Tant qu’à trouver des journées remarquables... Ce 1er décembre, quelques heures avant que François Hollande n’admette son impossible, un jeune fantôme revenait dans l’actualité, évidemment éclipsé par la passion elyséenne. Il s’appellait Rémi Fraisse, militant écologiste tué d’une grenade gendarmesque en octobre 2014, dans des affrontements autour du projet de barrage de Sivens, dans le Tarn. Hier, le défenseur des droits, Jacques Toubon, donnait un avis sur la tragédie de Fraisse, et fustigeait l’État, le Préfet et les autorités civiles, qui avaient laissé libre cours aux forces de l’ordre et à leur violence, légitime et malheureusement meurtrière…
On aurait pu longuement disserter sur cette responsabilité d’un État et d’un pouvoir de gauche. Les habitudes monarchiques –le roi abdique, le roi souffre, le roi plaide, le roi est émouvant– nous ont distrait de l'essentiel. Il est pourtant des coïncidences incontournables. Le sort de François Hollande n’est qu’une anecdote. La mort de Rémi Fraisse est irréparable.
Le bilan d'Hollande et du socialisme au pouvoir
Quand on fera le bilan du socialisme au pouvoir, la mort d’un militant pèsera beaucoup plus que le renoncement d’un Président abandonné des siens et de l’opinion. La comédie de la dignité et les ritournelles sur un «homme d’État» qui atteindrait cette distinction en fuyant une défaite inévitable, font partie des codes du petit monde politique. La sensiblerie médiatique et l’hypocrisie politique sont deux cousines imbéciles. Elles masquent le dénuement.
Ayant usé et abusé de la patience des siens, abandonné ou trahi par ceux-là mêmes qu’il avait promus, manipulés, utilisés, délaissé par une opinion indifférente, ayant épuisé toutes les ruses et toutes les habiletés pour exister encore, François Hollande n’est plus que son bilan: la disparition de la gauche dont il était l’incarnation.
C’est sous son mandat que des gendarmes, dûment envoyés par le pouvoir, ont malencontreusement tué un jeune homme en défendant un barrage que ni le droit, ni la nécessité, ne justifiaient. C’est sous son mandat que la gauche a oublié les plus élémentaires de ses réflexes. C’est avec lui que le socialisme a cessé d’exister.
On a le droit, alors, de trouver anecdotique l’éventuel remplacement du Président par son Premier ministre, qui aura incarné, tout au long de ce quinquennat, la conversion de la gauche au primat de l’ordre. Manuel Valls possède une violence et une clarté qui peuvent soulager, après les plaintes présidentielles. Si la politique n’est que darwinisme, il suffira. Si l’on se soucie un instant d’idéologie, ce vieux cadre qui précède l’action, on gagnera à en discuter.
Les champs de ruines
François Hollande s’en va dans une solitude atroce, mais qu’il a fabriquée lui-même
François Hollande est parti deux fois en laissant un champs de ruines. En 2008, il quittait le Parti socialiste qu’il avait dirigé onze ans. En 2016, il renonce à défendre l’Élysée après quatre ans d’un mandat destructeur. Les deux moments se ressemblent. François Hollande s’en va dans une solitude atroce, mais qu’il a fabriquée lui-même, et à chaque fois pour la même raison: le refus de la politique –étrange paradoxe, pour un homme dont la vie n’aura été consacrée qu’à cet art incertain.
Le PS, sous Hollande, singulièrement après 2002, s’était employé à fuir les débats d’idées et les clarifications, n’étant capable ni d’admettre son social-libéralisme, ni d’épouser les indignations ou les refus de ce qu’on appelait, alors, l’altermondialisme. À la place, des manipulations de symboles, des jeux de rôles, des manœuvres d’appareil, des théâtres d’ombres où l’on pouvait aussi bien se proclamer réformiste tout en applaudissant la CGT dans un congrès, sans rien en penser. À l’arrivée, la palinodie mystique de la candidature Royal, et puis la fin. Après Hollande, le PS s’abîma dans les haines et les tricheries du congrès de Reims. Il n’était plus rien, déjà.
Il fallut l’immense échec du sarkozysme et l’hypnose d’une campagne pour que tout ceci recommence.
