Culture

Donald Trump a-t-il pollué l’esprit de Kevin McCallister dans «Maman, j’ai encore raté l’avion»?

Temps de lecture : 11 min

Et si la rencontre entre Donald «Drumpf» et le jeune héros du film culte de Chris Columbus était à l'origine des actes de torture et autres méfaits du garçon éternellement abandonné par sa famille avant Noël ?

«Maman, j’ai encore raté l’avion»
«Maman, j’ai encore raté l’avion»

Ce 31 décembre 1992, alors que je viens de fêter mes 14 ans, nous allons, moi, ma sœur, mes parents et des cousins voir Maman j’ai encore raté l’avion dans la grande salle de l’Artistic à Orléans. Je m’en rappelle presque comme si c’était hier. C’était un rituel le jour du réveillon. Deux ans auparavant, nous avions découvert le premier. Je ne me rappelle pas avoir plus ri au cinéma que ces deux soirs-là.

Vingt-cinq ans plus tard, j’avoue qu’il me suffit de tomber dessus à la télé pour rester scotcher, les mains sur le bide à rire à gorge déployée. Il y a un plaisir tout enfantin à voir Kevin McCallister jouer les nababs dans un palace new-yorkais et maltraiter les casseurs flotteurs. Alors, quand Slate.fr m’a demandé si je pouvais écrire un article sur le film vu par le prisme de Donald Trump, j’ai pas très bien compris.

C’est vrai que le milliardaire, récemment élu 45e Président des États-Unis, apparaît brièvement dans le film dans un caméo qu’une bonne partie des usines à clics du web s’est empressée de relever dans les jours qui ont précédé ou suivi l’élection. Une apparition (à priori) somme-toute bien innocente: Kevin McCallister demande son chemin dans les couloirs du Plaza et il se trouve que l’homme qu’il aborde n’est autre que le magnat de l’immobilier, à l’époque le propriétaire des lieux. Une apparition (à priori) d’autant plus innocente qu’elle est loin d’être la seule dans la carrière du Donald. Au cours des années, on l’a aussi vu dans Sex & The City, Le Prince de Bel-Air, Une Nounou d’enfer, Spin City, Zoolander ou L’Amour sans préavis.

Trump, un «insecte attiré par la lumière»

C’est en lisant les récits des tournages de ces caméos que j'ai pourtant commencé à voir plus clair à ce qu'on me demandait. Dans les colonnes de Newsweek, on peut par exemple lire qu’il a frappé quelqu’un en coulisse du Prince de Bel-Air ou qu’il a essayé de draguer la nourrice de 19 ans de la jeune Madeline Zima sur le tournage d’Une Nounou d’enfer. Quant au tournage de Maman j’ai encore raté l’avion, le chef opérateur Julio Macat se rappelle sa rencontre avec celui qu’il compare à «un insecte attiré par la lumière»:

«Il s’est pointé sur le tournage et Chris [Columbus] s’est dit que ce serait amusant de le mettre dans le film. Nous étions tous gentils avec lui car c’était le propriétaire du Plaza où nous filmions. Nous étions les belles du bal grâce au succès de Maman j’ai raté l’avion et il voulait traîner avec nous. Il était très confortable avec la caméra et avait tendance à en rajouter pour la caméra. Il était supposé juste continuer son chemin mais après être passé, il s’est retourné et a regardé le gamin… Je me rappelle avoir été stupéfait par la façon dont ce type a su immédiatement où se trouvait l’objectif.»

J’ai alors eu une sorte d’épiphanie. Et si cette rencontre de quelques secondes avec Trump avait fait basculer le petit McCallister du côté obscur? Et si toutes les terrifiantes actions à venir de l’innocent petit blondinet avaient été déterminées en ce moment, durant ces cinq petites secondes? J’ai donc ressorti ma VHS des placards pour vérifier que les gens, dans les hautes sphères de Slate.fr, n’avait pas trop forcé sur les Mon Chéri à la fête de Noël du bureau.

