Lors des derniers Jeux olympiques de Rio, Cuba a décroché un total de onze médailles, résultat qui l’a placé au 18e rang des nations, devant des pays aussi riches que le Canada, la Suisse, le Danemark et la Suède, ou nettement plus grands que lui comme l’Argentine, l’Afrique du Sud et la Turquie. Au fil du temps, et malgré les recompositions successives du monde –marquées notamment par l’effondrement du bloc soviétique et donc la multiplication des drapeaux à partir des années 1990–, l’île des Caraïbes a su garder, en effet, sa place au sein de l’élite sportive internationale.
Certes, ce n’était plus tout à fait le lustre d’antan en comparaison des 31 médailles engrangées à Barcelone en 1992 (5e rang des nations), des 25 récoltées à Atlanta en 1996 (8e rang des nations), des 29 podiums de Sydney en 2000 (9e rang des nations) sans remonter jusqu’à Moscou en 1980 quand Cuba, avec 20 médailles, avait été le quatrième pays le mieux récompensé (devant l’Italie et la France) grâce au boycott de nombre de pays occidentaux à commencer par les États-Unis. Mais en dépit de ses difficultés économiques dues à son isolement depuis la désintégration de l’URSS qui l’avait aidé financièrement jusque-là, Cuba a refusé de négliger le sport, fil constant sur lequel le régime castriste a pu tirer pour flatter la fierté de sa population et véhiculer l’excellence de son savoir-faire.
Il a été aussi un moyen d’affirmer sa différence et son indépendance sur l’échiquier international comme l’ont montré les deux boycotts successifs de Cuba aux Jeux olympiques de Los Angeles en 1984, où Fidel Castro s’était montré un allié des Soviétiques et de Séoul en 1988, et où il avait fait cavalier seul pour être solidaire de la Corée du Nord.
Le levier du sport
Dans sa résistance face au géant américain, Cuba avait choisi, en réalité, d’actionner le levier du sport dès les premiers temps de sa révolution, à travers la formule célèbre de Fidel Castro –«Le sport est un droit du peuple»– et la création, en 1961, de l’INDER, l’Institut national du sport, de l'éducation physique et des loisirs. Il s’était d’abord agi de l’introduire dans le monde du travail alors qu’il était seulement circonscrit aux classes aisées, en n’excluant pas les femmes, bien au contraire, et en n’oubliant pas non plus les handicapés. Le sport permettait ainsi de fédérer la population par le biais d’une activité commune tout en la maintenant en forme et donc productive. Il lui avait permis ensuite de véhiculer l’excellence cubaine sur le plan international alors que Fidel Castro avait signé le décret 83A bannissant le professionnalisme sportif qui, d’après lui, enrichissait «une minorité aux dépens de beaucoup».
Absent des palmarès olympiques en 1952, 1956 et 1960, Cuba a renoué ainsi avec les podiums dès 1964, à Tokyo, grâce au sprinter Enrique Figuerola, médaille d’argent sur 100m, avant de véritablement décoller dans les palmarès tous les quatre ans grâce notamment à un champion de la dimension d’Alberto Juantorena, champion olympique sur 400m et 800m à Montréal en 1976, un doublé inédit dans l’histoire des JO.
L’athlétisme, sport roi olympique, a permis à Cuba de briller au firmament avec des champions de l’envergure de Javier Sotomayor, champion olympique en 1992 et recordman du monde du saut en hauteur avec un bond à 2,45m, ou d’Ana Fidelia Quirot, médaillée d’argent sur 800m aux Jeux olympiques de 1996 quatre ans après le bronze de Barcelone sur la même distance et symbole de la force de caractère et de la résilience cubaine. En effet, victime en 1993 d’un très grave accident domestique qui lui avait valu de terribles brûlures et blessures ainsi que la douleur de perdre l’enfant qu’elle portait, Quirot avait su revenir au plus haut niveau en s’adjugeant notamment deux titres mondiaux sur 800m en 1995 et 1997. Convaincu de dopage, Sotomayor avait été, lui, défendu bec et ongle par Fidel Castro qui était ensuite monté au créneau pour réussir à laver l’honneur du champion et celui de Cuba.
La boxe et le base-ball
La boxe a été le moteur du développement du mouvement sportif cubain
Françoise Escarpit
Mais si Cuba s’est illustré sur la piste et dans nombre de sport (escrime, judo, lutte, volley-ball…), la boxe, qui n’est pourtant pas le sport national à Cuba, privilège laissé au baseball, a été pour la nation castriste, le sport étendard d’un pays dont il a fait la réputation jusqu’à un certain romantisme (les boxeurs internationaux, y compris français, continuent de venir s’entraîner à Cuba au plus près de spécialistes érigés en véritables maîtres du noble art en dépit de la précarité des installations). «Elle a été et reste le symbole de l’amateurisme face au professionnalisme et son principal porte drapeau sur le plan international, particulièrement aux Jeux olympiques», comme le notait la journaliste Françoise Escarpit dans un article très fouillé. De la première à Mexico en 1968 à la dernière à Rio en 2016, Cuba totalise 73 médailles dans cette discipline avec des pics étourdissants –les 11 médailles des Jeux de Sydney en 2000– et des personnages marquants comme Teofilo Stevenson, le champion olympiques des poids lourds en 1972, 1976, 1980 et Felix Savon invincible dans la catégorie reine en 1992, 1996 et 2000. «Elle (la boxe) a décomplexé la population noire, exclue jusqu’à la révolution d’une véritable pratique sportive, et a été le moteur du développement du mouvement sportif cubain», soulignait Françoise Escarpit.
Le baseball reste, on l’a dit, la passion de Cuba. Et les États-Unis, où les joueurs d’origine cubaine sont si nombreux au sein de la ligue professionnelle de la MLB, demeurent, là encore, l’ennemi absolu, celui qu’il faut absolument battre pour se venger d’avoir asphyxié l’île pendant si longtemps sur le plan économique. Même si la diplomatie du baseball, déjà à l’œuvre depuis quelques mois, va faciliter le processus de normalisation entre Cuba et les États-Unis. Le baseball, qui redeviendra sport olympique aux Jeux de Tokyo en 2020 (après avoir fait partie de la famille olympique entre 1992 et 2008 pour en être exclu en 2012 et 2016), continuera d’attiser l’animosité entre les deux pays. Les amateurs cubains restent, en effet, de très grands professionnels. En cinq olympiades, entre 1992 et 2008, ils se sont arrogé l’or à trois reprises et deux fois l’argent. Fidel Castro, du haut de son 1,90m, avait, lui, un faible pour le basket, idéal pour l’entraînement des révolutionnaires, mais dans le match Cuba-États-Unis, il savait qu’il n’avait là pratiquement aucune chance de s’imposer.