Cette semaine, dans une salve de tweets furieux, Donald Trump a tourné en dérision les «Démocrates...sévèrement battus», prétendu qu’il «avait remporté le vote populaire si vous déduisez les millions de personnes qui ont voté illégalement» et déclaré que quiconque brûlait le drapeau américain devrait être déchu de sa nationalité ou emprisonné un an. Ses sorties ont déclenché des réactions de panique. Comment peut-il croire à de telles inepties sur la fraude électorale? Pourquoi un homme qui vient juste d’être élu président jubilerait-il ainsi, menacerait-il des manifestants et insulterait-il la moitié du pays? Que se passe-t-il dans sa tête perturbée?
Pour comprendre Trump, il faut oublier les discours préécrits qu’il a prononcés avant son élection et les vidéos préenregistrées diffusées depuis. Il faut aussi mettre de côté la caricature qui le présente comme un misogyne attaché au Klan et un sympathisant nazi qui va déporter tous les immigrants qu’il pourra attraper. Regardez plutôt les quatre interviews qu’il a accordées depuis son élection: au Wall Street Journal, à l'émission «60 Minutes», au New York Times et à un groupe de présentateurs et de responsables de chaînes de télévision. Lors de ces échanges, qui ont tous eu lieu en dehors du contexte de la campagne, qui fausse les comportements, on voit à quel point il est malléable. Trump a vraiment mené une campagne méprisable et il représente une menace pour le pays et pour le monde. Mais pas parce que c’est un homme fort. Parce que c’est un faible.
Ça, c’est la version courte. Dans les détails, c’est plus compliqué. Voici les différentes facettes de la personnalité de Trump, comment elles s’imbriquent les unes dans les autres et pourquoi elles font de lui un homme dangereux.
1.Il veut qu'on l'aime
Pendant sa campagne, Trump a souvent joué sur la peur et la haine. Il a visé les musulmans, les réfugiés, les immigrés clandestins et tous les boucs émissaires qui pouvaient servir ses intérêts. Mais au fond, ce qu’il voulait vraiment, c’était l’amour de la foule conquise par ses charmes. Il a la maturité émotionnelle d’un enfant. Il est capable d’aimer les autres, mais uniquement si ce sont eux qui l’aiment en premier. Et c’est comme ça qu’il voit sa présidence. Dans son interview accordée au New York Times le 22 novembre, il a expliqué que son travail consistait à «prendre soin des gens qui ont vraiment prouvé qu’ils étaient... qu’ils aimaient Donald Trump».
2.Il est rancunier par réflexe
Quand il était mal placé dans les sondages, Trump fulminait contre Hillary Clinton, la presse et ses propres collègues républicains. Au soir de sa victoire, il a affirmé que ces rancunes étaient oubliées. Mais pas du tout. Dans des tweets publiés depuis les élections, il a réprimandé CNN, le «Saturday Night Live» et la troupe de Hamilton. Il a insulté les Démocrates pour leur soutien aux recomptages en cours, même après qu’ils ont admis leur défaite et expliqué qu’ils voulaient seulement s’assurer que les recomptages étaient correctement faits. Il a convoqué des responsables de la télévision à la Trump Tower le 21 novembre, les a traités de «médias malhonnêtes» et leur a reproché de le sous-estimer. Le lendemain, lors de sa réunion avec le New York Times, il s’est vanté d’avoir délibérément ignoré des demandes d’emploi et d’aide pour leur campagne de la part de deux candidats républicains au Sénat car ils ne l’avaient pas soutenu. Voilà comment Trump s’est conduit lors de sa lune de miel politique. Imaginez ce qu’il fera quand les choses sérieuses vont commencer.
3.Il a un ego fragile
Lorsqu’il a remporté la nomination républicaine au mois de mai, Trump a ostensiblement exulté pendant des mois. À présent, il jubile ouvertement à propos de son élection. Dans des tweets et des interviews, il a fanfaronné qu’il avait vaincu Clinton «facilement». Mardi, il a fait un nouveau tour d’honneur et claironné l’ajout du Michigan à son «écrasante victoire».
Pour comprendre à quel point ce comportement est central à la conscience qu’il a de sa propre personne, jetez un œil aux dix-neuf premiers paragraphes de son interview accordée au New York Times. Invité par le directeur du journal à prononcer un discours d’introduction, Trump a longuement parlé, non pas de l’avenir mais de son génie et de ses prouesses pendant sa campagne. Dans l’interview accordée le 11 novembre à «60 minutes», il s’est vanté du nombre de followers qu’il avait gagnés sur Twitter.
