation du quartier, enchaîne-t-il. On s'est posé dans les bistros, on est entré dans les restaurants, les sex-shops, dans certains endroits assez glauques comme l'Atlas, le dernier cinéma porno de Paris, etc. Les gens m'ont rapidement dit: si tu veux voir Pigalle, va à l'Atlas. J'y suis donc allé. Je rentre. C'est une salle, plongée dans l'obscurité. A ma gauche, un travelo en train de se sauter deux mecs. Et dans la salle, d'autres travelos, qui font le tour des spectateurs. Et il était dix heures du matin. Je suis aussi allé dans un labyrinthe de cabine de projection de films pornos. Un enchaînement de 200 cabines avec des types qui se branlent dedans... »
Nos personnages
«Un jour, nous étions assis à la terrasse d'un café quand, sous nos yeux, au beau milieu de la chaussée, une fille — la trentaine, plutôt propre sur elle — s'est accroupie et a uriné. Et personne ne s'arrêtait! Là je me dis: voilà notre série! Qui est-elle? Pourquoi fait-elle ça? Est-elle shootée? C'est ce décalage-là qui nous a intéressé. Il a fallu créer des personnages. Nous les avons trouvés dans le quartier : un patron de sex-shop, il y en a plein, une pharmacienne, etc. On s'est placé au centre de la place Pigalle, et on a fait le tour : le Sexodrome, l'Omnibus, la pharmacie, et on a mis des personnages là-dedans. L'histoire s'inscrit dans la vraie topographie du quartier. »
«On a commencé à rencontrer des gens. Au Folie's, on a discuté avec une danseuse, qui est devenue Fleur à l'écran, un des personnages clefs de la série. Une avocate de formation, mais qui aimait tellement le sexe qu'elle avait besoin de faire l'amour quatre ou cinq fois par jour, si bien qu'elle avait choisi d'en faire son boulot... pour le moment. On ne sait pas la vérité qui se cache derrière le récit de sa vie, mais on n'a jamais cherché à juger les gens. C'est leur humanité qui nous attirait. Un autre jour, nous étions à la terrasse de l'Omnibus, et un vieux black était assis devant nous. Nous ne connaissions rien de lui, nous lui avons donc imaginé une histoire, sur le pouce, en l'observant, pour en faire un des personnages de la série, Max (incarné par le saxophoniste Archie Shepp, ndlr.) Il y avait presque trop de personnages. Il a fallu faire le tri.»
La réalité de Pigalle
«L'histoire de Pigalle, c'est un peu la nôtre: un type arrive de l'extérieur du quartier et le découvre petit à petit, reprend Marc Herpoux. En l'occurrence, Thomas, le personnage de Jalil Lespert, cherche sa sœur, une strip-teaseuse qui se volatilise dans le premier épisode. Voilà notre point de départ. Ensuite, il a fallu asseoir la réalité économique de Pigalle. Nous avons donc créé le personnage de Nadir, patron de sex-shop et de club, qui doit faire face à l'arrivée de la concurrence russe. Autour de ces deux intrigues, tous les personnages vont devoir faire le même choix, entre le mythe et la réalité de Pigalle. Max, vieux black qui passe ses nuits dans les cafés, est en plein dans le mythe. Nadir, lui, homme d'affaire, est dans sa réalité la plus crue.»
«Nous avons tout tourné en 35mn, ce qui nous a permis de chopper la réalité de Pigalle avec une précision rare à la télé, sans avoir trop d'éclairage artificiel, avec une équipe légère, explique Hervé Hadmar. Notre séjour a marqué l'esthétique de la série. On est à Pigalle, on y plonge, au milieu de la foule, des lumières, des bruits, etc.... mais disons qu'on a légèrement amélioré les choses. Quand on regarde la série, on a envie d'emménager à Pigalle, surtout la nuit. On a triché. Un peu. Un type a passé le tournage à arroser les trottoirs pour que les néons se reflètent sur le sol...»
«Le Pigalle où on a vécu, à la longue, peut sembler triste, glauque, avoue Marc Herpoux. Il y a beaucoup de gueules cassées, de gens paumés. C'est intéressant un temps, mais huit heures de séries dans ce ton, c'est déprimant. Il y a un moment où on est obligé de souligner le rêve et le fantasme, les couleurs de Pigalle. Il ne fallait pas laisser la réalité brute, crue, envahir la totalité de la série.» «On a quitté Pigalle presque un an après le début de notre réflexion, conclut Hervé Hadmar. Il fallait prendre nos distances avec le quartier et écrire notre histoire avec le souvenir de Pigalle, pas forcément en étant dans Pigalle.»
Pierre Langlais
Images: © Tibo & Anouchka / Lincoln TV / CANAL +