France

De Jean Sarkozy à la main d'Henry... le syndrome Nicolas Fouquet

Temps de lecture : 4 min

Ou comment le temps change les normes sociales.

Nicolas Fouquet surintendant des finances de Louis XIV fut accusé  de malversation et, à l'issue d'un long procès, condamné à la confiscation de ses biens et au bannissement. En réalité, si l'on en croit les historiens, Nicolas Fouquet ne s'était pas beaucoup plus mal conduit que ses prédécesseurs dans cette fonction : la confusion entre ses propres biens et l'argent récolté pour le compte du Roi , c'est à dire de l'Etat,  était,  sinon fréquente, du moins possible et sans doute tolérée. Mais les temps changent ou plutôt, l'esprit des temps change, et ce qui était admis implicitement par des rois moins soucieux de leur puissance était inacceptable pour celui qui allait instaurer la monarchie absolue.  Nicolas Fouquet ne s'était pas mal conduit, il s'était trompé d'époque. Or cette erreur d'appréciation, appelons la "Syndrome Nicolas Fouquet", est d'autant plus fréquente aujourd'hui que, dans bien des cas, l'esprit du temps a  beaucoup plus rapidement changé durant des trente dernières années que dans les siècles précédents. Quelques exemples, choisis dans des domaines apparemment fort divers, mais qui pourtant présentent des parentés, permettent de s'en convaincre.

Dans les années 80 et 90 de multiples affaires (Urba Graco, HLM de Paris etc.. ) tantôt jugées, tantôt faisant l'objet de mesures d'amnistie font découvrir aux Français l'ampleur des actes de  corruption destinées à drainer des fonds au bénéfice des partis politiques, de gauche comme de droite. En l'absence d'un mode de financement public des partis, qui ne sera assuré qu'à la fin de cette période, ces affaires reflètent un état des choses, une quasi nécessité,  dont tout le monde s'est accommodé auparavant. Mais l'esprit du temps a changé, beaucoup d'électeurs déçus de l'impuissance des politiques à juguler la crise économique perdent confiance dans leurs élus et s'en prennent au "système" c'est à dire à la collusion de fait entre le monde de l'argent et celui du pouvoir.

En 1999 le naufrage de l'Erika au large de la Bretagne déclenche un mouvement de colère des français contre les pétroliers et leurs affréteurs directs ou indirects. L'ampleur de cette vague d'indignation est largement incomprise par les responsables de la compagnie Total qui se défaussent de leur responsabilité en incriminant le mauvais état du navire, la responsabilité de son propriétaire, ou le défaut de surveillance de la société en charge de la sécurité du navire. D'autres marées noires ont eu lieu dans le passé, la première avec le naufrage du Torrey Canon en 1967. Aucune n'a suscité une mise en accusation aussi directe de la compagnie pétrolière. Les temps ont changé. La pollution n'est plus une fatalité.  Des responsables doivent être déférés devant la justice, le pollueur doit être le payeur.

Il y a peu dans un débat télévisé, François Bayrou excédé par l'ironie mordante de son contradicteur, Daniel Cohn-Bendit, l'accuse d'avoir dans les années 68 fait preuve de tolérance à l'égard de la pédophilie. L'attaque tombe à faux et nuit en fin de compte à l'image de Bayrou mais la défense de Cohn-Bendit est embarrassée : ce que l'on disait de l'amour libre de tout entrave en 68, n'est plus dicible aujourd'hui parce que de nouvelles problématiques se sont développées. Le respect absolu des enfants prime sur la liberté des adultes. Combien d'affaires dramatiques de pédophilies ou de violences contre des enfants ont été tues ou étouffées dans le passé avec la complicité tacite de la société. L'esprit du temps a changé : tout soupçon de mauvais traitement  contre des enfants déchaine désormais, parfois sans mesure, l'indignation du public.

Tout récemment encore, Jean Sarkozy croit pouvoir prétendre à la Présidence de l'EPAD sans s'apercevoir que sa qualité de "fils de Président",  quelles que soient par ailleurs ses compétences ou sa bonne volonté, vont faire de lui l'objet de la vindicte populaire, la risée des médias, le contre exemple vivant de la croyance aux vertus de la réussite selon le travail et le mérite. En d'autres temps, fait-t-on remarquer, la nomination aux affaires lucratives de la France Afrique a bénéficié à tel autre "fils de Président" sans que l'opinion publique ne semble saisie par une grande indignation. C'est que, là aussi, l'esprit du temps a changé.

Autre exemple, très récent : Frédéric Mitterrand confesse avec sincérité dans un ouvrage publié en 2005, son goût pour les prostitués des bordels de Bangkok. La confession passe à peu près inaperçue il y a cinq ans. Aujourd'hui elle déclenche les foudres de ceux qui condamnent le tourisme sexuel et plus largement le commerce des corps.

Faut il rappeler enfin la polémique née de la main de Thierry Henry qui a permis à la France d'égaliser contre l'Irlande: l'habileté était vantée quand la main était celle de Maradona en 1986 aujourd'hui c'est une faute, une triche qui entache la qualification de la France pour le Mondial.

Tous ces exemples le montrent, un acteur public (politique, entreprise) qui se trouve dans cette situation de porte à faux vis à vis d'une norme ne peut en aucun cas, se prévaloir du passé (on a toujours fait comme ça...) pour justifier une conduite qui, de fait, n'est plus considérée comme légitime par la société. Car c'est bien en réalité de normes sociales ou de valeurs ou encore d'éthique qu'il s'agit quand on parle "d'esprit du temps". Ces normes sociales changent, parfois rapidement, sous l'effet principal de deux phénomènes : les changements structurels de nos sociétés et notamment l'augmentation considérable des niveaux d'études, et en second lieu "les affaires" c'est à dire les cas spectaculaires (affaire Dutroux en Belgique,  affaire Outreau en France) qui induisent de vastes mouvements d'opinion.

Pour prévenir les situations de crises causées par ces conflits de normes, les acteurs publics devraient se sentir dans l'obligation de percevoir à l'avance ces évolutions de valeurs, c'est à dire tout simplement d'être sérieusement à l'écoute de la société et de ses évolutions. Reconnaissons que ce n'est pas toujours le cas.

Daniel Boy

Image de Une : portrait de Fouquet par Edouard Lacretelle

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