Un président élu qui a confiance en lui ne se comporte pas comme ça. Il n’agresse pas non plus une émission humoristique du soir. Et il ne convoque pas des dirigeants de chaînes pour se plaindre que certaines photos de lui qu’ils ont diffusées ne sont pas flatteuses. Trump fait ce genre de choses parce qu’il manque profondément d’assurance et qu’il est facilement blessé.
4.Il a terriblement besoin qu'on l'approuve
Trump donne souvent l’impression d’être indifférent aux sentiments des autres. Il ne faut pas s’y fier; il lui importe énormément d’être respecté et aimé. Regardez par exemple sa relation tordue avec le New York Times. Au cours des deux semaines qui ont suivi les élections, il a twitté que le journal était «méchant», «défaillant» et «que sa façon de couvrir [sa] campagne les avait fait passer pour des crétins» Ce qui ne l'a pas empêché de solliciter une rencontre et de se pointer en remuant la queue dans les bureaux de la rédaction du journal. Il a promis aux employés du New York Times une loi sur l’immigration qui «contentera même les gens présents dans cette pièce». Il leur a dit: «Ce serait pour moi une grande réussite si je pouvais revenir ici dans un an ou deux ans… et que plein de gens ici disaient: “Vous avez fait du bon boulot.” Et je ne veux pas dire juste un boulot conservateur, vu que je parle pas de conservateurs. Je veux dire, juste, on a fait du bon boulot.» C’est ça, Monsieur le Président. Gentil toutou.
5.Il se laisse facilement amadouer par la flatterie
Trump est un as pour accumuler les rancunes lorsqu’il se sent floué, menacé ou qu’il a l’impression qu’on lui manque de respect. Mais ses rancunes, comme ses engagements, peuvent s’effacer au moyen de petites doses d’affection. Il parle avec enthousiasme des généreux appels téléphoniques post-élections qu’il a reçus de la part des Clinton et des Bush. Il a fait l'éloge des deux familles en retour. Les menaces de poursuivre Hillary en justice? N'en parlons plus. Trump ne peut pas non plus s’empêcher de glousser de fierté au sujet de sa rencontre du 10 novembre avec le président Obama. Par trois fois au moins, il a prétendu avoir une «super alchimie» avec un homme qu’il n’avait jamais rencontré de sa vie et qu’il n’avait cessé de dénoncer comme étant le pire président de tous. Voilà avec quelle facilité la colère de Trump peut se transformer en chaleureuse affection –et vice versa.
6.C'est un Bisounours
Si Trump fait beaucoup de mal quand il sera président, ce ne sera pas par méchanceté. Qualifier Clinton de «méchante femme» depuis la sécurité d’une estrade ou menacer quelques brûleurs de drapeau de la peine de prison qu'elle avait, elle aussi, prônée, c’est facile. Mais Trump n’est pas assez courageux pour tenir tête à des millions d’Américains en colère.
Dans «60 minutes», il a reculé sur les questions de déportation, de criminalisation de l’avortement et de réouverture du débat législatif sur le mariage des homosexuels. Si Roe v. Wade, la décision de la Cour suprême autorisant l’avortement, était cassée, a dit Trump, le plus gros problème auquel seraient alors confrontées les femmes serait «qu’elles seraient obligés d’aller dans un autre État». En ce qui concerne les membres de la communauté LGBT, a-t-il plaidé, «j’en ai parlé lors de la Convention nationale des républicains! Et tout le monde a dit: “C’était trop bien.”» Trump ne comprend peut-être pas les effets de ses politiques ou de ses nominations, mais il sait de quoi il a besoin: de louanges. Ce n’est pas un chien d’attaque. Ce qu’il veut, ce sont des caresses.
7.Sa mollesse émotionnelle le rend moralement faible
Les détracteurs de Trump le voient comme un malfrat dont l’agressivité va nuire au pays et au monde. Certes, cela pourrait arriver. Cependant, il est bien plus susceptible de laisser les dégâts se produire parce que c’est un petit chienchien à sa mémère, alors que c’est d’un chien de garde dont nous avons besoin. Pour prendre un petit exemple: trois hommes qui avaient collaboré avec lui dans un projet immobilier en Inde l’ont rencontré après son élection, pris des photos avec lui et les ont publiées pour faire la promotion de leur entreprise. Quand le New York Times a interrogé Trump à ce sujet, il s’est défendu: «Qu’est-ce que je suis censé leur dire? “Je ne vais pas vous parler”? “Je ne vais pas prendre de photos”? … C’est humain, on prend des photos.»