Et malheureusement, mon âme de trentenaire usé par le cynisme de la vie a bien vu des choses que mon âme d'enfants aurait préféré ne jamais avoir vu. Alors, oui, ce qui va suivre pourrait bien ruiner une partie de votre enfance, comme ça a ruiné la mienne – même si, il faut le reconnaître, j’ai parfois laissé la mauvaise foi l’emporter.

La vie de château

Tout commence donc juste après avoir croisé le chemin du Donald: Kevin McCallister déclenche son plan diabolique. Première étape: utiliser l’argent de son père pour se payer une chambre d’hôtel à New York. Un acte qui rappelle étrangement les débuts de Trump dans le business de l’immobilier quand papa Trump lui aurait fait «un petit prêt» de 1 million de dollars pour débuter, un montant largement contesté par le Washington Post qui suggère que... ça pourrait être beaucoup plus.

Bien au chaud, bien nourri et bien servi, le petit Kevin a clairement pris goût au luxe et au mode de vie de ses héros de cinéma

De quoi largement prendre goût au «luxueux et spacieux» comme le dit, avec un ton légèrement blasé, le petit Kevin quand il découvre la salle de bain nappée d’or de sa chambre. Probablement l’expression qu’utiliserait un agent immobilier pour décrire le penthouse inspiré de Versailles de Donald et Melania dans la Trump Tower.

De quoi également devenir pingre, le petit Kevin décidant de récompenser le groom non pas d’un billet de banque mais d’un chewing-gum. Une manie que le jeune garçon partage visiblement avec Trump qui, malgré ses dires (et ses très nombreuses promesses), n’a jamais été très charitable: comme le révélait le Washington Post, il a donné moins de 10.000 dollars entre 2009 et 2016 –une misère comparée aux centaines de millions de dollars donnés chaque année par la plupart de ses collègues milliardaires.

Le journal révélait même que, dans les années 1980, il a plus donné à l’école de ballet de sa fille Ivanka qu’à la lutte contre le Sida à laquelle il avait promis de soutenir massivement. D’ailleurs, plus tard, le petit Kevin ira jusqu’à faire miroiter à ce même groom un énorme pourboire en lui montrant une liasse de billets avant de lui fermer la porte au nez. Probablement ce qu’ont dû ressentir les associations de lutte contre le Sida ou contre la pauvreté quand elles ont reçu un chèque avec deux ou trois zéros de moins qu’annoncé.

«Deux boules, monsieur». «Deux, plutôt trois»

La journée du jeune Kevin se poursuit à la piscine. Comme s’il était seul, il décide de perfectionner sa technique de la bombe, celle qui consiste à éclabousser le plus possible tous ceux autour de lui pendant que lui, au fond, reste sourd aux complaintes. Un art de la bombe que Trump maîtrise à la perfection, comme l’atteste son compte Twitter, rempli de ces insultes balancées sans discernement à l’endroit du New York Times, d’Hillary Clinton, de la comédie musicale Hamilton, de Barack Obama, du «Saturday Night Live», de Samuel L. Jackson, des grands magasins Macy’s, du talk-show The View, de CNN et des Etats-Unis en général. Le New York Times a recensé 289 cibles en un an et demi, largement de quoi assécher une piscine.

Mais se déchaîner contre son prochain creuse. Alors, de retour dans sa chambre, Kevin se remplit la panse de crème glacée (peut-être que le glacier se trouvant en bas de la Trump Tower sert-il lui aussi à rassasier les petites envies nocturnes du milliardaire). «Deux boules, Monsieur?», lui demande le maître d’hôtel. «Deux? Trois, plutôt!», lui répond le jeune garçon qui «ne conduit pas» alors qu’il savoure un vieux film noir de série B à la télé.

Un choix de film étrange pour un gamin de 10 ans qui semble adorer le genre (il est capable de citer des répliques de mémoire). Un choix plus raccord avec ceux d’un septuagénaire qui, au fil des années, a déclaré adorer Les Affranchis, Citizen Kane et Le Parrain. Pourquoi le jeune garçon aime-t-il autant ces films en noir et blanc très violents? Peut-être pour ses archétypes bien connus: le détective privé, la femme fatale, l’épouse délaissée mais surtout… le sordide millionnaire, celui qui traite les femmes comme ses pions ou les assassine avec sa sulfateuse, comme si elles étaient tout juste bonnes à être «attrapées par la chatte»?

