«Les hommes viennent en pleine nuit. Ils jettent leur dévolu sur une maison, en défoncent un mur et enlèvent une petite fille pour lui faire des choses atroces. Puis, au matin, ils la ramènent dans son lit ou la laissent gisante devant la porte ou dans le jardin. Si l'enfant a survécu, il faut la conduire en urgence chez un médecin parce qu'un pénis ou un objet quelconque aura écrasé ses organes tout au fond de son corps».
Ces mots sont ceux de Lauren Wolfe, journaliste notamment pour Foreign Policy et traduite dans Slate.fr à plusieurs reprises. C'est grâce à son travail que nous savons qu'entre juin 2013 et décembre 2015, une cinquantaine de petites filles, âgées de 18 mois à 11 ans, ont été violées à Kavumu, «une ville misérable de l'est du Congo». Toujours selon le même mode opératoire décrit ci-dessus. Au moins deux des victimes n'ont pas survécu à leurs blessures. Certaines sont encore hospitalisées à Panzi, où elles sont prises en charge par les équipes du Dr. Denis Mukwege, ce médecin qui «répare les femmes» dans le pays qui leur est sans doute le plus hostile au monde.
On ne se risquerait pas trop à dire qu'aux yeux de Lauren Wolfe, le journalisme est plus qu'un métier. Une fois le «sujet» des viols de Kavumu découvert, six mois après le premier crime, elle ne le lâchera plus: à intervalles réguliers, elle retourne au Congo, interroge, fouille et persévère, jusqu'à mettre en péril sa propre sécurité. Wolfe dénonce l'incurie et l'hypocrisie d'un gouvernement qui, devant les caméras, promet de tout faire pour endiguer l'épidémie de viols accablant sa population depuis des dizaines d'années et qui, une fois les micros et les projecteurs éteints, retourne à ses petites et peu ragoûtantes affaires.
En juin dernier, dans une tribune du Guardian, elle revient une nouvelle fois à la charge et révèle que le gouvernement de RDC sait pertinemment qui est l'homme fortement suspecté d'organiser les viols collectifs, mais se refuse toujours à agir. Douze heures après la publication de l'article, le suspect sera arrêté avec soixante-sept membres de sa milice «L’Armée du Seigneur». Il s'agit de Frédéric Batumike Rugimbanya, parlementaire, prêtre et milicien voyant dans le sang de vierges une potion magique pour ses soldats. Nom que Wolfe dévoilera en août, en détaillant ici et dans le Guardian le dénouement provisoire de l'histoire.
Provisoire, parce si depuis l'incarcération de Batumike et de ses hommes (qui attendent aujourd'hui leur procès), plus aucun viol n'est à déplorer à Kavumu, les victimes et leurs familles sont encore loin d'être tirées d'affaire. Entre autres, elles ont besoin de soins, médicaux et psychologiques, de fournitures hygiéniques pour ne pas avoir à manquer l'école pendant leurs règles, de verrous sur les portes de leurs chambres et de leurs maisons. Et parfois de maisons tout court.
C'est la raison pour laquelle Lauren Wolfe a initié, le 25 décembre, une levée de fonds auquel vous pouvez participer, sur une plateforme ne prenant aucune commission par défaut. L'argent sera notamment reversé à des ONG et des associations –Coopera, Maman Shujaa ou encore Physicians for Human Rights– œuvrant sur le terrain pour venir en aide aux filles de Kavumu. Dans des communautés vivant avec moins de un euro par jour, le moindre don fera littéralement la différence.