La messe n'est pas encore dite. Et le drame peut réserver encore bien des surprises. A l'occasion de la mise en vente de T&D, la filiale de transmission et de distribution d'électricité d'Areva, Anne Lauvergeon, la présidente du directoire du spécialiste français du nucléaire remportera-t-elle une nouvelle victoire ou au contraire doit-elle déjà se préparer à battre en retraite en limitant au mieux les dégâts?
Le jeu reste encore ouvert entre les trois offres de rachat déposées sur la table pour T&D par le tandem Alstom-Schneider, l'Américain General Elecric et le Japonais Toshiba.
La présidente d'Areva a mille raisons de faire de l'échec de l'offre franco-française d'Alstom-Schneider une question à la fois stratégique et d'honneur. Le constat selon lequel, dans ce grand match, l'offre Alstom-Schneider sur T&D n'est pas la meilleure, ni sur le plan financier, ni sur le plan social, va objectivement dans le sens de sa cause. Que cette offre échoue et cela reviendra à infliger un cuisant camouflet à Patrick Kron, à la tête d'Alstom, et son actionnaire Martin Bouygues, qui tous deux critiquent avec virulence depuis des mois la gestion de la dirigeante d'Areva.
Raison de plus pour les concurrents GE et Toshiba de faire feu de tout bois pour démontrer la légimité de leur offre et leur engagement de garder à T&D son ancrage français.
Une proie plus comestible
Si le scénario proposé par l'un ou l'autre groupe étranger était finalement retenu, l'apparente victoire d'Anne Lauvergeon n'en risquerait pas moins d'être une victoire à la Pyrrhus. Déjà, les 4 milliards et quelques récupérés de la vente de T&D seront loin de suffire pour remettre d'aplomb Areva. L'Etat lui même risque d'avoir y mettre de sa poche pour deux à trois milliards.
Ensuite, Areva sans sa cash machine T&D, est une proie plus comestible pour Alstom qui pourrait devenir son deuxième actionnaire après l'Etat. Enfin, les soucis industriels qui s'accumulent sur Areva ne mettent pas sa dirigeante en position de force pour rejeter ses assaillants.
D'une part, Areva n'a toujours pas réglé son divorce avec Siemens. Le flou persiste donc sur le montant qu'Anne Lauvergeon devra payer à son partenaire allemand pour racheter sa part de 34% dans l'ancien Framatome. Ce qui brouille fortement l'estimations de la valeur d'Areva alors que le groupe doit procéder rapidement à une augmentation de capital.
Proglio entre dans le jeu
Areva est par ailleurs handicapé par le retard pris par ses chantiers de construction de l'EPR qui vont lui coûter cher. En Finlande, la construction de la nouvelle centrale, qui pourrait être retardée au delà de juin 2012 se chiffre déjà à un surcoût de 2,3 milliards d'euros. A Flamanville, le chantier EDF/Areva a aussi pris du retard. A Abu Dhabi, la candidature du consortium EDF-GDF/Suez-Areva-Total pour construire deux EPR patine. Enfin, la mise en garde des autorités de sûreté nucléaire sur la fiabilité du système de sécurité de l'EPR est tombée au plus mauvaise moment pour la présidente du directoire d'Areva.
Mais surtout, la stratégie de groupe intégré adoptée depuis 2001 par Anne Lauvergeon (rapprocher la Cogema des réacteurs de l'ex Framatome), risque d'exploser en mille morceaux avec l'irruption d' un nouvel acteur dans le jeu. En s'affirmant déterminé à jouer son rôle de chef de file de la filière nucléaire française, Henri Proglio, qui va prendre les rênes d'EDF lundi prochain, complique un peu plus l'équation d'Anne Lauvergeon. A laisser EDF reprendre en main directement le destin des réacteurs d'Areva, celle-ci verrait anéantie toute sa stratégie menée depuis près de dix ans visant à s'émanciper du statut de vassal d'EDF
Les femmes rendent le nucléaire plus acceptables dans l'opinion
Entre tout faire pour échapper à l'emprise d'Alstom et s'employer à éviter que l'étreinte du futur président d'EDF ne revienne qu'à l'étouffer, l'alternative s'avère diabolique à gérer. Avec son «fighting spirit», la dirigeante d'Areva était parvenue, jusqu'à présent, à surmonter les obstacles et exploiter les division de ses adversaires. Elle pouvait estimer pouvoir conserver sa marge de manœuvre à la tête d'Areva en pariant sur le souci de Nicolas Sarkozy de ne pas affaiblir un peu plus, par des mouvements intempestifs de dirigeants, l'image et la crédibilité de la filière française du nucléaire à l'étranger. S'ajoute à cela un élément d'ordre psychologique: le fait qu'Anne Lauvergeon soit une femme est un atout loin d'être négligeable dans la perception du nucléaire. Aucune loi n'existe en la matière mais force est de constater que le niveau d'acceptabilité de cette technologie dans l'opinion n'est pas totalement étranger au fait que les femmes, dans ce domaine, sont mieux perçues.
Ce qui serait implicitement encore confirmé si le scénario d'une victoire de General Electric pour le rachat de T&D l'emportait puisqu'une autre femme, Clara Gaymard, représentante des activités du groupe américain en Europe du nord, en sortirait grande gagnante.
Nul doute que cet aspect des choses n'échappe pas à Nicolas Sarkozy qui a pour les coups d'éclats et le culot de la présidente d'Areva un mélange d'agacement et d'admiration. Elle s'est révélée comme une formidable manœuvrière face à la meute de ses adversaires. Reste à savoir si, pour paraphraser cet industriel pourtant peu charitable vis à vis de la situation financière d'Areva, le fait qu'Anne Lauvergeon soit finalement «le seul mec qui en a» dans ce secteur ne finira pas par lui être fatal et l'empêchera de réussir à rebondir, une fois de plus.
Philippe Reclus
Image de une: Anne Lauvergeon, Nicolas Sarkozy, et Henri Proglio, en juillet 2009 à l'Elysée. REUTERS