Le Pr Pierre Coriat était jusqu'à présent aussi peu connu des médias qu'il était apprécié de ses pairs. Chef de service d'anesthésie réanimation au groupe hospitalier de la Pitié-Salpêtrière, il est le président de la Commission médicale d'établissement (CME), sorte de Parlement médical de la prestigieuse Assistance Publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP). L'homme était aussi reconnu par le pouvoir en place: Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, l'avait chargé l'an dernier de faire une série de proposition en vue d'améliorer à l'échelon national le dispositif de la permanence des soins; un abcès d'évolution chronique auquel nul responsable politique ne semble être en mesure de trouver un remède.
Or voici que le Pr Coriat vient de choisir de sortir de l'anonymat, et ce pour une noble cause. Dimanche 15 novembre il a ainsi, dans le Parisien-Aujourd'hui en France, choisi de faire savoir qu'il démissionnerait de la présidence de la CME si le gouvernement ne revoyait pas à la baisse un projet de suppression de 1.150 postes en 2010; un projet qui ne pourrait selon lui que nuire à la qualité des soins prodigués au sein de cette institution qui emploie plus de 70.000 personnes et dispose d'un budget annuel de 6 milliards d'euros.
«Le projet actuel risque de casser l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris. Pour calculer le budget de l'hôpital, le ministère de la Santé a sous-estimé notre activité», accuse Pierre Coriat. Supprimer 1.150 postes au sein de l'AP-HP serait selon lui entrer dans une «spirale déflationniste»: diminution des activités médico-chirurgicales conduisant à une baisse des recettes précédant ... de nouvelles réductions d'effectifs. La menace, en forme de cri d'alarme, a été perçue en haut lieu. Peu de temps après la sortie en kiosque du Parisien, Roselyne Bachelot était interpellée au Sénat.
La ministre de la Santé n'a pas nié l'existence d'un tel plan de réductions de postes. Pour autant, air connu, elle a précisé que l'hypothèse de la suppression de 1.150 postes (150 médecins et 1.000 soignants non médecins) était issue d'un document de travail de cadrage pluriannuel «non définitif». «Il ne s'agit que de réorganisations structurelles destinées à rétablir durablement la situation budgétaire de l'AP-HP», a ajouté la ministre tout en expliquant que le budget 2010 ne serait pas discuté avant... 2010, et que le nombre de suppressions de postes ne sera confirmé qu'à cette occasion. Tout ceci dans un paysage connu: économiser structurellement 350 millions d'euros d'ici 2012 soit une réduction annuelle de mille emplois. Avec comme autre hypothèse de travail que l'on peut faire autant et aussi bien avec des moins de moyens.
Pour l'AP-HP, l'année 2009 aura déjà été marquée par la suppression de 700 postes.
Le Pr Coriat démissionnera-t-il?
La responsabilité des gynécologues-obstétriciens
L'autre poussée de fièvre concerne les gynécologues-obstétriciens qui exercent dans le secteur libéral et qui sont aujourd'hui en grève. Ce phénomène est la conséquence directe de ce qu'il est convenu de dénommer la judiciarisation de la pratique de la médecine en général et tout particulièrement de la pratique de l'obstétrique. Tout se passe dans ce domaine comme si, aux yeux de la justice française, l'obligation de résultat prenait progressivement le pas sur l'obligation de moyens. Une véritable révolution copernicienne.
Aujourd'hui, sur la sellette: la responsabilité des gynécologues-obstétriciens qui redoutent d'être mis en cause très longtemps après les faits pour des dommages causés dans le cadre de leur activité professionnelle. Précisons: en cas de dommage subi à la naissance, les réparations aux victimes sont définitivement fixées lorsque celles-ci deviennent adultes et ce alors que la couverture d'assurance des médecins est limitée à dix ans après leur cessation d'activité ou leur décès. On comprend le trouble des accoucheurs.
Dimanche 15 novembre, le Sénat a tenté de calmer le jeu. En vain.
«Le mouvement de grève continue, car nous ne sommes toujours pas assurés, et c'est pour nous une situation intolérable», a déclaré à l'Agence France Presse le Dr Jean Marty, secrétaire général du syndicat national des gynécologues-obstétriciens français (Syngof). Lancée le 14 novembre dans les maternités privées, la grève a touché durant pendant le week-end une dizaine de villes de province (Nantes, Lyon, Bordeaux, Toulouse et Tours). Le mouvement semble s'étendre et l'affaire est d'importance : les gynécologues-obstétriciens d'exercice libéral assurent environ 30% des accouchements en France dans des cliniques privées. L'affaire est d'importance: le ministère de la Santé a demandé dès le 14 novembre aux préfets de réquisitionner les médecins et d'orienter les femmes enceintes proches de l'accouchement vers les hôpitaux publics; ce qui ne va pas sans créer quelques problèmes pratiques et confraternels.
Les sénateurs avaient cru faire œuvre utile en adoptant un amendement au projet de budget 2010 de la sécurité sociale prévoyant que l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (Oniam) dédommagerait un gynécologue-obstétricien qui serait condamné à réparer un dommage dès lors que le délai de validité de sa couverture assurance serait expiré. Or la formulation de cet amendement n'est pas jugée satisfaisante par le Syngof. «L'amendement dit que "l'Oniam est subrogé aux droits de la victime" sauf si les délais sont expirés. Il suffirait de mettre "sauf si les garanties sont dépassées''. Si on rajoute ces trois mots notre problème est réglé», fait-on valoir auprès du Syngof.
Une fois encore en première ligne (ce qui ne semble pas toujours lui déplaire), Roselyne Bachelot a pris publiquement un engagement: porter par voie de décret de trois à six millions d'euros le plancher des garanties d'assurance. Or le Syngof estime d'ores et déjà que ce seuil de six millions d'euros est totalement insuffisant puisque le plafond peut aller jusqu'à vingt millions d'euros». De plus ce syndicat croit savoir que la ministre de la Santé s'est exprimée devant les sénateurs sans avoir ni l'aval du ministère des Finance ni celui du Premier ministre...
Est-ce vrai?
Médecins généralistes et grippe A
Troisième et forte fébricule automnale: celle qui affecte les médecins généralistes par définition quotidiennement confrontés à une épidémie grippale d'intensité croissante. Souvenons nous: fin octobre on découvrait que près de la moitié des médecins généralistes français déclarent ne pas souhaiter se faire vacciner contre l'infection par le nouveau virus grippal H1N1. Mi novembre les Français apprennent que ces mêmes généralistes réclament de pouvoir vacciner leurs patients non pas dans les dispensaires publics prévus à cet effet mais bien dans le cadre de l'exercice libéral de leur cabinet. Une volte-face en deux semaines?
Comment comprendre?
Chercher des points communs de ces trois accès de fièvre? Peut-être ne s'agit-il là que de trois symptômes éclairants d'un même et inquiétant syndrome; un syndrome qui reste à définir mais qui pour l'essentiel résulte de l'incapacité - chronique - des politiques à prendre l'exacte mesure de ce qui se joue véritablement entre le corps social et, au sein de ce dernier, celles et ceux qui le guérissent parfois; et autant que faire se peut le soignent au mieux.
Jean-Yves Nau
Image de une: hôpital de Houston. Jessica Rinaldi / Reuters