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Au Liban, la Syrie, encore la Syrie, toujours la Syrie

Temps de lecture : 4 min

La formation du gouvernement libanais consacre les partis de l'étranger.

Saïd Hariri, le nouveau Premier ministre libanais s'incline devant la tombe de son père, le 9 novembre 2009, à Beyrouth. REUTERS
Saïd Hariri, le nouveau Premier ministre libanais s'incline devant la tombe de son père, le 9 novembre 2009, à Beyrouth. REUTERS

Un Premier ministre qui, à la première réunion de son tout nouveau cabinet, confie qu'il se verrait bien dans l'opposition un jour, ça ne s'invente pas.

Et pourtant, c'est ce que Saad Hariri, le nouveau Premier ministre libanais, a avoué à ses ministres. Et cela en dit long sur son état de lassitude, au bout des 135 jours de négociations ardues qui lui auront en fin de compte permis de former un gouvernement le 9 novembre. Cela en dit long aussi sur l'état d'esprit qui prévaut au sein de la majorité parlementaire qu'il dirige. Celle-ci a peut-être été reconduite suite aux législatives de juin dernier, mais elle n'a en fin de compte rien gagné. C'est ainsi. Au Liban, la politique ressemble plus que jamais à un jeu de qui perd gagne.

Si l'ensemble des hommes politiques, médias et analystes se réjouissent publiquement que le pays ait enfin un gouvernement qui mette tout le monde d'accord sans avoir du en passer par la violence - comme cela avait été le cas pour le précédent cabinet, personne n'est vraiment dupe. Ce gouvernement dit d'«union nationale» (15 portefeuilles à la majorité, 10 à l'opposition et 5 à la bienveillante neutralité du président de la République) a en réalité consacré des gagnants, tant Libanais qu'étrangers, et des perdants, essentiellement Libanais.

Et le vainqueur est...

Le général Aoun a beau affirmer qu'il a fait des concessions, ce pilier chrétien de l'opposition emmenée par le Hezbollah a finalement obtenu tout ce qu'il voulait véritablement. La clé de sa victoire? Faire jouer un principe élémentaire de négociation: demander sciemment l'inacceptable pour faire passer une pilule difficile à avaler, le tout en donnant l'illusion d'avoir fait des sacrifices en bonus.

A titre d'exemple, lorsque Aoun a commencé par exiger un nombre de ministres proportionnel à la taille de son bloc parlementaire, il savait pertinemment que cette demande, anticonstitutionnelle d'ailleurs, serait inacceptable, d'autant qu'elle empiétait sur la part de ses propres alliés. Qu'importe, aux yeux de l'opinion et de ses partisans en particulier, Aoun s'est sacrifié en n'acceptant «que» cinq ministères des dix alloués aux Chrétiens et encore négociables (deux autres allant automatiquement aux chrétiens arméniens). GMA, comme les blogueurs le surnomment, a même pu choisir le nom de ses ministres — y compris son gendre — et les portefeuilles qu'il voulait. Que demande le peuple? D'ailleurs, l'opposition ne cache pas sa satisfaction. Chacun de ses partis a eu gain de cause comme si les législatives n'avaient pas eu lieu.

Ça grince

Inutile de dire que chez les grands perdants de l'affaire, les chrétiens de la majorité, c'est la soupe à la grimace. Sacrifiés — realpolitik oblige, les Kataëb de l'ancien président Amine Gemayel, pourtant alliés aux sunnites de Hariri depuis 2005, sont les principaux dindons de la farce: ils n'ont même pas obtenu le portefeuille qu'ils demandaient (l'Education) pour le seul ministère qui leur a été alloué. Outragés par la négligence avec laquelle le nouveau Premier ministre les a traités et soutenus du bout des lèvres par leurs autres alliés chrétiens, trop heureux de prendre ce qu'on leur donnait, les Kataëb ont tempêté, menacé de quitter la coalition majoritaire, en vain...

Plus révélateur encore, le fils du milliardaire assassiné a d'ores et déjà vu sa fonction égratignée à plusieurs niveaux: non seulement il a fait une sorte de malheureuse jurisprudence en acceptant de laisser chaque parti de l'opposition choisir ses représentants au cabinet, mais c'est avec humilité qu'il a dû jouer les factotums, se rendant lui-même et à plusieurs reprises chez Aoun pour être informé des choix du général. Le symbole est fort. C'est d'ailleurs Aoun lui-même qui a annoncé publiquement le nom de ses ministres, donnant de facto le feu vert à la formation du gouvernement en lieu et place du Premier ministre.

Certains saluent ses trésors de patience mais en réalité, Hariri avait-il seulement le choix? Certes, le système à base confessionnelle encore appliqué au Liban est complexe, et Aoun a su le faire jouer à plein pour avoir gain de cause. Mais le débat était foncièrement biaisé par l'arsenal du Hezbollah. Comme Hariri l'aurait lui-même confié lorsque le gouvernement a été officiellement formé, «c'est un moindre mal», dans une allusion à peine voilée à de nouvelles violences.

Les pieds sur terre

Ne faisant pas le poids face au Hezbollah sur le terrain militaire, c'est dans ces alliances avec l'étranger que Hariri pouvait trouver les moyens de dire «non». C'eût été sans compter avec la réconciliation syro-saoudienne intervenue il y a quelques semaines et saluée par l'ensemble de la communauté internationale. Aujourd'hui, la Syrie est de nouveau un acteur avec lequel il faut composer et Hariri ne peut plus compter sur les Saoudiens pour l'appuyer absolument dans ses velléités d'indépendance.

D'ailleurs, le principal allié de Hariri, le chef druze Walid Joumblat au flair politique légendaire, a été le premier à sentir le vent tourner. Dès le mois d'août, il s'est démarqué d'une coalition qu'il défendait bec et ongle auparavant, lui assénant au passage un coup presque mortel. Aujourd'hui, Joumblat va jusqu'à considérer qu'une «influence syrienne est acceptable au Liban.»

De même, il n'est pas surprenant que Hassan Nasrallah déclare que «le succès du gouvernement profitera au Hezbollah». Il ne fait aucun doute que la déclaration ministérielle à venir renouvellera l'appui des autorités libanaises à la «Résistance», cautionnant donc le maintien des armes du parti et par extension de la politique régionale de l'Iran.

Dans ces conditions, Hariri n'a probablement pas envie de se laisser rogner davantage les ailes, surtout pour défendre une loyauté à des alliés qui ne lui servent concrètement plus à grand chose compte tenu de la nouvelle donne régionale. Comme l'avance le blogueur Elias Muhanna, il y a fort à parier que désormais, Hariri caressera les partis d'opposition dans le sens du poil, et pourrait même envisager de former une nouvelle coalition avec eux.

Un indice qui ne trompe pas: Joumblat a d'ores et déjà annoncé qu'il se rendrait très vite en Syrie, une fois que Hariri s'y serait fait adouber. C'est dire qui sont les véritables vainqueurs.

Nathalie Bontems

Image de une: Saïd Hariri, le nouveau Premier ministre libanais s'incline devant la tombe de son père, le 9 novembre 2009, à Beyrouth. REUTERS/Jamal Saidi

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