France

Les trois inquiétants messages de François Fillon

Temps de lecture : 5 min

Sur la famille, l'immigration et l'identité nationale, l'ancien Premier ministre a envoyé des signaux très clairs pour imposer sa «rupture» conservatrice.

François Fillon, le 28 novembre 2016 à Caen. CHARLY TRIBALLEAU / AFP.
François Fillon, le 28 novembre 2016 à Caen. CHARLY TRIBALLEAU / AFP.

Le sacre de François Fillon par les sympathisants «de la droite et du centre» annonce pour la France, si l’ancien Premier ministre est élu président, une révolution conservatrice. C’était là l’un de ses principaux arguments: nous allons essayer ce qui, précisément, n’a jamais été essayé en France. À l’image de ce qu’ont vécu les États-Unis et la Grande-Bretagne des années 1980 avec Ronald Reagan et Margaret Thatcher, de ce qui avait été esquissé par Jacques Chirac et Edouard Balladur lors de la campagne victorieuse de 1986 et expérimenté, avec infiniment plus de modération plus près de nous, par Gerhard Schröder en Allemagne.

François Fillon, au soir de sa victoire le qualifiant pour être le candidat de la droite en 2017, a dit trois choses.

Tout d’abord, les participants aux primaires ont consacré «son projet», sa «démarche». Attitude logique pour un candidat à la présidence qui doit en effet agréger autour de son propre projet. Ce qui signifie qu’il n’y aura pas la recherche d’un quelconque «programme commun» avec les vaincus de la primaire, qui s’étaient reconnus dans le programme substantiellement différent d’Alain Juppé.

Ensuite, François Fillon a confirmé que son «projet» était bien porteur d’un «changement complet de logiciel». Du jamais vu, donc, en France.

Enfin, il a placé pour lui-même la barre très haut, n’étant pas loin de considérer qu’il doit être, près de cinquante ans plus tard, à l’image et à l’égal du général de Gaulle, qui avait réorganisé le paysage français en quelques ordonnances à l’été 1959.

Nous sommes donc face à un programme de «rupture», conservatrice cette fois. Au passage, c’est une nouvelle démonstration de l’infaillibilité de celui qui est à même, à chaque échéance électorale, d’incarner une rupture. Rupture pour les uns (Sarkozy en 2007), changement pour les autres (Hollande en 2012) avec en prime, de la part de Fillon, un levier désormais efficace: la distanciation avec les médias, pour ne pas dire leur dénonciation.

Quand «libéral» devient «tout libéral»

La victoire de François Fillon est d’abord celle d’une droite contre une autre. Il a vaincu Alain Juppé, qui portait la version humaniste et modérée de cette famille d’esprit, laquelle était, pratiquement depuis Georges Pompidou, dominante: à savoir un gouvernement de la droite allié au centre, ce qui veut dire un gouvernement cherchant l’équilibre de la société française au centre droit. Ou, comme Raymond Barre l’avait défini en son temps lorsqu’il était Premier ministre: «Une droite libérale, sociale, européenne.» De ce triptyque, François Fillon ne retient que le «libéral», devenu avec lui «tout libéral» ou «ultralibéral», comme on voudra; laissant de côté le social et le projet européen, auquel manifestement il ne croit guère, n’ayant tout au long de sa carrière donné aucun signe en faveur de l’Union.

Trois messages lui ont permis, au long de sa campagne, et plus particulièrement lors du face à face avec Alain Juppé, de caractériser la droite qu’il veut incarner. Messages délivrés à sa façon, c’est-à-dire suave, civilisée, avec l’air de ne pas y toucher. Et pourtant…

Premier message, à l’adresse de celles et ceux qui se sont reconnus dans les manifestations contre le mariage pour tous. Bien sûr, il ne remettra pas en cause ledit mariage mais, a-t-il affirmé, une famille c’est un père, une mère et un enfant. Très exactement le slogan des manifestants, dont les chefs de file l’ont tous rallié, et la promesse esquissée d’une remise en cause (il dit plutôt: une remise en ordre…) du droit de la filiation; ce qui ne manquera pas de retentir sur l’adoption.

