Nicolas Sarkozy ne récupérera pas Camus, et les idées de l'écrivain ne seront pas trahies. Hors de question. C'est ce que clame le fils de l'auteur de l'Etranger, Jean Camus; ce que clame aussi Jean Daniel, ami de longue date du penseur; ce que clame enfin Olivier Todd, son biographe.
Le président, en plein débat sur l'identité nationale, voudrait faire entrer Albert Camus au panthéon en 2010, pour le cinquantenaire de sa mort, alors que tout, dans l'oeuvre de l'écrivain, allait contre ce type d'honneur. Jean Camus estime qu'une telle décision serait un «contresens» sur la vie de son père. Il craint une «récupération» par le chef de l'Etat, selon le quotidien Le Monde.
Albert Camus, penseur de gauche qui a toujours refusé les chapelles littéraires et intellectuelles, fustigé par les existentialistes comme par la droite, mais qui a toujours eu raison contre Sartre, libertaire pied-noir, élevé par une mère illettrée sous le soleil algérien, il ne se sentait pas à l'aise parmi les intellectuels parisiens. Il ne le serait sans doute pas dans l'arène panthéonique, coincé entre un Victor Hugo heureux de sa personne, et un Malraux à qui il avait soufflé le Nobel en 1957. (PDF)
Jean Daniel déclarait le 21 novembre au Monde: «Le caractère écrasant de la consécration me paraît contraire aux notions que Camus a approfondies. Pour moi, Camus c'est l'auteur de l'Homme révolté, l'héroïsme de la mesure. Je ne vois pas le Panthéon glorifiant l'héroïsme de la mesure.» Vendredi matin, le biographe de Camus Olivier Todd (qui expliquait dans le Monde du 20 novembre toute l'actualité de la pensée de Camus) déclarait sur France Inter qu'il espérait que la famille refuserait l'entrée des cendres au Panthéon.
Sarkozy et les intellectuels
Le président de la République a toujours voulu récupérer les intellectuels, que leur pensée ait, ou non quelque chose à voir avec sa politique. Sa façon de citer Jaurès et de se réclamer de son héritage, d'intégrer Blum à ses discours, de s'allier, pendant les présidentielles, des cercles passés à droite depuis longtemps, mais dont les liens lointains à la gauche sonnent encore comme des perfidies: André Glucksmann, Max Gallo, Pascal Bruckner; ses déjeuners avec Pierre Nora, Jean-Marie Rouart, le patron de la revue «Débat» Marcel Gauchet; Nicolas Sarkozy a toujours voulu s'approprier les grands hommes et les intellectuels, il s'y essaie encore aujourd'hui avec Albert Camus.
La fille de l'écrivain est désemparée: «Je ne sais pas, a-t-elle avoué sur France Inter. C'est quelqu'un qui essayait de parler pour tous ceux qui n'avaient pas la parole. De ce point de vue là, c'est un beau symbole».
«C'est une question qui me dépasse. Je me sens très petite. J'admire ceux qui ont une idée plus arrêtée. Moi je n'ai que doutes. Je pense que je suis vraiment dépassée par cela. Je pense à tous ceux qui sont de la même origine que mon père, c'est-à-dire très pauvre, et à ma grand-mère qui était femme de ménage. Peut-être que c'est un hommage qui lui est aussi rendu à elle, que de ce point de vue là, c'est aussi peut-être un symbole pour tous ceux pour qui la vie est très dure»
Catherine Camus rappelle que l'on ne se souvient pas qui a fait entrer Malraux ou Zola au Panthéon; on ne se souviendra probablement pas que Nicolas Sarkozy y a fait entrer Camus, mais on ne se souviendra peut-être pas non plus que tout dans sa pensée appelait davantage à un repos modeste.
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Image de une: Albert Camus, wikimedia CC.