Mis en examen durant la nuit du vendredi 20 au samedi 21 novembre pour évasion, Jean-Pierre Treiber a refusé de livrer des explications sur sa fuite, qui aura duré 74 jours. Le principal suspect du meurtre de Géraldine Giraud et de Katia Lherbier a retrouvé la prison à Fleury-Mérogis.
«Il sera l'objet d'une nouvelle convocation la semaine prochaine certainement, pour s'expliquer» devant la juge d'instruction à Auxerre, a précisé le procureur. «Il nous est apparu calme et assez serein. Maintenant l'instruction s'oriente vers le recel de malfaiteurs. L'audience correctionnelle, concernant l'évasion, aura lieu «si possible avant le procès aux assises» pour le double assassinat, prévu en avril 2010, a indiqué le procureur.
Trois couples sont actuellement en garde à vue à Melun, soupçonnés d'avoir assisté Jean-Pierre Treiber dans sa cavale,
Le point commun de ses auteurs de cavales longues ou courtes est d'avoir, un jour, pris la poudre d'escampette au nez et à la barbe des autorités. Et immédiatement, la vox populi de les propulser, via le Web, au rang de héros. De prophètes même: «Ils ont fui, ils ont tout compris!», disent les groupes de fans de Tony Musulin et de Jean-Pierre Treiber qui se sont spontanément constitués sur le site communautaire Facebook. Qu'est-ce que ces fugitifs auraient-ils compris de la vie qu'ignore le commun des mortels? L'un comme l'autre ont pourtant fini par être capturés.
Ici même, Philippe Boggio analyse longuement les arcanes de cette fascination que peuvent avoir les Français pour les mauvais garçons en cavale - à condition qu'ils agissent sans violence mais avec panache. Le fait de défier l'Etat, et plus généralement l'autorité et l'ordre établi, semble également jouer. Comment sinon expliquer la transformation d'un Treiber en star du Web malgré la gravité des faits qui lui sont reprochés (un double meurtre)? Cet homme quelconque, au physique ingrat, que l'on disait solitaire et sans attaches, semble surtout fasciner par sa capacité de déjouer toutes les tentatives des gendarmes de le capturer, et ce depuis le début spectaculaire de sa cavale, le 8 septembre dernier. «Treiber, l'homme qui file entre les doigts!», s'exclame un Internaute.
Tirer sa révérence, tourner la page. Disparaître. Un sujet porteur - souvenons-nous du succès de l'émission «Perdu de vue» de Jacques Pradel et plus près de nous de «FBI, portés disparus» - pour un geste qui inspire le respect, sinon l'envie. Echapper à sa famille, à son travail, aux contraintes... Qui n'a pas rêvé un jour de disparaître sans laisser de traces? Et ce à une époque où nous avons l'impression d'être sans cesse épiés et fichés, une époque où le «droit à l'oubli» sur Internet devient une revendication et l'expression d'une liberté fondamentale?
Pour les forces de l'ordre, cette réalité reste beaucoup plus prosaïque. Et prend un tour beaucoup plus dramatique lorsqu'on rentre dans la catégorie des «disparitions inquiétantes de personnes», surtout lorsqu'il s'agit de la disparition d'un enfant. Ces dernières obéissent à un protocole particulier même s'il s'agit, au départ, d'une simple fugue. Dans le cas d'un kidnapping avéré, le plan «Alerte enlèvement» est déclenché: une procédure qui s'inspire de la «Ambert alert» introduite aux Etats-Unis dès 1996 (2003 au Canada). En France, toutes les disparitions inquiétantes sont traitées par un Office central (l'OCDIP) chargé de coordonner l'action des services de police et de gendarmerie sur le terrain.
La liste de personnes recherchées diffusée par le ministère de l'Intérieur continue néanmoins de mélanger de manière troublante les fugitifs aux disparitions inquiétantes. Au grand dam des familles des victimes. Les chiffres, même approximatifs, sur cette réalité font froid dans le dos: on estime à quelque 10 000 les personnes qui, chaque année, disparaissent en France. Les causes sont multiples, certes, et une grande majorité sont retrouvées. Mais un certain nombre ne réapparaissent jamais. Disparues, mortes et enterrées? Un autre chiffre glace les sangs: en France, chaque année entre 800 et 1 000 personnes meurent «sous X», à savoir sans que l'on sache leur identité.
Ruth, la mère d'Ilan Halimi enlevé et torturé à mort par le «gang des barbares», se souvient encore de la première fois où elle a pénétré au siège de la Brigade criminelle et vu cet immense mur sur lequel s'étalent les visages des disparus. «Il y a là des visages par dizaines, des enfants, des adolescents, des adultes, tant de vies dont on ne sait ce qu'elles sont devenues... Et derrière elles, combien de familles brisées ? Ne pas savoir est une torture», écrit-elle dans son livre 24 jours, la vérité sur la mort d'Ilan Halimi (Seuil, 2009). Plusieurs mois plus tard, elle avouera que ce jour-là, au plus profond d'elle-même, elle a su qu'elle ne reverrait pas son fils vivant.
L'incertitude pendant des années, l'absence de sépulture sur laquelle se recueillir... Certains créent une association, un site Internet, comme autant de bouteilles lancées dans la mer ; les plus fortunés engagent des détectives privés. Plus que le meurtre et l'assassinat, ces disparitions-là constituent une plaie ouverte pour les proches, incapables de commencer leur travail de deuil. En ce, le droit international ne se trompe pas: les «disparitions forcées» sont considérées comme un crime imprescriptible au même titre que les crimes contre l'humanité.
En France, la loi prévoit un délai de dix ans avant qu'un individu ne soit déclaré «officiellement» disparu. Alors un tribunal acte la disparition, et la personne n'a plus d'existence juridique. Un rêve pour les uns, un cauchemar pour d'autres.
Alexandre Lévy
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Image de Une: Une battue pour retrouver un enfant disparu Reuters