Retour de bâton

Bien au chaud, bien nourri et bien servi, le petit Kevin a clairement pris goût au luxe et au mode de vie de ses héros de cinéma. Le lendemain matin, il s’engouffre ainsi dans une limousine tout confort avec une large pizza au fromage, un autre pêché mignon de Trump si l’on en croit cette publicité de 1995. Notons toutefois, dans une démarche d’honnêteté intellectuelle que Kevin boit du Coca quand Trump semble, d’après cette pub de 1988, préférer le Pepsi Light

Mais les créanciers n’ont pas tardé à tomber sur le petit Kevin comme ils sont tombés sur Trump en 1990. À un moment, l’argent de papa (surtout quand il est volé comme dans le cas de Kevin) ne suffit plus pour renflouer les caisses et à se sauver. Avec 3,4 milliards de dettes (dont 830 millions garanties à titre personnel), le milliardaire était en effet au bord de la faillite, professionnelle comme personnelle. Sa marge de manoeuvre était alors aussi étroite que les jambes de l’employée du Plaza qui tente d’arrêter Kevin pour l’empêcher d’atteindre l’ascenseur. Et comme le raconte le Wall Street Journal, il a fallu à Trump des trésors d’imagination (et quelques intimidations) pour s’en sortir, un peu comme Kevin lorsqu’il se sert de vieux film noir de série B pour intimider les employés de l’hôtel qui veulent sa peau.

Et sans le luxe qui va avec l’argent, Kevin se retrouve à la rue… parmi les pauvres. Fini le plaza. Place à Central Park, ses drogués, ses prostituées et ses sans-abris. Une situation qui n’enchante pas le garçonnet qui aimerait bien que le monde ressemble à son hôtel confortable, son vaste magasin de jouet de la 5e Avenue ou sa vaste maison de banlieue cossue. Un peu comme Trump qui, s’il a fait mine de s’intéresser à la petite classe moyenne ouvrière du Midwest, s’est pas mal désintéressé des plus pauvres qui errent dans les grandes métropoles. Et comme le rappelle Mother Jones, si la pauvreté des villes a beaucoup diminué sous Obama, les plans du 45e Président ne sont pas très encourageants pour l’avenir, une grande partie de l’argent fédéral alloué au logement et à la santé risquant d’être coupé en conséquence pour financer un plan drastique de baisse des impôts.

N’empêche: tel Kevin sauvé à deux reprises par une gentille sans-abris, ce sont eux, les pauvres, eux qui ont bénéficié le plus de la sécurité sociale d’Obama (Obamacare), qui ont sauvé Trump le jour de l'élection.

les gens me voient dans la rue, mais ils essaient de m'ignorer. Ils ne veulent pas de moi dans leur ville

Grand insensible

L’occasion pour Kevin de montrer son égoïsme quand il rapporte à sa petite personne le douloureux combat contre la pauvreté et la solitude d’une gentille sans-abris. «C'est la même chose chez moi. Je suis le pigeon de la famille parce que je suis le plus jeune», dit-il quand elle lui raconte que «les gens me voient dans la rue, mais ils essaient de m'ignorer. Ils ne veulent pas de moi dans leur ville.» Il en rajoute même en l’insultant quand elle lui raconte qu’elle a tout perdu après avoir eu le coeur brisé par un homme. «Sans vouloir vous vexer, ça paraît un peu débile de faire ça», lui balance-t-il avant de comparer une tragique histoire de vie à des rollerblades flambants neufs qu’il a laissé dans leur boîte pour ne pas les abîmer et de lui dire de porter des vêtements qui n’ont pas de crottes de pigeons dessus.

Un égocentrisme et une insensibilité à la souffrance des autres qui rappelle les cruels humblebrag de Trump, en particulier celui qui l'a vu ramener à sa personne la tragique fusillade d’Orlando. «Apprécie les félicitations d’avoir eu raison sur le terrorisme islamique radical. Je ne veux pas de félicitations, je veux de la sévérité et de la vigilance. Nous devons être intelligent!», avait-il écrit dans un tweet publié quelques heures après les évènements.