Trump voulait juste être gentil. Or, ce genre de gentillesse peut causer des problèmes. Pendant la campagne, il a déclaré qu’il maintiendrait l’emploi aux États-Unis en menaçant les entreprises qui envisagent de délocaliser. Mais en tant que président élu, il n’utilise pas la menace. Il achète les gens. Il a décrit au New York Times une des «nombreuses» conversations qu’il a eues avec des PDG depuis son élection. «Nous allons créer des incitations pour vous», a confié Trump aux dirigeants d’entreprises. «Nous allons faire une grosse réduction d’impôts pour les entreprises, vous allez être contents.» Donc, les emplois resteront. Mais ils seront financés par les contribuables, et les employeurs contrôleront les transactions.
Trump est aussi un pigeon pour le président russe Vladimir Poutine. Il s’est répandu auprès du Wall Street Journal au sujet d’une «très belle» lettre que ce dernier lui a envoyée après son élection. «J’adorerais bien m’entendre avec la Russie», a confié Trump au New York Times. Il a prétendu, en se basant sur les réactions observées lors de ses meetings, que bien s’entendre avec la Russie rendrait également les Américains heureux: «Je disais ça devant des milliers de personnes. … “Est-ce que ce ne serait pas chouette si nous nous entendions vraiment bien avec la Russie? Est-ce que ce ne serait pas chouette de pourchasser l’EI ensemble?” … Et les gens se levaient et m’applaudissaient drôlement.»
Trump traite la présidence comme il traitait «The Apprentice»: tout est une question d'audimat. Il n’existe pas de limite qu’il ne serait prêt à franchir pour donner au public ce qu’il demande. Dans l’interview avec le New York Times, il explique qu’il pourrait retirer son soutien à la pratique du waterboarding s’il était prouvé qu’elle était inefficace pour soutirer des informations utiles. Mais il a ajouté: «Si c’est vraiment important pour le peuple américain, je l’autoriserai. Je serai guidé par ça.»
8.Il substitue la popularité aux codes de conduite
L’univers moral de Trump n’est régi que par l’affect, pas par les règles ni par la raison. Il a confié au New York Times qu’il pouvait combiner sa présidence et ses affaires comme il lui plaisait. Tout ce qu’il pourrait entreprendre pour limiter les conflits d’intérêts, a-t-il affirmé, ne serait que pure générosité de cœur de sa part. Il a également suggéré qu’il n’avait pas à s’inquiéter des conflits d’intérêts puisque les électeurs, en l’élisant, avaient montré qu’ils n’en avaient rien à faire. «Avant les élections, tout le monde savait que j’ai de grands intérêts dans des propriétés du monde entier», a-t-il tweeté. «Il n’y a que les médias pourris pour en faire toute une histoire!»
Trump est tout aussi méprisant sur le sujet de la transparence financière. «Allez-vous publier votre déclaration d’impôts?» a demandé la journaliste Lesley Stahl pour «60 minutes». «Tout le monde s’en fiche», a répondu Trump. «De toute évidence, le public n’en avait rien à faire, parce que j’ai gagné les élections très facilement.»
Il a balayé de la même manière les inquiétudes suscitées par son style politique façon terre brûlée. Le Wall Street Journal rapporte avoir demandé à Trump «s’il pensait avoir été trop loin dans son discours pendant la campagne». Sa réponse, selon le journal: «Non. J’ai gagné.» Gagner signifie que les gens ne se préoccupent pas de ce que vous avez fait. Et s’ils n'en ont rien à faire, alors ce que vous avez fait ne peut pas être mal.
9.Il confond polémique et mystère
Comme Trump donne la priorité aux émotions sur les faits, il se laisse facilement impressionner par l’intensité des choses. Mais dans le domaine scientifique, il est plus touché par le nombre de personnes qui croient quelque chose que par les preuves étayant ces croyances. «Il y a peu de cas où les divisions sont plus nombreuses que dans le domaine du réchauffement climatique», a-t-il expliqué au New York Times. «Il y a des gens qui ont un point de vue tout à fait différent.» Il a poursuivi: «Mon oncle a été professeur au M.I.T. pendant 35 ans. … Il avait des impressions là-dessus. C’est un sujet très compliqué. Je ne suis pas sûr qu’on saura vraiment un jour.»
