Culture

James Brown, l'artiste le plus samplé par le hip-hop

Temps de lecture : 5 min

Dès la naissance du mouvement, il a occupé une place de choix dans le cœur des djs et producteurs. The Godfather of Soul –décédé il y a tout juste dix ans– ne détient pas ce titre par hasard.

James Brown en 2001 I MARTIN BUREAU / AFP
James Brown en 2001 I MARTIN BUREAU / AFP

3.000. C'est, selon pléthore d'articles, le nombre de fois où l’œuvre de James Brown aurait été samplée. Une chiffre totalement hasardeux, très certainement faux. Devant l'impossibilité de compter, disons simplement qu'on est très loin de la vérité. Le nombre de groupes ou artistes hip-hop (sans compter le reste des musique électroniques) ayant samplé l’œuvre de James Brown est sans doute déjà supérieur. Alors le nombre de titres... Peu importe, l'important à retenir, c'est que James Brown est très certainement l'artiste le samplé de l'histoire. Mais pourquoi lui?

1.La notoriété et l'art du break

Tout d'abord, il y a évidemment la notoriété de James Brown, qui atteint son zénith à la fin des années 1960, environ cinq ans avant la naissance du hip-hop dans le sud du Bronx, en 1973. Le chanteur est ancré dans la culture populaire. Les premiers DJ hip-hop, en premier lieu DJ Kool Herc, commencent à se produire en soirée en passant en boucle des breaks de batterie, des breakbeats, de titres connus.

C'est là que les discothèques commencent à être pillées par une nouvelle jeunesse: The Incredible Bongo Band, Eagles, et bien sûr James Brown. Ce dernier s'est fait maître dans l'art de placer au milieu de ses morceaux des breaks de batterie, souvent joués par son batteur Clyde Stubblefield. À tel point que le son hip-hop se façonne en fonction de ces breaks. Ses titres «Give It Up Turn It A Loose», «Funky Drummer», «Say It Loud –I'm Black And I'm Proud», «Get Up Offa That Thing» ou «Funky President» passent dans un grand nombre de fête hip-hop. Si l'on ne refera pas ici l'histoire du sample et encore moins l'histoire du hip-hop, disons que musicalement, James Brown et son art du break ont contribué à poser les bases d'un groove repris par DJ Kool Herc et consorts.

Les premiers DJ hip-hop ont grandi en écoutant James Brown, il appartient à leur génération. Kool Herc, dans la préface du livre Can't Stop Won't Stop de Jeff Chang (Alia, 2008), explique:

«On parle des quatre éléments du hip-hop: l'art du DJ, la breakdance, le rap et le graffiti. À mon sens, il en existe bien davantage: la façon de marcher, la façon de parler, le look, la façon de communiquer. De mon temps, nous avions James Brown, les droits civiques et le Black Power, les gens ne se baptisaient pas activistes hip-hop. Mais aujourd'hui, ceux-ci parlent de leur propre époque. Ils ont le droit de la qualifier telle qu'elle leur apparaît.»

2.Les pas de danse et l'underground

À ses débuts, le hip-hop est indissociable de la danse. Et en matière de danse, James Brown est un as. On parle bien souvent de son influence musicale, mais en terme de pas de danse, son impact sera aussi gigantesque, comme le montre cette vidéo montée par Slate.com en 2014.

L'un des précurseurs de la breakdance, Crazy Legs, l'explique lorsqu'il se remémore les origines de leurs premières figures, parfois comparées à la capoeira: «On n'avait pas la moindre idée de ce qu'était la capoeira, mon pote. C'était le ghetto! Y avait pas d'école de danse, rien. À ma connaissance, y avait qu'une seule école de danse dans le ghetto à cette époque, c'était une école de ballet sur Van Nest Avenue, dans le Bronx. […] Notre influence directe, c'était James Brown, point barre.»

Les breakbeats, l'art de la danse, certes. Mais à l'époque, la culture hip-hop est encore complètement uderground, cantonnée au Bronx, tentant de faire des incursions dowtown, mais sans le succès espéré (il viendra rapidement). Et en bon mouvement underground, le hip-hop aime prendre le contre-pied de la culture dominante. Au milieu des années 1970, James Brown connaît plusieurs échecs commerciaux. Il est un peu passé de mode, et certaines radios ne le programment même plus.

