Jean-Pierre Treiber, unique accusé du double assassinat de Géraldine Giraud et Katia Lherbier en 2004, s'est suicidé samedi 20 février au matin dans sa cellule de la maison d'arrêt de Fleuris-Mérogis (Essonne), à deux mois de son procès prévu fin avril, a annoncé le ministère de la Justice.
«Jean-Pierre Treiber s'est suicidé ce matin. Le corps a été découvert par des surveillants pénitentiaires à 07H00 à l'occasion d'une ronde», a déclaré Guillaume Didier, le porte-parole de la Chancellerie.
Jean-Pierre Treiber, qui a toujours clamé son innocence, devait être jugé fin avril début mai par la cour d'assises de l'Yonne pour le double meurtre de Géraldine Giraud et de son amie Katia Lherbier, dont les corps avaient été retrouvés au fond d'un puisard dans sa propriété de Villeneuve-sur-Yonne (Yonne). Son suicide met fin à l'action de la justice.
RTL avait annoncé le 20 novembre 2009 l'arrestation de Jean-Pierre Treiber, 41 ans, près de Melun en Seine-et-Marne, avec «deux personnes qui l'auraient aidé». La cavale de Treiber, suspect en cavale dans l'affaire du double meurtre Giraud-Lherbier, avait duré 78 jours après une évasion rocambolesque de la maison d'arrêt d'Auxerre, le 8 septembre. Cet article, paru au lendemain de la reddition de Toni Musulin, revient sur la fascination des Français pour les bandits et les fugitifs.
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Nous sommes nombreux, sans doute, à préférer l'autre scénario, celui dans lequel Toni Musulin ne s'est pas rendu - d'ailleurs, personne ne se rend, à Monaco, surtout pas les filous enrichis. Sa fuite se poursuit sans anicroches. Il a réussi à distancer les policiers, qui le croient déjà en Serbie, au prétexte que l'ex-convoyeur de fonds de Loomis est d'origine serbe. Monaco n'est qu'une virée à moto, une séance de lèche-vitrine, juste pour se donner une idée de ce qu'on peut s'offrir avec 11 millions d'euros et des poussières.
Oui, parce que, dans notre histoire, Toni Musulin n'a pas non plus laissé s'envoler la plus grosse part de son butin, dans son fric-frac lyonnais du 5 novembre. Il n'a pas cherché à empiler ses bottes de liasses non répertoriées (500, 50 et 5€) dans un box, et les enquêteurs ne les ont donc pas trouvées. Costaud, préparé à l'opération dans une salle de musculation, il a transféré son quintal d'espérance sans s'énerver dans sa camionnette de location, après son passage par la succursale de la Banque de France, et, gardant ses deux heures d'avance à peu près intactes, il a filé droit devant lui.
Il s'est vite retrouvé à proximité de la frontière suisse, mais s'étant renseigné sur la fin du secret bancaire helvétique, il s'est bien gardé de la franchir. La neige étant précoce, cette année, il s'est mêlé aux premiers skieurs des stations des Alpes. Il a loué un appartement, un garage pour sa camionnette, et en attendant que l'affaire se calme, que la police se lasse, il a décidé d'apprendre le ski. Le soir, il regarde ses 2 millions d'argent de poche, qui dorment sur un lit d'enfant, et il zappe sur les chaînes satellite, à la recherche de son futur paradis tropical pour millionnaires. Chaque matin, il part en télébenne enterrer un nouveau morceau de son butin au pied d'un arbre différent, qu'il marque, en lisière de la piste bleue...
Les méchants plutôt que les bons
La presse étrangère, surtout anglo-saxonne, s'étonne de notre très française passion pour l'aventure de Toni Musulin, et du bruit que celle-ci fait sur Internet. Nous aurions un penchant coupable pour les bandits et les détenus en cavale. Les escrocs sympas et les belles aventurières. Les méchants, plutôt que les bons. Les monte-en-l'air, les perceurs de coffres, plutôt que l'inspecteur qui ramène l'ordre et sauve la morale. La faute, évidemment, à notre commun fond d'anarchisme. A notre difficulté à nous plier à la loi, à résister au Système D, à la triche avec l'impôt et l'administration.
