France

Pasqua, le tonton flingueur

Temps de lecture : 6 min

Les menaces de l'ancien ministre de l'Intérieur contre ses anciens amis sont certes assassines mais pourraient se retourner contre lui.

Charles Pasqua, 83 ans, figure du gaullisme, comparaît à partir de ce lundi 19 avril après-midi devant la Cour de justice de la République (CJR) dans trois dossiers de malversations présumées remontant à l'époque où il était ministre de l'Intérieur, entre 1993 et 1995. Durant deux semaines, les 15 juges de la CJR, seule compétente pour examiner des crimes et délits reprochés à un membre du gouvernement dans l'exercice de ses fonctions, devront déterminer quel rôle exact a joué l'ancien ministre d'Edouard Balladur et actuel sénateur UMP des Hauts-de-Seine dans trois affaires sulfureuses.

Dans l'affaire dite du casino d'Annemasse, Charles Pasqua est accusé d'avoir, en 1994, accordé à des proches l'autorisation d'exploiter cet établissement de jeux, en échange d'un financement politique ultérieur. En 1994 toujours, le ministre a signé un agrément autorisant le déménagement d'une entité de GEC-Alsthom. Un pot-de-vin a été versé à un proche de Charles Pasqua. Il y a enfin le dossier de la Sofremi, société d'exportation de matériel militaire qui dépendait du ministère de l'Intérieur. Là encore, des commissions illicites ont bénéficié à l'entourage du ministre.

Le verdict est attendu le 30 avril 2010. Charles Pasqua encourt dix ans de prison, mais reste protégé par son immunité parlementaire. Nous republions un portrait de Charles Pasqua écrit par Philippe Boggio à la fin de l'année dernière à l'occasion de l'Angolagate.

***

Charles Pasqua ne sait pas se défendre. Devant un tribunal, s'entend. Voilà des mois que son procès s'est achevé, plus de deux semaines déjà qu'a été prononcée sa condamnation à une peine d'un an d'emprisonnement, et il pense enfin à organiser sa sauvegarde judiciaire! Il brandit une note déclassifiée de la DGSE, qui figurait au dossier d'instruction, prouvant que Jacques Chirac, Dominique de Villepin et 11 autres destinataires n'ignoraient rien des ventes d'armes illicites à «l'Angola», au milieu des années 90, et que ceux-là sont, à ses yeux, au moins complices par passivité; il montre aux caméras une autre note, qu'il dit venir de la DST cette fois, que le magistrat instructeur, Philippe Courroye, a omis, de son point de vue, de soumettre aux débats du tribunal; d'ailleurs, il porte plainte contre ce même magistrat pour avoir instruit à charge, toutes ces années...

L'ancien ministre de l'intérieur a-t-il trop allongé ses siestes de méridional, tout le long des audiences? Etait-il absent? Il fait et refait son procès hors l'enceinte de justice, depuis le prononcé du jugement, le 27 octobre dernier. Sur les plateaux de télévision, dans la presse, il agite le dossier, distribue les rôles, les joue tous, homme seul ferraillant contre des fantômes. Il avait promis des révélations, alors, jeudi 12 novembre, les médias sont revenus en nombre. Ils sont repartis déçus, parce qu'il n'y avait rien de vraiment nouveau. Charles Pasqua n'avait, ce jour-là comme les autres, qu'une obsession, une seule vérité intime: régler ses comptes encore, confondre Jacques Chirac et le sommet de l'appareil d'Etat, pointer l'acharnement d'un juge d'instruction, selon lui, aux ordres.

Et ce n'était pas le moins paradoxal que de voir et d'entendre le sénateur des Hauts-de-Seine pointer les entorses à la morale publique de ses anciens compagnons, dans cette affaire de ventes d'armes à l'Angola et de rétrocommissions tous azimuts, en négligeant au passage de trop rappeler qu'il est lui-même condamné pour avoir profité d'un versement, destiné à ses activités politiques. La presse n'a pas eu son compte? Au lendemain de la conférence de presse, on accable le vieux grognard du gaullisme?

C'est assez injuste. D'abord, il n'est jamais inutile de répéter, même si cela reste sans effets, qu'un président de la République, ses principaux collaborateurs, et les ministres concernés peuvent savoir qu'un trafic d'armes s'organise, en France, à destination d'un gouvernement africain, alors marxiste, en proie à une violente guerre civile, sans s'y opposer. Cette leçon-là ne sera probablement jamais tirée. Cette entorse à la règle des embargos internationaux jamais jugée. Comme le répète Charles Pasqua, le juge Courroye n'a jamais entendu les dirigeants concernés, et cela reste troublant.