Deuxième message, à l’adresse cette fois de celles et ceux qui, peut-être venus de la droite, ont grossi les rangs des électeurs de l’extrême droite. Il s’agit cette fois de l’immigration. Des immigrés certes, mais quand on accueille des gens dans une maison, on ne s’attend pas, a-t-il précisé en substance, à ce que ses invités «cherchent à prendre le pouvoir». C’est très exactement le cœur de la thématique de l’extrême droite, qui alimente le fantasme selon lequel les musulmans français seraient les instruments d’une guerre de civilisation.

Troisième message, qui va sans doute, compte tenu des thématiques de l’extrême gauche aujourd’hui, au-delà du clivage droite-gauche: une vision fermée de l’identité nationale, qui s’opposait clairement à celle d’Alain Juppé qui, lui, s‘était réclamé d’une France forte de sa diversité. Nous voilà donc prévenus.

Les dangers du second tour... et des cinq mois de campagne

Ces thématiques nous conduisent bien sûr à la question centrale, qui est celle de la montée des populismes et des extrémismes. François Fillon est-il le mieux armé pour écarter le danger d’une victoire de l’extrême droite au printemps prochain? Autant on pouvait dire d’Alain Juppé qu’il n’aurait aucun mal à fédérer les centres et l’essentiel des voix de gauche au second tour, autant la problématique de François Fillon est plus complexe.

On peut soutenir que les thématiques qu’il a développées sont de nature à amputer le potentiel de Marine Le Pen au premier tour. Mais, au second tour, la radicalité de son projet pourrait bien dissuader l’électorat de la gauche de se prononcer en sa faveur; et surtout, cette même radicalité (déremboursements de médicaments et attrition de la couverture maladie au bénéfice d’assurances privées, suppression de la durée légale du travail avec une norme européenne certes –48 heures– mais si éloignée des pratiques françaises, fiscalité exclusivement favorable aux entreprises et aux ménages aisés, etc) a été aussitôt dénoncée par Marine Le Pen comme un programme de «casse sociale». On peut donc penser qu’une partie de l’électorat dit populaire, déçu par la gauche et inquiet du programme Fillon, pourrait très bien préférer un vote Le Pen…

Au-delà, les inquiétudes que l’on peut nourrir à l’endroit de cette révolution conservatrice, présentée bien sûr par ses partisans comme novatrice, concernent d’abord sa faisabilité, point sur lequel Alain Juppé avait insisté mais sans convaincre. À quoi l’on peut ajouter la question de sa pertinence: c’est au moment où la Grande-Bretagne conservatrice redécouvre les vertus de l’Etat, où Trump promet à l’Amérique un vaste programme d’investissements dans les infrastructures, où la Commission européenne a pris le virage du soutien à la croissance par l’investissement que la France, à contre-courant, appliquerait un programme «thatchérien». Avec le retour d’un déficit public que, bon an mal an, le quinquennat de François Hollande avait permis de corriger.

À quoi il faut ajouter deux inquiétudes majeures dans le domaine des relations extérieures: l’absence de toute ambition européenne à un moment de l’Histoire où la nécessité de l’Europe est chaque jour plus criante, d’une Europe forte malgré d’innombrables forces centrifuges et de vrais adversaires à l’extérieur, la Russie et la version Trump des États-Unis. Et, bien sûr, le lien avec la Russie: François Fillon semble considérer que la France n’est indépendante que si elle est proche de Moscou, plus proche que de Berlin ou de Washington. Là aussi, c’est un changement complet de logiciel dont il n’est pas avéré qu’il corresponde aux intérêts stratégiques du pays.

Enfin, pour lui-même, le danger qui le guette à compter de ce jour est qu’il est pour l’opinion virtuellement le président. Alain Juppé s’est usé dans cette quasi-fonction virtuelle. La fluidité et la volatilité de l’électorat peuvent aussi provoquer, dans les cinq mois qui nous séparent de l’élection, une usure de nature à rebattre les cartes pour celui qui a néanmoins, à ce stade, toutes les chances de succéder à François Hollande.

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