Quelle expertise l’oncle de Trump possédait-il dans le domaine des prédictions climatiques? Pas grand-chose, dans la mesure où cet oncle était spécialisé en technologies médicales et des communications. Quelles preuves avait-il? Encore une fois pas du lourd, car il est mort depuis 31 ans. Mais il avait des «impressions», comme dit Trump. Ce qui est aussi le cas de tous ces «gens qui ont un point de vue différent». Le seul instrument scientifique dont Trump a besoin, c’est d’un doigt mouillé.
10.Il est insensible à la peine qu'il inflige
Si Trump est si sensible, comment ne voit-il pas toute la peur et le stress qu’il cause? Parce que cela nécessiterait qu’il accepte la critique, ce dont son ego est incapable. Dans «60 minutes», il a évité les questions sur ses invectives pendant la campagne, insistant pour dire que «[son] atout majeur c’est mon tempérament» et qu’il «ne peut pas regretter» la moindre de ses paroles. Si certains sont contrariés par son élection, cela ne peut pas être de sa faute, c’est donc forcément de la leur. «Il y a des gens, des Américains, qui ont peur, et certains d’entre eux sont en train de manifester, de manifester contre vous, contre votre discours», lui a dit Stahl. Trump a eu l’air perplexe. «C’est seulement parce qu’ils ne me connaissent pas», a-t-il répondu.
Trump est quasiment lobotomisé. Incapable de reconnaître sa responsabilité dans la haine et la peur qu'il a suscitées, il les reproche aux autres. Quand Stahl lui a dit que «les Afro-Américains ont l’impression d’avoir une cible dans le dos» et que les «musulmans sont terrifiés», il a haussé les épaules et affirmé que ces craintes étaient «montées en épingle par la presse, parce que franchement, ils prennent chaque petit incident... et ils le transforment en événement». Dans son interview au New York Times, Trump a prétendu que le faible taux de participation des noirs était un indicateur de sa popularité: «Plein de gens ne sont pas venus, parce que la communauté afro-américaine m’aime.» L’orgueil de cet homme est un puits sans fond.
11.Il ressent la douleur de ses alliés, pas celles de ceux qui ne sont pas comme lui
Trump ne voit pas l’intérêt de rassurer les communautés ethniques ou religieuses qu’il a visées pendant sa campagne. Le 10 novembre, alors qu’il visitait le Capitole, un journaliste l’a interpellé: «Allez-vous demander au Congrès d’interdire l’entrée du pays aux musulmans?» Trump a entendu la question, répondu «Merci à tous» et il est parti. Le lendemain, dans son interview pour «60 minutes», il a minimisé des propos racistes tenus par ses supporters qu’on lui rapportait, en les qualifiant de «vraiment très peu nombreux». Quand un journaliste du New York Times l’a interrogé au sujet d’une conférence de ses sympathisants qui ont «prêté allégeance au nazisme», Trump s’est étonné que les journalistes en soient encore à l’embêter avec ça. «Eh ben, c’est vraiment une obsession chez vous», a-t-il dit. Il a prononcé quatre mots bien passe-partout –«Je désavoue et condamne»– et il est passé à autre chose.
Mais quand ceux qui se sentent menacés par Trump défient ses amis, il se précipite pour les défendre. Le 18 novembre, le vice-président élu Mike Pence est allé voir Hamilton. À la fin du spectacle, la troupe a adressé un petit discours à Pence au nom de «l’Amérique de la diversité inquiète et angoissée à l’idée que votre nouvelle administration ne nous protège pas». Le message se concluait ainsi: «Nous espérons sincèrement que ce spectacle vous a inspiré pour défendre nos valeurs américaines et travailler au nom de tous.» Trump a réagi en attaquant la troupe sur Twitter et l’a accusée d’avoir «harcelé» Pence et violé «le lieu sûr et particulier» que constitue un théâtre.