La tragédie et le romanesque

Ce drame post-judiciaire, aussi tonitruant soit-il — et vain, sans doute — constitue surtout l'une des étapes du chemin de croix dans lequel s'égare le chiraquisme, même posthume. Les phrases sont assassines. On croirait les entendre émaner d'un opposant. «Je trouve lamentable que Chirac ne soit pas intervenu!», lance Pasqua. L'ancien ministre le confesse, il est indigné: «Ce jugement me scandalise, et je ne l'accepte pas». Sa condamnation paraît avoir changé sa destinée. Même s'il a fait appel, il indique assez qu'il n'a rien à perdre. A 82 ans, le voilà, lui qu'on a si souvent traité de «comique», décidé à la tragédie. Raimu, plutôt que Fernandel.

Evidemment, s'il ne s'est pas défendu lors du procès, s'il n'a rien dit plus tôt, ni critiqué le secret défense sur les affaires financières, ce qu'il fait depuis, ni dénoncé «un scandale d'Etat», c'est qu'il a espéré, jusqu'au dernier instant, l'intervention en sa faveur des responsables de l'Etat, au moins ceux du septennat chiraquien. Jacques Chirac aurait pu le sauver, a-t-il cru. Ils ont assez de souvenirs communs, chacun le sait. Il y a des naufrages qu'on ne peut permettre, même entre amis brouillés.

Il n'est pas sans intérêt, au moins psychologique, au moins romanesque, de voir Charles Pasqua se débattre, bien sûr, selon le style qu'on lui connaît, menaçant et lapidaire, mais se débattre tout de même, tandis que Jacques Chirac, autrefois fait roi par lui, à en croire la chronique historique, signe des dédicaces, débonnaire et bienveillant, sur la page de garde du premier tome de ses mémoires. Un best-seller, déjà.

Une même histoire, deux biographies qui se croisent, mais désormais racontées de manière antagoniste. Heureux Chirac. Plus populaire que jamais. Pourtant lui aussi renvoyé devant les tribunaux, mais qui paraît ne pas s'en gâter l'humeur. Carré dans le rôle du «père de la nation» — ce qui peut compenser la perte d'une immunité. Pasqua, plus pathétique. Naïf, sûrement. A l'abandon. Mais écorché au point de n'avoir plus d'autre choix que de noircir leur légende commune, voire celle de toute une épopée politique.

Bien sûr, en portant la querelle de famille à son point d'incandescence, l'ancien ministre de l'intérieur espère obliger encore les responsables de la droite, ceux d'hier, ceux d'aujourd'hui, à le tirer de ce mauvais pas. Ne serait que pour faire cesser le bruit qu'il fait. Cette amertume en train de se charger de haine, devant l'opinion, n'est pas du meilleur effet, sûrement, aux yeux des dirigeants les plus lucides de la majorité, qui plus est en période pré-électorale. Au Sénat, où il compte encore quelques amis et obligés; ou dans les Haut-de-Seine, dont il partage encore le parrainage avec Nicolas Sarkozy.

Mauvaise réputation

Mais il faut bien admettre que sa croisade tardive, ce déballage de fin de carrière présentent bien des inconvénients pour Charles Pasqua. Il est lui-même trop facile à accabler. Déjà sur le seul terrain judiciaire. En septembre, le sénateur apparenté UMP a appris que la cour d'appel de Paris confirmait sa peine de dix-huit mois de prison avec sursis pour le financement illégal de sa campagne européenne de 1989. Il est aussi très attendu, du 15 au 30 avril 2010, par la Cour de justice de la République, qui le poursuit dans trois autres dossiers, toujours pour des versements de sommes indues, et en sa qualité, alors, de ministre de l'Intérieur.

S'il s'entête, Charles Pasqua verra aussi revenir à lui sa «mauvaise réputation», légende de souffre, «de SAC et de cordes», disait-on alors, qui a marqué au moins la montée de sa carrière politique, et dont il a n'a jamais pu se défaire tout à fait. Trop de voyous ou de nervis dans les sections militantes qu'il avait dirigées à Marseille, pendant les années 60; les bavures, toujours de ce Service d'Action Civique, en 1968, dans les Hauts-de-Seine ; les mythomanies paramilitaires des Comités de Défense de la République (CDR), pendant les événements de mai-68. Et puis ces compagnonnages souvent ambigus, ces personnages ayant ou ayant eu maille à partir avec la justice.

Dans Le Monde, Pascale Robert-Diard a compté jusqu'à sept collaborateurs de Charles Pasqua, au ministère de l'Intérieur, condamnés à ce jour dans différentes affaires. Jusqu'à son propre fils, son fils unique, Pierre-Philippe Pasqua, en fuite plusieurs années, en Tunisie, puis condamné à un an d'emprisonnement ferme, dans un dossier de même nature.

Il y a, on le voit, de quoi dire à propos de Charles Pasqua. Mais ses ruades, ces temps-ci, à la télévision ou devant la presse, montrent que celui-ci n'en a plus que faire. Même s'il est incarcéré, un jour, on continuera de l'entendre. Il va vivre contre Chirac. Ses dénonciations vont nous devenir rengaines familières, même si elles sont inefficientes.

Philippe Boggio

Photo: En mars 2009, à Levallois-Perret. REUTERS

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