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Inde - Chine: un duel de géants pour une suprématie régionale

Temps de lecture : 3 min

La querelle entre les deux pays à l'occasion de la visite du dalaï lama symbolise la féroce bataille pour la suprématie régionale.

Frontière entre la Chine et l'Inde, à Bumla, dans l'Etat de l'Arunachal Pradesh, le 11 novembre 2009. REUTERS/Adnan Abid
Frontière entre la Chine et l'Inde, à Bumla, dans l'Etat de l'Arunachal Pradesh, le 11 novembre 2009. REUTERS/Adnan Abid

Considérée comme «une provocation» par la Chine et comme une affirmation de souveraineté par l'Inde, la visite du Dalai Lama, chef spirituel des tibétains dans l'état indien d'Arunachal Pradesh, frontalier du Tibet provoque une nouvelle tension entre les deux géants d'Asie. A 40 km de la frontière chinoise, Tawang qui abrite le plus grand monastère tibétain en Inde, a été la première étape du Dalai Lama fuyant Lhassa en 1959.

La Chine qui lors de la guerre de 1962 avait occupé l'Arunachal Pradesh revendique cette région qu'elle qualifie de «territoire disputé» en l'absence d'un règlement de la question frontalière qui l'oppose à New Delhi. Conscient du traumatisme et de l'humiliation toujours ressentis en Inde face à la défaite de 1962, le quotidien du Peuple rappelait récemment: «l'Inde a-t-elle oublié la leçon de 1962 quand ses provocations répétées ont conduit à la guerre. L'Inde est une nouvelle fois sur la mauvaise pente». En laissant le Dalai Lama accomplir cette visite malgré les protestations virulentes de la Chine, New Delhi a voulu pour sa part réitérer que «l'Arunachal Pradesh fait parti intégrante de l'Inde».

Cette guerre verbale, dont personne ne pense qu'elle ira au delà, illustre la méfiance qui caractérise les relations entre les deux puissances qui se disputent pour la suprématie en Asie. L'émergence de l'Inde sur la scène internationale inquiète d'autant plus la Chine que celle-ci s'est faite sous l'ombrelle américaine. Le traité de coopération nucléaire civile signé entre New Delhi et Washington irrite Pékin. Symbole du rapprochement entre les Etats-Unis et l'Inde, ce traité qui offre des concessions inédites à un état non signataire du traité de non prolifération nucléaire, témoigne pour Pékin de la volonté américaine d'utiliser l'Inde pour contenir la Chine. La nouvelle assurance de New Delhi sur la scène régionale inquiète aussi Pékin qui regarde avec suspicion la multiplication des manœuvres entreprises par l'armée et la marine indienne avec les Etats-Unis comme avec le Japon ou l'Australie.

Ces derniers mois, les dirigeants indiens se sont aussi éveillés au danger de la frontière toujours problématique avec la Chine. Au grand dam de Pékin, New Delhi a annoncé en juin le déploiement non loin de la frontière chinoise de deux divisions de montagne supplémentaires et de deux escadrons de chasseurs. L'Inde a aussi entrepris des travaux d'infrastructures (terrain d'atterrissage, routes) pour tenter de compenser son sous-développement dans une région stratégique alors que la Chine a depuis longtemps construit routes, aéroports et chemin de fer de son côté de la frontière.

Malgré les visites officielles devenues plus régulières ces dernières années, l'augmentation constante du commerce bilatéral, les tentatives de coopération dans le domaine énergétique, la Chine reste dans le subconscient indien un ennemi potentiel. En 1998, le premier ministre d'alors Atal Bihari Vajpayee avait dû reprendre son ministre de la défense qui avait déclaré que la bombe nucléaire était nécessaire face à «la menace chinoise».

Plus récemment le rédacteur en chef de l'Indian Defense Review, une publication proche de l'armée, Bharat Verma prévoyait que la Chine attaquerait l'Inde avant 2012, à la fois pour masquer ses problèmes internes et afficher sa suprématie en Asie. Les relations étroites entre Pékin et Islamabad ne sont pas faites pour plaire à l'Inde mais c'est la récente pénétration chinoise dans «son arrière cour» qui inquiète New Delhi. La Chine a investi un milliard de dollars au Sri Lanka pour la construction du port d'Hambatota, sur la côte sud et a développée une série d'infrastructures sur les côtes du Bangladesh, de Birmanie, de Thaïlande sans compter le port pakistanais de Gwadar.

Dans un nouvel ordre mondial qui se cherche, les deux géants d'Asie veulent garantir leur place. La Chine a pour l'instant plusieurs longueurs d'avance sur l'Inde et entend bien les conserver alors que l'Inde cherche à rattraper très vite le temps perdu. Dans cette lutte souterraine, la visite du Dalaï Lama à Tawang n'a été qu'une occasion de plus pour les deux pays d'affirmer leur point de vue.

Françoise Chipaux

Image de une: frontière entre la Chine et l'Inde, à Bumla, dans l'Etat de l'Arunachal Pradesh, le 11 novembre 2009. REUTERS/Adnan Abid

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