La France et la gauche, sous Hollande, auront de même été soumises aux manipulations théâtrales, tout étant bon, jusqu’aux moments les plus sacrés, pour distraire l’attention populaire. Il faudra étudier en détail l’utilisation systématique des attentats, de l’histoire, des commémorations, dans la narration du régime. Il faudra rappeler tous les artifices d’un pouvoir proclamé de gauche, mais abdiquant toutes ses raisons, une à une, pour qu’on ne le jugeât point. Rendu économiquement à la doxa patronale, ayant épousé la religion de l’ordre, le hollandisme a masqué ses défaites en réveillant quelques pélerinages de la gauche: défendre Taubira, les homosexuels… Et juste avant la chute, la réhabilitation des morts de la Commune, geste bienvenu mais qui ne ressuscite pas Rémi Fraisse.
Le souci de l'habillage
Il est fascinant que dans son discours, François n’ait concédé qu’une faute, et se soit à ce point-là trompé sur les mots. «Je n’ai qu’un seul regret: d’avoir proposé la déchéance de nationalité parce que je pensais qu’elle pouvait nous unir alors qu’elle nous a divisé.»
Au PS déjà, Premier secrétaire, il justifiait ses immobilisme par le souci de l’unité...
Au PS déjà, Premier secrétaire, il justifiait ses immobilisme par le souci de l’unité... Comme si l’habillage, l’apparence, suppléait au jugement. La déchéance de nationalité était une habileté politicienne, au mieux vaine et ridicule, au pire honteuse, politiquement et moralement: en tous les cas indigne. Ce n’était pas le moment du remords, hier soir, pour un politique humilié?
Mais ce plaidoyer est aussi une fuite. Ne pas affronter une défaite promise, que l’on a organisée, pour avoir tour à tour perdu ses écologistes, sa gauche, ses socio-libéraux, son gardien de l’ordre, Duflot et Montebourg et Macron et Valls, c’est une nouvelle fois –une dernière fois– tricher politiquement. Comment avancer ensuite? On peut faire le procès d’un homme. Il est vain désormais. On ne juge pas les Bazaine idélologiques, et François Hollande aura eu l’habileté ultime de l’impudeur, pour échapper au jugement politique; le malheureux Guy Mollet, son prédécesseur en destruction, n’eut pas cette ruse.
Qu’importe, ou pas. Les indulgents plaideront l’humanité d’un social-démocrate égaré dans un pays monarchique, et qui n’aura jamais su, en tant d’années, faire éclater sa vérité? Finalement, c’est son problème. Il nous l’a imposé.
L'utilisation des gauches
On peut plaider, aussi, que François Hollande n’a eu qu’un tort: il n’a jamais su, pu, voulu, empêcher la gauche de se dissoudre dans ses contradictions et ses impasses… Mais toutes ces impasses, il les a utilisées à son profit.
Laissons François Hollande pour ne regarder que la gauche. Sous ce Président, sans le dire, elle a parachevé sa mue. Elle est de l’État et du libéralisme tempéré par la prévention, ne sait pas aller au bout de ses intentions et s’en montre d’autant plus incertaine, pas forcément inefficace d’ailleurs, mais l’efficacité ne dit rien de soi. Elle est à la tête d’un pays plus à droite que jamais, ce qui n’aide pas. Elle sera bientôt expulsée, sauf si? Elle suit le mouvement, comme elle peut. Si mal. Elle est une ploutocratie autoritaire adoucie par le passé et la tendresse des hommes.
On a appris joliment, hier, que l’homme le plus sobre du pouvoir, Bernard Cazeneuve, se prépare une belle aventure d’avocat d’affaire –c’est une rumeur, ou une vérité. C’est sa liberté. Elle est curieuse, évidemment, et logique. Il est une génération encore au pouvoir, qui se vit dévouée, qui l’est sans doute, mais qui a bien vécu dans ce dévouement, depuis les années 1980 qui ont inventé une gauche de l’État, de l’entreprise, des prébendes, des avantages, des jouissances que la morale excusait. C’est ainsi, et cela s’achève. Il fut un monde, une espérance, une illusion, qu’on appelait le socialisme. Elle peut nous manquer, au plus profond de nous même. Comment s’attarder à plaindre un instant François Hollande, qui nous l’a ôtée?