Nicolas Sarkozy s'est employé jeudi 19 novembre à assurer aux journalistes que le nouveau président de l'Union européenne n'était «pas un choix par défaut», mais au contraire le «président fort» qu'il avait toujours souhaité.
«Il y avait d'autres solutions, notamment celle de Tony Blair», a-t-il reconnu à l'issue du sommet européen où les 27 se sont entendus sur le chef du gouvernement belge. Mais Herman Van Rompuy n'est «pas du tout un choix par défaut, ce n'est pas du tout ça».
«Le mystère Van Rompeuille»
Le premier ministre belge Herman Van Rompuy présidera donc l'Europe, avec à ses côtés l’actuelle commissaire au Commerce, la Britannique Catherine Ashton, qui dirigera la diplomatie. «Deux inconnus à la tête de l'Europe», titre ce matin le quotidien espagnol El Païs. Herman Van Rompuy (prononcer Rommpeuille) est un centre-droit de 62 ans, chrétien-démocrate, choisi à l'unanimité.
La britannique Ashton a vu sa placé sécurisée après que Brown a eu compris que Blair ne serait pas président, explique The Economist. Une sorte de lot de consolation pour les britanniques, dont la réticence vis-à-vis d'une intégration politique européenne trop poussée est bien connue.
Comme Ashton, Rompuy est un inconnu total pour les profanes des arcanes bruxelloises, qui aurait «réussi l'exploit de réconcilier Wallons et Flamands» selon le nouvelobs.com. Mais les initiés le décrivent comme un cynique lancé à l'assaut du pouvoir et «sans pitié pour l'adversaire», selon Le Figaro, qui dresse son portrait.
Catholique, intellectuel, modéré, atlantiste, il renvoie le souvenir perdu d'une coexistence paisible à une Belgique en plein déchirement. Discret à en rougir, horloger de compromis impossibles, il dispose aussi de qualités appréciées dans une Europe qui rêve de puissance, mais n'agit que par consensus et dans la demi-mesure. Involontairement, c'est Tony Blair qui a fourbi le meilleur argument de sa campagne : trop flamboyant, le Britannique a dissuadé les capitales qui frémissent à l'idée d'un président incontrôlable.
La philosophie du nouveau président: «Tout être humain doit choisir entre l'absurde et le mystère. Moi, j'ai choisi le mystère...»
Cette nomination est justement un mystère pour la presse européenne. Von Rompuy est un «anesthésiant local» commente Libération, un «président pour la déco» titre le quotidien. «La nouvelle Europe concrétisée par le Traité de Lisbonne sera commandée par deux figures ternes et de bas profil qui ne font de l'ombre à aucun des dirigeants des grands pays européens» renchérit El Pais. «La radieuse Europe post-Lisbonne se réveille aujourd'hui avec un leader flamand opaque et une baronne travailliste qui n'a jamais été ministre» souligne Il Sole 24 ore.
Le quotidien italien Il Giornale estime que Von Rompuy aura bien du mal à dialoguer d'égal à égal avec les grands de ce monde, d'Obama à Medvedev, et qu'à travers ce choix, l'Europe a décidé «de rester petite sur la scène internationale».
Parce que le déficit critiqué par la presse européenne n'est pas seulement un déficit d'image; derrière, il y aura les lacunes politiques. «Ces deux personnalités (...) peuvent-elles incarner cet élan promis par ceux qui nous gouvernent? Le traité de Lisbonne est la version quelque peu allégée de ce qui avait à l'origine été baptisé Constitution de l'UE. Le mot était trop grand pour les ambitions des Européens. Ceux de ministre des Affaires étrangères et de président de l'UE ont maintenant l'air bien grands», déplore ainsi le Frankfurter Allgemeine Zeitung. Le Financial Times britanniques abonde dans ce sens: «David Miliband, ministre des affaires étrangères britanniques, expliquait le mois dernier que l'Europe avait besoin d'un président de charisme, capable de faire que le monde s'arrête de tourner quand il entre dans une pièce. Hier soir, les leaders de l'Union Européenne ont nominé un nouveau président et une responsable de la diplomatie qui auraient déjà du mal à ce qu'on les voit quand ils entrent dans une pièce».
Ce matin, sur France Inter, Bernard Guetta se désolait de ce choix si insipide, après tant d'attentes et de batailles pour obtenir le traité qui imposerait un président à l'Union Européenne.
On aurait eu besoin, espéré, voulu de plus fortes personnalités. Un Premier ministre en fonction depuis moins d'un an comme premier président de l'Europe, cela fait plutôt léger. (...) L'Europe déçoit. L'Europe rate là, l'occasion de se donner ce minimum d'éclat qui lui serait tant nécessaire.
Evidemment la Belgique est la seule voix dissonante dans cela: si elle s'inquiète pour ce qu'il adviendra de son pays, Béatrice Delvaux, rédactrice en chef du Soir écrit: «C'est un très grand honneur. Une grande fierté. Qu'un Belge inscrive son nom dans l'histoire comme premier président de cette Europe allant désormais de Lisbonne à Tallinn, est un accomplissement sans précédent à l'aune de notre pays.»
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Image de Une: Herman Van Rompuy wikimedia commons