Alors, quand la gentille sans-abris suggère à Kevin de «suivre l’étoile qui est dans son coeur», elle ne doutait pas que le coeur du gamin n'était plus si pur et innocent après avoir croisé, deux jours plus tôt, l'effroyable Trump. Quelques minutes plus tard, il allait ainsi mettre à exécution son plan maléfique pour définitivement éliminer deux malheureux souhaitant quelques dollars pour passer l’hiver et un peu de chaleur pour le soir de Noël.

Tel un apprenti politicien orange qui voudrait construire un mur entre lui et tous les étrangers du monde, chasser de «chez lui» tous ceux déjà entrés et utiliser «la torture», Kevin a décidé de rebâtir sa propre Amérique tyrannique à l’échelle d’une brownstone new-yorkaise, promettant la souffrance à quiconque y entrerait sans y être inviter. Briques et clés à molette sur la tête, clous dans les fesses, dans les testicules et dans le nez, décharge électrique, explosion de scalp et des chutes, beaucoup de chutes. «Vous n’avez pas assez souffert?», leur assène-t-il avec un grand sourire sur son visage poupon.

Trauma

Mais, à ce petit jeu, une simple plaque de glace peut vous faire perdre pied, comme Kevin en fait l’amère expérience. Trump, entre ses multiples procès, les conflits d’intérêts avec son empire immobilier et même sa (possible) compromission avec d’autres nations, doit le savoir aussi: les plaques de glace ne manquent pas sur son parcours à la Maison Blanche. Comme le disait le réalisateur Michael Moore à MSNBC, «nous n'aurons pas à subir Donald J. Trump pendant quatre ans, parce qu'il n'a pas d'idéologie sauf l'idéologie Donald J. Trump. Et quelqu'un d'aussi narcissique finira par enfreindre la loi, peut-être de façon involontaire. Il violera la loi parce qu'il ne s'intéresse qu'à ce qui est le mieux pour lui.»

C’est pour ça que Kevin décide finalement d’être un peu moins égoïste et méchant. Il se rend compte que la haine et la violence ne peuvent mener à rien de constructif. Comme il le dit devant le sapin de Noël géant du Rockefeller Center situé 600 mètres à peine de la Trump Tower:

«Je ne mérite pas de Noël même si j'ai fait une bonne action. Je ne veux pas de cadeaux. Je veux retirer les méchancetés que j'ai dites à ma famille… même s'ils font pas pareil. Je m'en fiche. Je les aime tous. Même Buzz.»

Depuis qu’il est élu, Trump aussi a commencé à revenir sur certaines de ses déclarations les plus racistes et terrifiantes. Reste que, quand la facture arrive à la fin du film, elle est sacrément salée pour Kevin. Les paroles et les actes ne sont jamais vraiment oubliés. Il y a toujours un moment où ça vous revient à la figure. Ceux de Trump qui, comme l’atteste son compte Twitter depuis son élection, n’a pas réellement changé, risquent d’être beaucoup plus douloureux pour l’Amérique (et le monde).

Il suffit de voir ce qu’est devenu le si mignon Kevin McCallister, 24 ans plus tard. Clairement, le gamin a été traumatisé. Si certains, au fil des années, ont pensé qu’il était peut-être devenu le tueur des films Saw, cette vidéo montre qu’il a gardé un goût certain pour la torture. Il faut espérer que l’Amérique ne garde pas le même traumatisme après les années de règnes de Trump.


Si seulement, Kevin avait choisi d’aller au Waldorf Astoria à un kilomètre de là… Il y aurait peut-être croisé Paris Hilton, la fille du propriétaire des lieux, de seulement un an son aîné. Le traumatisme aurait alors été d’un tout autre calibre et moi, aujourd’hui, je vous aurais raconté comment Maman j’ai encore raté l’avion a inventé les sextapes d'héritières et la culture du vide. Mais non, il a fallu que je ruine le film de Noël préféré de toute une génération. Pour cinq secondes.

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