Il paraît que Manuel Valls fait rire ses adversaires, quand il justifie l’utilisation de l’article 49.3 de la constitution pour soutenir la loi Travail, adoptée sans vote à l’assemblée par cette ruse juridique. «On m’a imposé le 49.3», a-t-il dit jeudi soir sur France 2, et les lazzis entourent ce «Virenque de la politique» qui brutalisait le Parlement à l’insu de son plein gré.
Le rire est l’impropre de la politique et les guignolades abrutissent la dialectique. Disons donc ceci: Valls a parfaitement raison. Il convient de préciser ses termes et de compléter son raisonnement. «On» est un con, apprend-on en école de journalisme, tant il faut éliminer ce terme imprécis. «On» est une réalité. Valls, par effet de système, de passion, de logique politique, s’est retrouvé utilisateur du 49.3. Le saupoudrer de blagues ou de farine est un dérivatif qui ne vaut pas mieux que ses évitements.
Lui blâme les frondeurs, ces opposants internes au Parti socialiste qui auraient empêché l’adoption de la loi dans un vote ordinaire. Il a raison encore. C’est parce que des socialistes, contre la tradition et la discipline partisane, refusaient de se soumettre au gouvernement, arrogants et minoritaires, que le pouvoir fut contraint à arbitrer entre deux mauvais choix: s’humilier ou humilier le parlement. Se suicider, politiquement, ou brutaliser la démocratie. C’était une situation de fait, liée aux faiblesses d’un gouvernement minoritaire et d’un président inapte à imposer l’unité de son camp.
Le brouillard hollandais
Amputé des écologistes, ayant chassé ses ministres de gauche Filipetti, Hamon et Montebourg, Valls a gouverné sans majorité à partir de l’été 2014. Ses textes clivants en pâtirent, la loi Macron d’abord, la loi Travail ensuite, autour de l’inversion des normes sociales, du travail du dimanche, et autres curseur symboliques. Ressentis ou présentés, sincèrement ou par prétextes, comme des textes de reniement, ils étaient bloqués par les frondeurs, sauf à être dépouillés de leur logique même. Le 49.3 en découla. Les socialistes réglaient, au détriment du Parlement, les guerres idéologiques qu’ils n’avaient pas su conclure, avant d’accéder au pouvoir dans le brouillard hollandais.
Dans ces crises, le pouvoir expliqua aussi bien l’importance de ses textes que leur inocuité, oscillant entre un «il faut le faire» et des «mais pourquoi s’énerver ainsi», négociant des apaisements avec les centristes ou la CFDT, montrant à la fois ses muscles et patte blanche, et en terminant dans la brutalité des faibles. Valls était d’autant plus martial qu’il ne maîtrisait rien, sinon le 49.3 de la fin. Il fustigeait l’irresponsabilité des irréductibles et les gauches irréconciliables. Il n’avait pas tort. Un pan des socialistes le considérait comme un social-libéral à saboter, principiellement. François Hollande le soutenait en ménageant un avenir virtuel. Au temps où il y aurait pu quelque chose, à la tête du PS, il avait renoncé aux clarifications politiques. Il n’avait aucune autorité pour imposer sa ligne à des dissidents qui le récusaient. Les moulinets de Valls comme les chatteries présidentielles étaient vains. La droite et le centre n’allaient pas soutenir des projets qui auraient pu aller dans leur sens, trop heureux de démontrer l’impéritie socialiste.
C’est arrivé. Si «on» a imposé le 49.3 à Valls, c’est un «on» collectif. On est le nom du socialisme encalminé, d’une démocratie aux clivages outrés, des fatigues collectives, des postures et des vexations.
On est le nom de François Hollande, le jour où ses synthèses proverbiales sont devenues une plaisanterie à la face du pays. On est le nom de Valls lui-même, qui prétendait moderniser sous le joug un parti qu’il n’aurait su convaincre. On est le nom des dissidents, fier-à-bras du blocage, mais trop prudents pour quitter le parti nourricier ou censurer le terrible Valls.
Il est amusant d’entendre les acteurs de cette aventure protester de leur unité et de leur bonne volonté dans la primaire, et piquant de savoir que Valls soutiendra Hamon s’il est désigné, et réciproquement. Embrassons-nous Folleville! Le socialisme est labichien.
Pardon. On a souri encore, et ironisé. Tout ceci est pourtant sérieux. Car il faut poursuivre, et encore donner raison à Valls quand il veut abroger le 49.3. Qu’importe son retournement! Donnons-lui raison sans lui donner crédit?
Ils font semblant
Cet alinéa est pervers et avilissant. Il stipule qu’un gouvernement n’a pas le droit d’être battu, sauf à provoquer le courage de l’Assemblée qui le renverserait dans une motion de censure. Il est un chantage permanent à l’apocalypse. Se coucher ou provoquer une crise de régime, ou faire semblant. Ils font semblant. Les motions de censure sont battues et les textes passent. Les pouvoirs sont intouchables. Les députés sont irresponsables. Rien n’est la faute de personne. La base même du parlementarisme et de la vie en société, la négociation et le compromis fructueux, sont rendus vains et inopérants. On n’admet pas que le parlementarisme, comme la vie, suppose des échecs, et aussi des textes refusés. On vit dans une excitation de fin du monde pour des vétilles. C’est une folie.
On a vu le 49.3 être utilisé par commodité, pour chasser l’obstruction parlementaire: le pouvoir est alors majestueux tel un lion agacé dispersant les mouches. L’opposition n’est pas une mouche.
On a vu le 49.3 être utilisé par survie, par des gouvernements sans majorité. Un gouvernement ne devrait pas exister sans majorité.
Dans les années 1978-1981, le gouvernement minoritaire de Raymond Barre, l’utilisait contre une partie rétive de la droite. Le RPR gaulliste de Chirac sapait le giscardisme sans renverser le gouvernement. C’était odieux. Dans les années 88-91, le gouvernement minoritaire de Michel Rocard surfait entre les communistes et les centristes et godillait ses textes, et pariait que les droites et les rouges ne s’allieraient pas pour le censurer. C’était rusé. Entre 2014 et 2016, le gouvernement minoritaire de Manuel Valls a perdu ses nerfs contre des socialistes qui lui déniaient sa légitimité, mais n’a pas su pour autant s’allier aux centres de bonne volonté, eux-mêmes verrouillés par leurs contremaîtres. C’était étouffant.
Ni Barre, ni Rocard, qui pourtant accomplit une œuvre dans ses ruses, ni Valls, n’auraient dû gouverner. Il eut fallu, depuis longtemps, qu’apprennent à s'entendre sur des objectifs limités et précis des partis constituant, fermement, au vu de l’opinion, des majorités. Il faudrait, enfin, que nos politiques assument, non pas leurs glorioles, mais leurs opinions, et prennent les idéologies au sérieux, et, les prenant au sérieux, les confrontent. Il ne s’agit pas tant d’abroger le 49.3 que de retrouver la palabre et d’abdiquer la posture, et de renier la superbe. Non pas mimer la modestie et la conciliation, mais la vivre. Il faudra un temps. «On» proclame ou ricane ou campe sur ses refus et sa brutalité, se vante de sa faiblesse et jacte de peur avant de ronronner. «On» est moins un con qu’un salaud, pour ce qu’il nous fait, pour ce qu’il se fait.