Monde

Ce 28 juin hondurien où il ne serait rien passé

Temps de lecture : 4 min

Le coup d'Etat est passé sous silence par les médias proches des putschistes.

Maculées de «Dehors Pinocheletti», «Reviens vite Mel» ou «Une seule solution, la Révolution», les rues pentues et sinueuses de Tegucigalpa, la capitale hondurienne, font écho à celles de Santiago du Chili d'il y a trente ans. «La nuit tombe et Morazán veille», dit le proverbe local en hommage au président fondateur de la très éphémère Fédération centre-américaine (1829-1838). La maxime vaut cri de ralliement pour l'actuelle «Resistencia» fidèle au président déchu, qui écrit nuitamment sur la pierre ce qu'on a peu de chance de trouver sur papier ou à l'écran le lendemain matin. «HRN, putschistes. Vive Globo la voix du peuple!». D'autres peintures de guerre innovent en pointant les médias de chaque camp. Dirigé par le magnat José Rafael Ferrari au sein d'un conglomérat incluant également le groupe télévisuel Televicentro, HRN est la station de radio à l'audience la plus large. En face, Radio Globo compte parmi les rares médias nationaux à avoir suivi une ligne d'opposition résolue au coup d'Etat qui renversa Manuel «Mel» Zelaya le 28 juin dernier.

Au Honduras, deux lexiques s'affrontent et cette guerre des mots a commencé par voie de presse. A ceux qui dénoncent, d'évidence, un «coup d'Etat», répliquent les tenants d'une «succession constitutionnelle» voire «présidentielle» ou plus banalement du «28 juin». Difficile évidemment de nier que la «crise politique» s'est aggravée. Difficile également de ne pas voir dans les élections controversées prévues le 29 novembre un brevet de démocratie sur mesure pour un gouvernement né d'un coup de force. Les maigres espoirs suscités par l'accord de sortie de crise du 29 octobre n'ont pas tenu une semaine. Mel Zelaya ne sera pas rétabli dans ses fonctions, et l'administration Micheletti a fini par s'adjuger le titre de «gouvernement d'unité et de réconciliation nationale». Sans unifier ni réconcilier mais qu'importe. La guerre des mots s'accommode assez bien de ce genre de subterfuge et c'est sans doute la particularité de ce coup d'Etat hondurien que d'avoir atteint son but en tentant de se passer lui-même sous silence.

Les putschistes ont besoin des médias. L'affaire n'est pas nouvelle. Sans porte-voix, pas de putsch. Un coup de force contre le pouvoir en place doit se «vendre» sous un autre nom, surtout aujourd'hui et surtout si le pouvoir renversé procède du suffrage, pour gagner les faveurs de l'opinion. Qu'on se souvienne du Chili en 1973, de l'Argentine trois ans plus tard ou, dans un genre plus libérateur, de la Révolution des Œillets au Portugal à la même époque, la prise d'assaut des médias a immédiatement suivi celui des quartiers présidentiels. Messages codés, marches militaires ou musique douce laissent entendre que «quelque chose» se prépare ou est en train d'avoir lieu avant la prise de parole du triomphateur. Manuel Zelaya délogé et expulsé au Costa Rica, les militaires honduriens ont, comme d'autres, pris soin de mater très vite les voix dissidentes, jusqu'à la presse étrangère. Mais le putsch du 28 juin a aussi et surtout pu compter avec des médias non seulement complices, mais acteurs. Et pour cause.

Militaire dans l'instant, le coup d'Etat a d'abord et été voulu et organisé par une oligarchie industrielle surreprésentée au sein de la classe politique, que mécontentaient fort la tentative de consultation populaire de Mel Zelaya en vu de réformer la Constitution ou les alliances - plus économiques que vraiment idéologiques - du président au sombrero avec les nouvelles figures de la gauche radicale latino-américaine, Hugo Chávez en tête. Or, au Honduras, les anciens chefs d'État décidés à en découdre avec leur successeur sont aussi des patrons de presse. La Tribuna, quotidien traditionnellement proche du Parti libéral (celui de Manuel Zelaya) appartient à l'ancien président Carlos Flores Facussé. Radio Cadena Voces, station de large audience, émane du puissant groupe INVOSA que dirige le prédécesseur direct de Manuel Zelaya, Ricardo Maduro Joest, issu des rangs de l'autre grand parti, le Parti national (conservateur).

Bâilleur de campagne, faiseur ou défaiseur de carrières politiques, le magnat Jorge Canahuati Larach détient quant à lui les deux autres grands quotidiens du pays, La Prensa et El Heraldo, étendards médiatiques du Parti national. Tous ont voulu la mort politique de Mel Zelaya et tous l'ont obtenu par une stratégie médiatique, accréditant tantôt la thèse selon laquelle le président déchu était en fait le vrai putschiste, privilégiant plus souvent la chimère d'une «succession présidentielle» en bonne et due forme. Il ne se serait donc rien passé. Dans les colonnes ou sur les ondes, l'instant de rupture n'a pas eu lieu.

Le coup d'Etat n'aurait pas tenu dans la durée sans ces fables. Qu'elles n'aient guère trompé la communauté internationale, globalement consciente de la réalité du coup d'Etat, n'y change rien. Car la même communauté internationale a d'une certaine façon servi la ligne de ces médias en croyant, sur le moment, à un accident sans lendemain. Un coup d'Etat? Aujourd'hui? Une vieillerie des années 1970 que l'on règle de nos jours au bout de trois semaines, pensez-vous! L'ordre règnera bientôt à Tegucigalpa. Et justement. L'ordre a régné. Bancal, fragile, mais il a régné. Surgi comme autrefois d'une alliance entre les latifundiaires et l'armée. L'histoire balbutie douloureusement mais les élections du 29 novembre voulues à toute hâte par un gouvernement illégitime est là pour sauver les apparences démocratiques. La guerre des mots peut reprendre sur les murs et dans la presse. «Légalisation du coup d'Etat», dit-on ici, «une sortie de crise», réplique-t-on là à propos de ce scrutin dont le vainqueur sera mal élu et récusé par une partie de la communauté internationale. D'opposition ou putschiste, la presse hondurienne va sans doute vivre un 29 novembre aussi lourd qu'un 28 juin.

Benoît Hervieu, Bureau Amériques de Reporters sans frontières

Image de une: supporters du président Zelaya, lors d'une manifestation le 14 novembre 2009. REUTERS/Nicolas Garcia

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