Sciences

On lynche aussi chez les gorilles

Temps de lecture : 2 min

Avec les humains et les chimpanzés, c'est le troisième primate à manifester une aptitude pour la «violence coalitionnelle».

Gorille des montagnes, Ouganda | Rod Waddington via Flickr CC License by
Gorille des montagnes, Ouganda | Rod Waddington via Flickr CC License by

De son propre aveu, «c'est de loin le phénomène le plus surprenant et le plus perturbant» que Stacy Rosenbaum a pu observer durant toute sa carrière. Cette spécialiste du comportement social des gorilles des montagnes, affiliée à l'université de Chicago, parle ici du lynchage d'un gorille par 26 de ses congénères –dont des femelles et des juvéniles– qu'elle détaille dans une étude publiée le 16 novembre dans la revue Scientific Reports.

Le 14 octobre 2004, dans le parc national des volcans, au Rwanda, un mâle solitaire, Inshuti, s'approche du groupe Beetsme affairé à grignoter du bambou. Au départ, les mâles de ce groupe composé de 26 individus réagissent normalement à l'arrivée de l'étranger, c'est-à-dire en se tapant sur la poitrine, en frappant sur le sol et en remuant bruyamment la végétation –histoire de faire le maximum de barouf pour l'impressionner, sans contact direct.

Sauf que quinze minutes plus tard, notent les chercheurs, des cris inhabituels se font entendre: Inshuti est poursuivi par trois mâles qui le plaqueront au sol avant que le reste du groupe vienne le piétiner, lui arracher des poils et le déchiqueter à coup de dents. Certains mâles manifesteront même un comportement de prédateur typique, en secouant de gauche à droite les bouts de leur victime pris dans leur gueule. Malgré la violence de l'agression et la gravité de ses blessures, Inshuti survivra et sera même de nouveau tabassé en 2013.

En plus de cette seconde agression, Rosenbaum et ses collègues consignent un autre cas de lynchage, cette fois-ci mortel, survenu en 2010 et mentionnent d'autres observations similaires, datant des années 1990, pour lesquelles il n'existe que des témoignages informels.

Une violence inconnue

Ce qu'il y a de «surprenant» et de «perturbant» dans l'affaire, c'est que la «violence coalitionnelle» –quand plusieurs individus s'allient pour blesser et tuer d'autres de leurs congénères– était jusqu'à présent inconnue chez les gorilles, que les scientifiques étudient méthodiquement depuis une cinquantaine d'années. Avec son goût pour l'infanticide, le harcèlement sexuel et ses impressionnantes manifestations de force et autres techniques d'intimidation entre mâles, on savait que l'animal n'était pas un modèle de pacifisme, mais on estimait cette forme particulière de violence limitée à deux de ses cousins primates: les chimpanzés et les humains.

De fait, l'organisation sociale des gorilles –des groupes-harems, composés d'un mâle alpha veillant dans tous les sens du terme sur des femelles et leurs petits– n'est pas considérée comme propice aux agressions collectives. Le comportement survenant généralement quand, au sein d'une même communauté, plusieurs mâles se livrent une âpre concurrence pour l'accès aux femelles et aux ressources susceptibles de les «séduire» –ce qui s'observe chez les chimpanzés, et évidemment chez notre espèce, passée maîtresse dans l'art de la guerre.

Pas un trait propre aux espèces

Et c'est justement un tel changement démographique qui, pour Rosenbaum et ses collègues, a pu contribuer à l'apparition de la «violence coalitionnelle» chez les gorilles. Car avec un dimorphisme sexuel plus qu'accentué –les mâles sont bien plus gros et musclés que les femelles– et des mâles dotés de petits testicules, ce sont autant d'indices évolutionnaires qui concordent pour faire du harem mono-mâle et multi-femelles la structure sociale «traditionnelle» des gorilles. Sauf que depuis les années 1990, avec la popularisation des travaux de Dian Fossey qui auront notamment permis d'éloigner l'espèce de l'extinction, les gorilles des montagnes ont vu leurs groupes se masculiniser. Désormais, il n'est plus rare de croiser des communautés organisées autour de deux ou de trois mâles alpha.

Selon Alexander Georgiev, primatologue à l'université Northwestern n’ayant pas participé à l'étude, ces recherches ouvrent d'exaltantes portes scientifiques. «D'un côté, ce n'est pas très joli, commente-t-il sur ArsTechnica, mais d'un autre, cela laisse entendre qu'il ne s'agit pas forcément d'un trait spécifique à telle ou telle espèce». Une flexibilité comportementale des plus intéressantes, tant elle pourrait montrer qu'il n'y a pas de fatalité à la violence coalitionnelle, mais seulement des contextes qui lui sont plus ou moins propices.

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