Toujours dans Can't Stop Won't Stop, l'historien du hip-hop Davey D se rappelle: «Si tu allumais la station de radio noire à l'époque, WBLS –celle que tout le monde écoutait, possédée et dirigée par des Noirs– tu n'entendais pas James Brown. Même pas la nuit. Et à mesure que James Brown se faisait évincer, nous, on se mettait à l'écouter un maximum.» Presque marginalisé dans l'industrie, James Brown devient soudainement beaucoup plus intéressant pour certains artistes en quête, paradoxalement, de renouveau.

3.Le nombre de disque et la validation

La seule notoriété de James Brown ne fait donc pas tout. Mais elle apporte quelque chose de central lorsque l'on s'intéresse à son omniprésence dans le hip-hop. Qui dit notoriété dit vente de disques. Ses vinyles ont été vendus en quantité et ne sont en rien des pièces rares dix ans après. La profusion de ses disques aux États-Unis permet à n'importe quel DJ hip-hop débutant de se faire la main sur «Funky Drummer», «Get Up Offa That Thing» et autres. Les manières de le sampler, de le scratcher deviennent vite innombrables.

On le sait, James Brown avait un ego surdimensionné. Le seul artiste qu'il plaçait au-dessus de sa personne était Elvis Presley. Alors dire qu'il admirait que les producteurs et DJ hip-hop pillent son œuvre, ça serait aller un peu vite en besogne. Ses déclarations envers cette seconde jeunesse accordée à ses hits sont contradictoires, mais ce qui est certain, c'est qu'il a enregistré en 1984 un titre avec l'un des pionniers du mouvement hip-hop, Afrika Bambaataa.

«Unity» est parfois vu comme une passation de pouvoir. Mais James Brown ne laisse pas le pouvoir, cela ressemble plus à une validation. D'autant que le titre contient aussi un breakbeat, mais joué à la boîte à rythme. La structure et le groove des morceaux de Brown sont modernisés jusqu'en dans les détails. Créer un breakbeat hip-hop sur un titre de James Brown, c'est un peu boucler la boucle. Les deux hommes posent main dans la main sur la pochette, scandant «Peace, unity, love, and having fun!».

4.Le patrimoine hip-hop et les droits civiques

Le hip-hop est un art du recyclage (pas seulement, mais tout de même). Recycler du James Brown semble donc normal, mais au-delà de cela, recycler ses compères hip-hop devient un exercice nouveau et tout aussi aisé pour la génération de djs, rappeurs et groupes qui émergent dans la première moitié des années 1980. Marley Marl, Eric B. and Rakim, Public Enemy, Run DMC... Ils posent tous les bases d'un nouveau son en calquant les références de leurs aînés. Et James Brown en fait partie, très largement. Un peu comme un héritage, The Hardest man in show business passe de DJ en DJ, de single en single. Après 1986, la déferlante est énorme. James Brown est partout dans le hip-hop.

Dans la culture populaire américaine, James Brown est un précurseur musical, scénique, mais aussi contestataire. Chanter «Say It Loud –I'm Black And I'm Proud» en 1968 n'avait rien d'aisé. Et même si The Godfather of Soul a cultivé le flou sur ses convictions, en allant par exemple pousser la chansonnette à l'intronisation du président Nixon ou en soutenant publiquement Reagan, pas tout à fait les plus progressistes en termes de droits civiques, il demeure lié de très près aux luttes raciales américaines. Un thème évidemment repris par le hip-hop, que ce soit à ses tout débuts avec Afrika Bamabaataa, ou avec les machines à hits dix ans plus tard telles que Public Enemy.

James Brown sera de toutes les générations hip-hop, sans exception. De tous les pays, à commencer par la France. Mc Solaar expliquera que s'il a choisi de signer chez Polydor, c'est en grande partie parce que c'était la maison de disque de James Brown, et qu'accéder à ses titres pour les sampler serait plus facile (il pillera le titre «Bodyheat» pour en faire «L'Histoire de l'art»).

Aujourd'hui encore, la nouvelle génération continue de sampler James Brown. Pour ne citer que les plus connus: Childish Gambino sur «3005», Kanye West sur «Clique», «Runnaway» ou «Live Fast Di Young», Tyler The Creator sur «Fish/The Boppin Bitch», les Français de 1995 sur «Comme un grand», A$ap Mob sur «Nasty's World», Kendrick Lamar sur «King Kuta»... Autant dire que la liste est longue et va au-delà, bien au-delà des 3.000 samples.

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