Nicolas Sarkozy renoue, lundi 14 décembre, avec les grands-messes médiatiques pour dévoiler les modalités et les objectifs du «grand emprunt national» qui sera lancé début 2010 pour financer des «investissements d'avenir». Il s'agit de la première véritable conférence de presse du président français au palais de l'Elysée depuis le 8 janvier 2008 , hors rendez-vous internationaux. Le chef de l'Etat devrait présenter des décisions marquées par une approche financière prudente, qui l'a emporté sur le volontarisme affiché initialement pour ne pas effrayer les marchés et la Commission européenne.
Il a annoncé la semaine dernière son intention de suivre les «grandes lignes» du rapport de la commission sur l'emprunt présidée par les anciens Premiers ministres Alain Juppé et Michel Rocard. Ils proposent 35 milliards d'euros d'investissements publics. Sur ces 35 milliards, 13 devraient être financés par le recyclage d'aides de l'État remboursées par les banques. Seuls 22 milliards seraient levés sur les marchés financiers.
Nous republions ci-dessous une analyse d'Eric Le Boucher sur le rapport de la Commission sur le grand emprunt.
La commission du grand emprunt s'en sort au mieux. Non seulement les deux anciens Premiers ministres Juppé et Rocard limitent la casse pour l'endettement du pays, l'emprunt stricto sensu n'atteindrait pas 20 milliards d'euros, mais le choix fait des dépenses est a priori intelligent.
On pourra regretter l'idée même du Grand emprunt et trouver néfaste de creuser un déficit qui atteint 8,5% du PIB. On peut regretter que les nouvelles dépenses annoncées ne soient pas compensées par des économies faites ailleurs. On peut aussi trouver insensé l'idée même de ces «dépenses d'avenir», puisque la distinction est infaisable: payer un professeur est préparer les enfants, creuser un tunnel est améliorer la productivité des transports futurs, vacciner la population contre la grippe A est préserver la vie donc l'avenir. On peut souligner, enfin, que d'autres rapports précédents avaient déjà fixé des priorités semblables et que Nicolas Sarkozy aurait mieux fait d'en tenir compte avant. (C'est le cas, pardon, du rapport de la commission présidée par Jacques Attali et auquel j'ai participé).
Mais cela étant dit, on ne peut pas en vouloir à un gouvernement qui investit dans l'éducation, dans le numérique et dans les industries propres. A un pouvoir qui aide l'économie française à «rester dans le coup» de la compétition mondiale, comme dit Alain Juppé.
D'autant que le choix des secteurs aidés est judicieux et pas mal dosé. D'abord, et surtout, l'enseignement supérieur, la recherche et l'innovation comptent pour une moitié: 16 des 35 milliards d'investissements publics préconisés. Enfin un choix est fait et massivement en faveur des universités, parents pauvres des budgets depuis 20 ans! Enfin la France va pouvoir remonter dans les classements mondiaux et se doter des moyens pour attirer les meilleurs étudiants et chercheurs du monde! Nous reprenons une chance dans «la guerre des talents»: c'est décisif.
D'autant qu'une partie des 16 milliards ne sera distribuée que comme un capital, les université regroupées en campus, pourront toucher les intérêts de cette somme et obtenir ainsi un début d'indépendance vis-à-vis des ministères. Tout cela va dans le bon sens.
Ensuite, la «ville de demain» (4,5 milliards), la «société numérique» (4 milliards), le développement des «énergies décarbonées» et «l'efficacité dans la gestion des ressources» (3,5 milliards), la «mobilité du futur» (3 milliards), les «sciences du vivant» (2 milliards) et les «PME innovantes» (2 milliards). Il faut d'abord se féliciter de tout ce qui a été écarté: par exemple les canaux et lignes TGV dont l'effet d'innovation est faible. Pour ce qui reste dans la liste, certains chapitres sembles discutables (comme l'aide à la rénovation thermique des logements sociaux qui relève d'un budget normal) mais tout dépendra du détail. A première vue, l'avion propre du futur, la centrale nucléaire de quatrième génération ou la voiture électrique s'imposaient. Tout comme le câblage en fibres optiques. Mais il faudra aussi savoir la part des investissements privés qui viendront abonder le financement public, le doubler au total.
Tout cela va prendre beaucoup de temps, donner lieu à beaucoup de discussions. La bonne gouvernance de l'ensemble sera essentielle.
Investir dans ces secteurs est louable, surtout le choix prioritaire de l'enseignement supérieur. Maintenant la question se pose des déficits. Tant que la France ne proposera pas un chemin crédible de retour à l'équilibre, le grand emprunt sera suspect d'être non pas la préparation de l'avenir mais, l'inverse, sa dégradation par laxisme budgétaire.
Eric Le Boucher
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Image de une: CC Flickr hans s