Le retour de Robert Pattinson sur les écrans va probablement virer à l'hystérie collective, mais à l'inverse d'un Pitt, d'un Clooney ou même d'un Di Caprio, ce n'est pas tant l'acteur qui fascine les foules, que son personnage. Edward Cullen, le vampire à l'image d'une génération érotico-efféminée, catalyse les ingrédients du phénomène Twilight.
Alors oui, des vampires, on en a fréquenté beaucoup. De Bram Stoker à Murnau, de Une nuit en enfer à Entretien avec un vampire, de Buffy à True Blood, les buveurs de sang humain réapparaissent régulièrement dans notre production fictionnelle. Mais Twilight est une fiction aux allures de piège social : un exutoire orchestré pour les adulescents du XXIème siècle, derrière lequel semble se cacher un retour à l'ordre moral et religieux.
Le teen-vampire
Edward Cullen a 17 ans et l'adolescence le distingue de ses semblables, Dracula et autres Nosferatu. Si la figure du vampire a toujours véhiculé une forte charge érotique, le personnage d'Edward Cullen place la corrélation vampirisme/sexualité à un niveau quasiment physiologique, car l'adolescence est la dernière phase de maturité sexuelle avant l'âge adulte. Quel est le lien entre vampirisme et puberté ? A priori aucun. Si ce n'est que le développement des caractères sexuels primaires et secondaires déclenche chez l'adolescent le désir de s'accoupler. Et que le vampire se caractérise par un violent désir de s'abreuver de sang. En outre, la puberté chez la fille correspond à l'apparition des premières règles. Or, c'est le sang de Bella qui attise le désir du vampire. Le sang dans Twilight, à la fois boisson nourricière et œstrus, fonctionnerait donc comme un signal animal (la femelle est fécondable/la petite fille est devenue femme).
«La sexualité apparaît avant l'aptitude à l'assumer», affirme le psychanalyste Donald Winnicott*. Chez l'adolescent comme chez le vampire, le désir est donc source de souffrance. Le désir de s'abreuver du sang de Bella met Edward Cullen au supplice; de même que la puberté provoque chez l'adolescent une révolution hormonale qu'il faut apprendre à maîtriser. L'adolescence qui caractérise ce vampire contemporain a donc une incidence sur la structure narrative du film Twilight dont l'enjeu tient en une question: comment contrôler la pulsion sexuelle enfin libérée?
Dès le titre de ce deuxième opus, en un mot, tout est dit. Tentation: le désir sexuel menace l'équilibre de l'individu. L'objet de la tentation est volontairement flou dans le film; on ne sait jamais si Edward Cullen est travaillé par le désir d'embrasser Bella ou de la mordre. Son appétit sexuel menace constamment de dériver en désir de meurtre. Selon Enest Jones**, «dans la superstition du vampire, il est évident que la simple idée d'un baiser d'amour nocif, capable d'aspirer le fluide vital, implique de façon plus complexe d'autres formes de sexualité perverses, qui font appel à un mélange de sadisme et de haine. Quand les aspects plus normaux de la sexualité sont réprimés, la tendance consiste toujours à régresser à des formes de sexualités antérieures, parmi lesquelles le sadisme. Et c'est la forme de sadisme la plus archaïque, le sadisme oral, qui joue un rôle si important dans la croyance du vampire».
Du sadisme au masochisme, du désir de meurtre à la tentation du suicide, il n'y a qu'un pas, que le deuxième opus de Twilight franchit aisément. Le suicide, avec, en toile de fond, le mythe de Roméo et Juliette, est le fil rouge du récit. A travers le personnage de Bella, Twilight, chapitre 2 explore le mal-être adolescent, dans toutes ses manifestations pathologiques (angoisse d'abandon, mélancolie, mutisme, comportement suicidaire). Dès lors l'esthétique fantastique du film, menée tambours battant à grands coups d'effet spéciaux, résonne comme une résurgence des terreurs enfantines.