Eh bien, oui, avouons-le à l'Anglais et à l'Américain, tels nous sommes. Dans certains forfaits, nous voyons d'abord la belle ouvrage. Le panache. L'astuce de l'homme seul. Le «casse» de Toni Musulin est exemplaire de ce point de vue, et il mérite amplement de faire forum. Même si son histoire paraît finir piteusement, il est à ce jour l'auteur du hold-up parfait, et le plus simple qui soit. Aucune violence. Juste un convoyeur de fonds qui éloigne ses deux jeunes collègues, et qui tout bêtement passe la première de son fourgon. Enfantin. Cent mètres plus loin, voila la Banque de France lestée de ses 11 millions. Et, encore cent mètres plus loin, le convoyeur devenu l'égal, le maître, même, des plus grands détrousseurs de l'histoire et de la légende. Un tel récit vaut bien que la foule salue l'exploit. Le range dans son Panthéon des «beaux voyous». Avec Albert Spaggiari, le concepteur du casse, par les égouts, de la Société Générale de Nice, en 1976. Avec la bande, quelques mois plus tard, qui a réussi la même opération - un week-end, les égouts, le sous-sol de la banque - à la Société Générale de l'Ile Saint-Louis, à Paris.
Le Web n'existait pas alors, mais tout le pays a suivi ces affaires avec jubilation. Albert Spaggiari avait laissé un message, sur un mur, à l'intention des enquêteurs et de la postérité: «sans armes ni haine ni violence». Car les Français ont, avec l'illégalité, une position tranchée, que nos amis Anglo-saxons ne s'y trompent pas: ils apprécient les forfaits sans violence. Et seulement dans le rapport à l'argent de la banque. Les viols, les crimes de sang, la pédophilie déchaînent ici la même réprobation qu'ailleurs. La presse étrangère s'illusionne en voyant en nous les héritiers communisants de Robin des bois.
Braquer la banque
Rien à voir. Nous n'applaudissons pas vraiment celui qui redistribue le trésor détourné par les fermiers généraux - même si Mandrin est un héros bien de chez nous. La suite est secondaire. Tant mieux si le filou est un homme généreux, et qu'avec son butin, anonymement, il soutient l'action d'Emmaüs ou de Médecins sans frontières. L'important est d'abord qu'il soit parvenu à prendre les écus à l'intérieur du coffre, fermé à clé.
Comme ses prédécesseurs, le fric-frac de Toni Musulin a évidemment une fonction thérapeutique dans la société. Il vide la banque à notre place. Il réussit là où nous échouons tous, et tant mieux. Les Anglo-saxons ont la mémoire courte: les Anglais ont suivi avec un vif intérêt, plusieurs décennies durant, les rebondissements de la fuite, de par le monde, de Ronnie Biggs, le chef en second du hold-up du train Glasgow-Londres, en 1963. Pour les mêmes raisons que nous avons, ici, prié pour que Spaggiari ne se fasse pas reprendre. Il faut bien, symboliquement, que la banque soit attaquée.
Soyons francs, nous y avons tous pensé, surtout quand la nôtre nous refuse un découvert. Sur le trottoir, nous retournant, l'air sombre, nous avons tous pensé, un jour: quel bonheur ce serait de tout rafler, et de filer au soleil. Chaise longue, daiquiri et jolies filles. La tête du banquier!
En forçant le trait, bien sûr, on peut même se demander si Toni Musulin, plus qu'un autre, n'est pas tombé à pic pour rendre un peu plus supportable ces temps sociaux de crise de l'argent. 11 millions d'euros, c'est moins que se partagent les traders en bonus de fin d'année, mais ça permet, à peu de frais, de se donner le droit, bien innocent, d'imaginer ce que chacun de nous ferait d'une somme pareille.
Philippe Boggio
Image de une: autour de Lyon en 1995, lors de la traque de deux terroristes présumés / Robert Pratta REUTERS
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