Trump s’est également dressé pour défendre son bras droit, Steve Bannon, après qu’un journaliste du New York Times l’a interrogé sur cette nomination pour un poste à la Maison Blanche de quelqu’un «décrit par certains comme raciste et antisémite». Trump a qualifié Bannon de «type bien» qui aurait «été traité de manière tout à fait injuste». L’échange était curieux, notamment parce que Bannon lui-même, lors d’une interview accordée pendant la Convention républicaine en août, avait fièrement déclaré: «Nous sommes la plateforme pour l'alt-right.» Pourtant, Trump a assuré au New York Times: «Je connais Steve Bannon depuis longtemps. Si je pensais qu’il était raciste, ou alt-right, ou un truc comme ça... je ne songerais même pas à l’engager.» Trump ne fait pas tout un fromage du passif de Bannon. Il se contente de penser C’est mon ami, donc il est bien, et tout ce qu’il a dit est OK.
12.Il est facilement manipulé
Avoir un président fragile, narcissique et avide d’approbation n’est pas la fin du monde. Cela signifie simplement que si vous voulez qu’il fasse ce qu’il faut, il vous faudra le caresser dans le sens du poil. Nous avons déjà plusieurs modèles fort utiles dans les échanges post-élections de Trump.
Le premier, c’est Obama, qui lui a fait de la lèche pendant les 90 minutes qu’a duré leur entrevue du 10 novembre et qui, ce faisant, a peut-être sauvé la loi considérée comme la grande réussite de son mandat. Trois jours après cette rencontre, Trump a dit au Wall Street Journal qu’il était en train de reconsidérer son engagement d’abolir le programme d’assurance santé d’Obama: «L’Obamacare sera soit amendé, soit abrogé et remplacé.»
Le second modèle est le chroniqueur du New York Times Tom Friedman. Lors de la séance de groupe au siège du journal le 22 novembre, il a travaillé Trump au corps pour le conquérir et tenter de le mettre dans sa poche sur le sujet du réchauffement climatique. «Vous possédez des parcours de golf en bord de mer parmi les plus beaux du monde», a lancé Friedman. «Ça m’attristerait vraiment que le Royal Aberdeen soit inondé.» Quand Trump a dézingué les éoliennes, Friedman lui a susurré des mots doux: «General Electric possède une grande usine éolienne en Caroline du Sud.» Trump, avide d’approbation, a parlé aux employés du New York Times de ses «nombreuses récompenses environnementales» et s’est vanté: «En réalité, je suis un écologiste.» À la fin de la séance, Friedman le faisait manger dans sa main.
Le troisième modèle est une histoire que Trump a racontée au sujet de sa menace de réduire la portée du Premier amendement. Pendant les primaires, il s’est engagé à «réécrire nos lois sur la diffamation pour que quand des [journalistes] écrivent exprès des articles négatifs, horribles et faux, nous puissions les poursuivre et gagner plein d’argent». Mais lors de sa réunion avec l’équipe du New York Times, Trump a raconté que quelqu’un l’avait averti ensuite: «C’est une super idée de rendre ces lois plus souples, mais du coup vous pourriez être beaucoup plus poursuivi en justice.» «Vous avez raison, je n’y avais pas pensé», aurait répondu Trump, selon ses propres dires. Cette réflexion a incité Trump à assurer au New York Times qu’en matière de loi sur la diffamation, «vous serez tranquilles.»
Le quatrième modèle est Jim Mattis, le général à la retraite qui a rencontré Trump le 19 novembre pour discuter sa nomination en tant que secrétaire à la Défense. Trump a interrogé Mattis sur le waterboarding, dont lui-même était partisan. «Cela ne m’a jamais été utile», a répondu Mattis, selon ce que rapporte Trump de leur conversation. «Donnez-moi un paquet de cigarettes et deux bières, et j’obtiendrai de bien meilleurs résultats qu’avec la torture.» Trump a confié au New York Times qu’il avait été «très impressionné par cette réponse», surtout parce qu’elle venait «d’un vrai dur.» Le waterboarding, en a-t-il conclu, «ne va peut-être pas faire une grande différence, contrairement à ce que pensent beaucoup de gens».
Voilà comment manipuler Trump. Ne pas parler de morale. Jouer la carte de la force. Faire appel à l’art des affaires. Lui donner l’impression qu’il est intelligent, puissant et aimé. Ne pas oublier à quel point il est instable et en roue libre, mais mettre de côté sa propre peur et sa colère. Il faut remercier Dieu d’avoir affaire à un narcissique, pas à un tueur de sang-froid. Et jusqu’à ce qu’on puisse le sortir en toute sécurité de la Maison Blanche, il faut faire avec ce qu’on a. Les habitants d’autres pays gèrent des présidents comme Trump depuis longtemps. Est-ce qu’on peut y arriver? Yes, we can.