Le religieux refoulé
Twilight opère un retournement des valeurs mythiques: le vampire bourreau a été transformé en vampire victime. Tout d'abord, Edward Cullen est un gentil vampire qui a appris à se nourrir de sang animal, pour remplacer le sang humain. Voilà qui alimente la théorie moraliste du contrôle des pulsions. Mais en se contentant d'un sang de substitution, le vampire vit dans la frustration perpétuelle. Et cette frustration est source de douleur. (Robert Pattinson est d'ailleurs passé maître dans l'art d'exprimer la souffrance physique par des mimiques érotiques. C'est probablement ce qui le rend aussi populaire). A chaque fois qu'Edward s'approche d'un peu trop près de Bella, nous assistons à une scène d'auto-torture.
Masochisme glorifié par l'auteur, puisque c'est justement la capacité du personnage à supporter ses souffrances qui en fait un héros. Un ingrédient inédit dans la mythologie vampirique: le vampire prend plaisir à souffrir. «Le vampire humanisé, mais humain trop humain, symbole de nos vices, de nos imperfections et de notre ambiguïté, n'est-il pas devenu un bouc émissaire?», s'interroge Jean Marigny, dans son essai Le vampire dans la littérature du XXe siècle.
Comme cela a déjà beaucoup été dit, Stephenie Meyer, l'auteur de Twilight, est de confession mormone. Or, le personnage central de la théologie mormone est Jésus-Christ. Entre Jésus et Edward, même combat: ce sont deux personnages de victimes sacrificielles. Leurs points communs sont légion. L'une des scènes finales de Tentation, évoque la crucifixion: un Edward torse nu, la peau diaphane scintillant au soleil, s'apprête à offrir son corps en sacrifice aux humains, tandis qu'une procession de figurants fait référence au Calvaire. La privation de sang humain enduré par le vampire décline la tradition catholique de l'eucharistie. Dans les deux cas, on célèbre un sacrifice. Jésus donne son sang pour sauver les hommes («Buvez, ceci est mon sang»), Edward se prive de sang, pour sauver Bella. Le fantasme planétaire dont Pattinson est l'objet tiendrait donc à son rôle de vampire maso?
L'érotisme de l'abstinence
Au début de Twilight Chapitre 2, un incident extérieur déclenche le départ d'Edward : Jasper, son frère, ne parvient pas à se maîtriser et tente de mordre Bella. Il s'agit là d'un transfert que le spectateur rétablit inconsciemment : Edward lui-même est incapable de contrôler plus longtemps son désir. Le désir est donc présenté comme dangereux. Non seulement il ne doit pas être satisfait, mais encore, il doit être refoulé. Edward abandonne Bella en ces termes: «Tu ne me reverras plus. Je ne reviendrai pas. Poursuis ta vie, ce sera comme si je n'avais jamais existé.» (Les spectatrices qui s'attendent à se repaître de Pattinson pendant 2 heures en seront pour leur frais. L'acteur n'apparaît pas plus de 15 minutes à l'écran. Elles se trouveront donc dans le même état que Bella: condamnées à l'abstinence visuelle).
Stephenie Meyer affirme qu'un rêve est à l'origine de l'écriture du roman. Or, le deuxième volet de la tétralogie est rythmé par de nombreuses scènes de rêves/cauchemars. L'ensemble du film fonctionne d'ailleurs sur un schéma onirique: le réalisateur nous donne à voir un retour du refoulé. Le désir insatisfait ne disparaît pas; il se transforme en frustration, puis en symptômes pathologiques. Après le départ d'Edward, Bella sombre dans la dépression. On la voit souffrir successivement de cauchemars, d'hallucinations et d'un sentiment de perte de la réalité. Pour sortir de la maladie, elle doit trouver un exutoire à son désir sexuel. De refoulé, le désir doit être exprimé. Elle reporte donc son attirance sur un autre personnage masculin: Jacob, son meilleur ami. Mais la force de la narration meyerienne consiste à répéter le schéma à l'identique: quand Jacob prend conscience de son désir, il se transforme en loup-garou et rejette Bella, par peur de ses propres pulsions agressives.
