Nous vivons la pire récession depuis l'après-guerre. Et nous faisons semblant de croire qu'en 2010 la croissance reviendra comme par enchantement. Nous feignons de penser que, si tôt atteint le fond de la piscine, l'économie mondiale jaillira d'un bond. Nous psalmodions les mêmes refrains macro-économiques, comme pour nous convaincre qu'une fois le bilan des banques apuré et les liquidités revenues, les affaires vont reprendre comme avant.
Et pourtant, c'est le même scénario noir, le pire donc, qui chaque jour se vérifie et les chiffres deviennent effrayants: le taux de chômage aux Etats-Unis comme en Europe est déjà supérieur à 8%, et avoisinera 10% l'année prochaine, les déficits publics dérivent à un rythme jamais connu: 12% du PIB aux Etats-Unis et déjà 6% en Europe, les indices boursiers tombent à des minimas historiques, les pays d'Europe de l'Est affrontent un risque majeur d'insolvabilité et n'aspirent plus qu'à la protection de l'euro et à l'intervention du FMI pour échapper à la faillite, avec des conséquences encore incalculables sur l'Ouest!
Alors jusqu'où peut aller la crise? Qui peut assurer que la déflation générale, celles des prix des actifs, mais aussi des matières premières comme des produits finis, ne va pas submerger le monde sans faire cesser la récession? Qui peut prétendre que les plus grandes entreprises automobiles seront encore là d'ici la fin de l'année? Qui peut dire que les banques sont hors d'eau, alors que les fuites - même colmatées - se révèlent chaque jour comme des trous béants?
Bref, on raisonne comme avant, on invente le monde d'après. Mais on oublie de régler le présent, faute de l'appréhender dans toute sa gravité. De ce point de vue, la préparation du G20 ressemble tellement à un exercice convenu, où rivalisent les propositions de réforme du système monétaire international et où reviennent les mêmes bonnes résolutions, les mêmes louables intentions, les mêmes actes de contrition: promis, juré, la crise sera la dernière, les gouvernements - comme le corbeau de la fable - avouent honteux et confus qu'on ne les y reprendra plus.
Et, pendant ce temps, les entreprises cherchent vainement du crédit, les ménages des signes de confiance et les Etats de l'argent pour financer des plans qui n'ont de relance que le nom, faute d'être suffisamment concertés et consistants! Ainsi, les dettes publiques s'ajoutent aux dettes privées. Et de se demander qui finira par payer.
La lucidité devient suspecte, voire dangereuse. Elle contribuerait à assombrir encore les anticipations et à aggraver le mal plutôt que de le prévenir. Et pourtant, l'heure est venue, si on partage ce pronostic, d'en terminer avec les demi-mesures et les faux-semblants: partout où les banques sont en grave difficulté, la nationalisation temporaire s'impose et le système de la «banque poubelle» doit être érigé. Ce sont les conditions pour assainir, une fois pour toutes, le système financier et pour abaisser le coût du crédit. C'est la pression qu'il faut encore exercer sur la Banque Centrale Européenne, laquelle devra en outre «monétiser» une part des dettes publiques. Les prêts des entreprises doivent être garantis pour retrouver un niveau d'investissement indispensable à toute reprise. Une politique fiscale redistributive doit être mise en place pour corriger les inégalités, retrouver de la recette publique et stimuler la consommation. Et une limitation des hautes rémunérations doit être érigée.
Enfin, le traitement social du chômage retrouve toute sa légitimité et son opportunité, dès lors que les jeunes et les précaires sont les plus exposés. Et que l'économie marchande est pour le moment impropre à créer des emplois.
Le débat n'est plus de savoir s'il convient d'attendre stoïquement le réarmement de l'offre ou d'espérer naïvement la réactivation de la demande. Pas davantage de s'interroger sur le montant à consacrer encore à la relance. La récession n'est déjà plus ce qu'elle était il y a trois mois. Il nous faut, coûte que coûte, rentrer dans une économie de guerre. Il faut que Europe, Etats-Unis et Asie établissent un plan de salut mondial. Un plan d'urgence. Un plan de mobilisation générale contre la crise du Siècle. Celui de tous les excès.
François Hollande