Culture

Comment «My Girl» a traumatisé toute une génération

Temps de lecture : 6 min

Sorti il y a vingt-cinq ans, ce film à première vue léger n'hésitait pas à mettre en scène la mort d'un enfant. Il continue de fasciner aujourd’hui par sa force et son imprévisibilité.

Image tirée du film «My Girl» (Macaulay Culkin, Anna Chlumsky)
Image tirée du film «My Girl» (Macaulay Culkin, Anna Chlumsky)

My Girl fait indéniablement partie de ces films qui suscitent des réactions contradictoires: la frénésie populaire d’une part, et le snobisme des professionnels du métier d’autre part. Il suffit de lire la critique faite par Bernard Génin dans Télérama au moment de sa sortie en salle, le 27 novembre 1991, pour s’en rendre compte: le film d’Howard Zieff est vu à l’époque comme un feel good movie de seconde zone, un tire-larmes simpliste, un mélo un peu tarabiscoté. «Au bout du compte, tiraillé entre le récit initiatique, le mélo larmoyant et le catalogue de catastrophes en tous genres, My Girl devient un film bizarre, dont on ne sait plus très bien à quel public il s'adresse», concluait alors le journaliste français.

La mort rôde

C'est pourtant mieux de le noter: My Girl n’a jamais été à proprement parler un film univoquement destiné aux enfants. C’est un long-métrage qui ne parle que de la vie à travers le prisme de la mort: celle de Thomas J. Sennett (interprété par Macauley Culkin), le meilleur ami de Vada Sultenfuss (interprétée par Anna Chlumsky, dans son premier grand rôle au cinéma), aux deux tiers du récit, suite à des piqûres d’abeilles.

Mais l’intelligence dramaturgique du film ne saurait s’arrêter à cet événement. Ainsi, pendant que Vada et Thomas, «un garçon allergique absolument à tout» qui a «le chic pour la mettre en boule», multiplient les promenades en vélo, son père, Harry Sultenfuss (Dan Aykroyd), gère une entreprise familiale de pompes funèbres. Il y a aussi toutes ces discussions entre les deux amis, qui laissent entendre que My Girl est moins inoffensif qu’il n’y paraît. Comme cette séquence dans le garage de la famille Sultenfuss où Vada tente d’expliquer sa vision du paradis à son ami blondinet: «J’imagine qu’ils se baladent tous sur des chevaux argentés, qu’ils rigolent comme des fous et mangent des pâtes d’amande sans arrêt et qu’entre eux, ils sont tous les meilleurs copains du monde. Et quand ils font du sport, il n’y a qu’une équipe, comme ça tout le monde gagne.»

Contrairement à d’autres films de l’époque destinés à un jeune public, les héros de celui-ci interpellent par leur capacité de réflexion et leur bagage culturel

C’est très naïf, presque utopiste, mais ça en dit long sur le propos de ces gamins, particulièrement érudits. Contrairement à d’autres films de l’époque destinés à un jeune public —Beethoven (1992), Hook ou la revanche du capitaine crochet (1991) ou encore Chérie, j’ai rétréci les gosses (1989)—, les héros de celui-ci, Thomas et Vada, en plein été 1972, interpellent par leur capacité de réflexion et leur bagage culturel. Tandis que le premier est fan des Beatles et rêve d’emmener sa petite famille à Liverpool, la seconde, elle, lit Guerre et Paix, souhaite participer à des ateliers d’écriture, ne s’entoure que «de gens intellectuellement stimulant» et rêve de devenir écrivain.

Un film faussement inoffensif

On peut trouver cela un peu tiré par les cheveux, se dire que les références sont un peu trop pointues pour une gamine de 11 ans et se persuader qu’un gosse de cet âge a mieux à faire durant les grandes vacances. Mais on peut aussi se réjouir de voir un film aborder de tels sujets sans jamais tomber dans un discours abscons, tenter de formuler un langage clair et finalement assez pop à destination des plus jeunes spectateurs, qui ont pu dès lors se confronter à des objets culturels plus stimulants que ceux proposés habituellement par les blockbusters: au hasard, à la musique de The Temptations ou aux écrits de Léon Tolstoï.

