Personne ne s'y attendait vraiment mais, après un peu plus d'un an de détention à la prison de Fresnes, le rappeur français Lacrim –Karim Zenoud de son vrai nom– a été libéré, le 28 novembre 2016. Condamné en mars 2015 à trois ans de prison ferme pour détention et transport d'armes, Lacrim avait tenté d'échapper à cette incarcération en s'exilant en Espagne, au Maroc et en Thaïlande, avant de finalement se rendre à la police française, huit mois plus tard.
La sortie de prison de Lacrim marque donc le terme d'une longue attente de son public qui, avec plus ou moins de sérieux, réclamait depuis plusieurs mois sa libération. Une partie de ses fans protestait contre une peine sévère vis-à-vis des faits qui lui sont reprochés –exhiber et faire usage d'une kalachnikov dans l'un de ses clips «pour faire vrai»– et s'était fédérée autour d'un slogan commun «Libérez Lacrim».
L'expression, née durant sa première incarcération, en 2013, pour une affaire de braquage remontant à 2002, a alors refait surface.
#LiberezLacrim pic.twitter.com/VcfGnt2scu
— ÃD ÄM (@thesilveryoung) 19 avril 2016
Elle a trouvé un large écho en ligne chez ses fans, sur les réseaux sociaux, chez différentes personnalités et nombre de ses proches, à l'image des rappeurs SCH ou Mister You. Le slogan, devenu un mème populaire, se retrouve même scandé sur des plateaux de télévision. Lors de son passage à «Touche pas à mon poste», l'acteur et humoriste Malik Bentalha y est allé de son «Libérez Lacrim».
Plus tard, dans le «Jamel Comedy Club», c'est le duo d'humoristes Younes & Bambi, accompagné d'Alban Ivanov, qui reprenaient, à leur tour, l'expression dans une manifestation improvisée pour la libération du rappeur.
«Libérez Lacrim»
Mais, là où le slogan a véritablement connu son heure de gloire, c'est à l'occasion des manifestations contre la loi Travail, au printemps dernier, où s'invitent dans les cortèges de nombreuses références au rap français, de PNL à... Lacrim.
"Libérez Lacrim" pic.twitter.com/N3sKvOTV5c
— Mat' (@MateoVerdier) 24 mars 2016
Longtemps cantonné aux fans les plus fidèles du rappeur, le mème «Libérez Lacrim» se mue alors en running-gag préféré de jeunes et moins jeunes –comme l'a été, dans un autre registre, le désormais célèbre «signe de Jul», geste popularisé par le rappeur marseillais du même nom. Le mème fonctionne également –et surtout– comme une marque de soutien au rappeur incarcéré contre qui la justice ferait preuve, selon eux, d'une forme d'acharnement.
Au cours de cette cavale, Lacrim poursuit ses projets musicaux. Il sort plusieurs titres, dont le clip de «Sablier», tourné sur l'île de Phuket en Thaïlande
Le large écho qu'a pu rencontrer cette expression tient, en grande partie, à la légende que Lacrim a su construire, volontairement ou indirectement, autour de son personnage et de son parcours personnel et musical. Par l'intermédiaire de textes crus et parfois violents, de ses séjours en prison, de ses déboires avec la justice ou de sa cavale longue de près de huit mois, Lacrim a lui-même traduit cette stratégie commerciale et ce culte de la respectabilité par l'acronyme RIPRO («rusé, insoumis, professionnel, respectable, omertà») qu'il utilisera, par la suite, comme titre d'une mixtape diffusée en deux volets et préparée au cours de sa cavale.
Expliquer sa cavale
Au cours de cette cavale au Maroc, en Espagne et jusqu'en Thaïlande, Lacrim poursuit ses projets musicaux. Il sort plusieurs titres, dont le clip de «Sablier», tourné sur l'île thaïlandaise de Phuket, en compagnie de Seth Gueko, un autre rappeur français.
Au passage, il continue de donner des nouvelles à ses fans en partageant une photo de coucher de soleil depuis un hôtel thaïlandais –quitte à donner, contre sa volonté, l'impression de narguer les autorités françaises.
Dans mes sons j'ai jamais mentis, ce soir je m'endors au bord de la mer#Ripro #1erJuinDansLesBacs pic.twitter.com/5IvxyQQPni
— Lacrim (@Lacrim_Officiel) May 4, 2015
Cette cavale est également pour lui l'occasion de s'expliquer sur les raisons qui l'ont poussé à ne pas se rendre à la police française. Pour Clique.tv, Mouloud Achour s'est rendu au Maroc, dans un lieu tenu secret, pour le rencontrer. Le rappeur juge alors sa condamnation à trois ans de prison ferme sévère, voire injuste, compte tenu de ses efforts de réinsertion à la suite de son passage en prison, en 2013.
Interrogé par un juge, en 2013, il expliquait:
«Je suis artiste. Ça marche bien pour moi depuis un an et demi. J'ai signé dans la plus grande maison de disques au monde, Universal. D'ailleurs je fais déjà des concerts à l'étranger.»
«On me font passer pour celui que je ne suis pas»
Dans son entretien pour Clique, il dénonce aussi les conditions de son procès pour lequel il assure ne pas avoir reçu de convocation à temps; les «amalgames» des journaux et les interprétations médiatiques qu'il juge injustes et qui le font «passer pour ce qu'il n'est pas». Pourquoi a-t-il donc pris la fuite? Il évoque des engagements à tenir vis-à-vis de son label musical, mais aussi le souhait d'assister à la naissance de sa fille.
J’ai des choses à préparer et après je vais y aller. Je vais le faire. De toute façon je ne suis pas là pour la défier la justice
Après tout ça, Lacrim le répète: il se rendra.
«J’ai des choses à préparer et après je vais y aller. Je vais le faire. De toute façon je ne suis pas là pour la défier la justice. Je vais y aller, je suis obligé. [...] J’ai juste envie de m’en sortir. […] On verra.»
Quelques mois plus tard, sa décision est prise. Il annonce, le 9 novembre, sur son compte Facebook qu'il va se rendre à la police française. Avant cela, il accorde une dernière interview, au Parisien cette, pour expliquer une nouvelle fois les raisons de sa cavale.
«Cette décision était prise depuis longtemps. Quand j’ai pris trois ans de prison ferme, je n’ai pas réfléchi sur le coup, je suis parti. Ma femme était enceinte de trois mois à ce moment-là. Je ne savais plus quoi faire. [...] Depuis que j’ai fui, j’ai eu le temps de réfléchir. Ma fille vient de naître, elle a trois semaines. J’ai pu la voir, j’ai un fils aussi qui a cinq ans et là maintenant je vais payer ma dette.»
Le 9 novembre, après huit mois de cavale, le rappeur se présente au commissariat de L’Haÿ-les-Roses, dans le Val-de-Marne, décidé à enfin purger sa peine. Un an plus tard, le 28 novembre 2016, peu après sa libération, Lacrim publie un message sur Facebook. «Papa est de retour!», écrit-il dans une publication illustrée par une photo de Fidel Castro, décédé quelques jours plus tôt, accompagné de l'ancien président algérien Houari Boumédiène.
Pour ses fans, on s'amuse à penser que la mobilisation en faveur de sa libération a été entendue par la justice française. Et, bien que le rappeur soit aujourd'hui en liberté, le mème «Libérez Lacrim» semble aujourd'hui plus vivant que jamais.
Même si ils ont liberé je continurai a dir #LiberezLacrim
— Mario DSM (@DosMario28) November 28, 2016