«Si Dracula est une métaphore des peurs engendrées par la société victorienne, Edward Cullen est une métaphore des doutes éprouvés par les adolescents modernes», affirme Estelle Valls de Gomis, auteur de Le vampire au fil des siècles. Twilight mettrait donc en image la crainte latente de tous les adolescents, qui voient leur corps se métamorphoser sous la pression hormonale : le désir est-il en train de les changer en monstres?
«Je ne suis plus un gentil garçon», avoue Jacob à Bella. «J'ai promis de ne pas te faire de mal et c'est pour tenir cette promesse que je te quitte». Jacob ne succombera donc pas non plus à son désir, puisque la sexualité est clairement définie comme étant Le Mal. On en compte plus dans Twilight les scènes de lèvres qui se rapprochent et de baisers manqués. Ce n'est pas tant la qualité médiocre du film qui retient l'attention du spectateur, que cette tension sexuelle, simultanément douloureuse et agréable, sans cesse réitérée et jamais assouvie.
Mais la philosophie de l'abstinence prônée par Twilight n'est pas à prendre au sens d'ascétisme. Elle permet plutôt la représentation d'un désir perpétuel. En bonnes consommatrices que nous sommes, nous savons bien qu'un désir satisfait n'a plus de valeur et que la satisfaction ne nous comble pas. Paradoxalement, pour éprouver la jouissance, il faudrait donc ne jamais se satisfaire. L'idée n'est pas nouvelle (malheureusement Alexandre Jardin l'a déjà exploitée dans Fanfan), mais alliée à la figure mythique du vampire, elle prend une dimension universelle. Si le désir est l'apanage du vivant, alors l'immortalité du vampire s'expliquerait par son désir éternellement inassouvi.
L'inversion des genres
La sexualité interdite, voici donc le mythe des temps modernes. A l'ère du tout pornographique, les aspirations des consommateurs se tournent vers une forme de religion réactualisée. Le retour à l'ordre moral semble venir combler un besoin collectif, que les institutions ne prennent plus en charge. Avec Twilight, on s'achète à moindres frais une table de la loi sexuelle. Et ces commandements correspondent mieux que ceux de l'Eglise à la nouvelle organisation générique de la société: la frontière entre féminin et le masculin se fait de moins en moins sensible. La recette du phénomène Twilight compte donc encore un ingrédient: le renversement des genres. Le héros imberbe, maquillé de rouge à lèvre rouge s'inscrit logiquement dans le cycle chronologique des vampires littéraires. Anne Rice avait déjà féminisé la figure du vampire maléfique en faisant de Lestat, le héros d'Entretien avec un vampire, un personnage homosexuel. Stephenie Meyer va plus loin en laissant flotter Edward Cullen dans l'ambiguïté. « S'il est efféminé, analyse Estelle Valls de Gomis, c'est probablement parce que l'adolescence est une période où on se cherche, en particulier sexuellement. Dans le monde du Je veux tout et tout de suite dans lequel nous vivons, cela le rend peut-être aussi plus distant, moins facilement accessible. Et puis l'androgynie a toujours été quelque chose d'attirant: regardez les personnages que se créait David Bowie par exemple».
En contrepoint, l'héroïne se masculinise. Dans ce Chapitre 2, Bella met sa vie en danger pour récupérer Edward et prend des risques typiquement masculins: conduire une moto, sauter d'une falaise. Les comportements des protagonistes sont également inversés par rapport à l'ordre fictionnel classique. C'est l'homme qui fuit la sexualité, et la femme qui insiste pour satisfaire son désir. Le rôle du vampire abstinent illustrerait peut-être alors un mal du siècle: l'angoisse d'une identification sexuelle impossible.
Francesca Serra
* Donald Winnicott. De la pédiatrie à la psychanalyse, Éd. Payot, Coll. "Sciences de l'homme"
** Ernest Jones. Le cauchemar, Ed. Payot-Rivages
*** Jean Marigny Le vampire dans la littérature du XXème siècle , Ed. Honoré Champion
**** Le vampire au fil des siècles : enquête autour d'un mythe, Ed Cheminements.
Image de Une : Extrait du film Twilight