C’est d’ailleurs là le grand intérêt de My Girl. Car, si le film d’Howard Zieff réunit les principaux ingrédients du film de l’enfance —le charme des banlieues pavillonnaires des petites communautés rurales, l’escouade de gamins curieux d’amener un peu d’aventure dans l’ordinaire de leur petite existence, des répliques naïves mais cultes, et une BO impeccable—, il trouve sa pleine dimension lorsqu’il fait la part belle à des sujets dits d’«adultes» (le décès de madame Sultenfuss, la démence de la grand-mère, l’arrivée d’une nouvelle belle-mère) et à ses délires morbides.

Sur ce plan, c’est le personnage de Vada qui interpelle le plus: c’est elle qui organise la visite de sa maison funéraire pour une bande de garçons de son âge tout excités à l’idée d’apercevoir un cadavre pour la première fois de leur vie; c’est elle aussi qui craint d’avoir tué sa mère, décédée quelques jours après sa naissance; c’est elle également qui se renseigne sur les cercueils de petites tailles, pensant qu’elle est gravement malade. C’est elle, enfin, qui se révèle tout bonnement saisissante lors des funérailles de Thomas, précisément au moment où My Girl bascule du feel good movie léger vers un drame presque existentiel.

«Un choc émotionnel»

Un peu comme si les scénaristes souhaitaient souligner que la vie, aussi guillerette d’apparence soit-elle, est inséparable d’une forme tonitruante de violence

Ils sont rares en effet les films de ce genre à oser tuer l’un des personnages principaux. Une audace d’autant plus captivante qu’elle concerne ici un enfant d’une petite dizaine d’années, joué qui plus est par la mégastar de l’époque: Macauley Culkin. Un peu comme si les scénaristes souhaitaient souligner que la vie, aussi guillerette d’apparence soit-elle, est inséparable d’une forme tonitruante de violence. Un peu comme si, loin de la machine à faire pleurer dans les chaumières, loin des facilités du feel good movie, My Girl, bouleversant grâce à sa tenue à distance du pathos et à sa précision lors des scènes les plus émotionnelles, introduisait avec justesse l’éphémère de notre existence dans un film pour enfant. Un peu comme si, enfin, Howard Zieff et ses scénaristes souhaitaient rendre la mort plus supportable, ou moins douloureuse, auprès leur public principal.

Beaucoup de choses ont été dites sur ce procédé, en bien comme en mal, mais on a sans doute trop peu souligné comment l’équipe du film, faisant cela, est parvenue à établir une relation particulière avec le public, tant la mort du petit Thomas semble avoir marqué toute une génération, née au cours des années 1980. Julien, 30 ans, en garde ainsi «l’impression d’un film qui ouvre les portes de la nostalgie, du temps qui passe et de la vie qui, brutalement, au cours d’un jeu et de rires, peut s’arrêter… Enfant, j’avais l’impression quand je regardais ce film que Macaulay Culkin allait revenir, ressusciter. Un enfant aussi peut mourir et ça, personnellement, ça a vraiment été un choc émotionnel, voire existentiel!»

Partagé entre cette vision réaliste de notre passage sur terre et une ambiance presque réconfortante, entre quelques facilités de mises en scènes et une puissance émotionnelle incroyable, My Girl n’aurait pu être qu’un énième teen-movie tristement bancal. Il trouve au contraire un point d’équilibre dans un happy-end peu surprenant, mais finalement très délicat avec la lecture du poème de Vada:

«Ô mon beau saule pleureur aux fleurs en cascade/Pourquoi fais-tu couler ces larmes de jade ?/ Parce qu’un jour il a dû te quitter ?/ Parce qu’un jour il a dû s’en aller ?/ À tes branches, il aimait grimper/ Ton cœur regrette-t-il le bonheur de ces jours aimés ?/Tes feuilles toutes inondées de soleil/Riait de ses folies, riait de ses merveilles/Bel arbre triste, cesse de pleurer/Retiens ta peine et sache apaiser ton âme/Tu crois que la vie a abandonné ton bel ami/Mais en toi constamment il renaît»

C’est joliment interprété, ça donne une note d’espoir et, surtout, ça laisse une belle empreinte dans notre esprit.

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