Il y a parfois, dans notre métier d’avocat, des moments de grâce. Non pas ceux de la gloriole des succès médiatiques souvent frelatés, ni ceux des congratulations entre confrères, ou pire encore, ceux d’une contemplation narcissique de soi qui nous a, chacun d’entre nous, un jour saisi. Non, le vrai moment de grâce, c’est celui qui nous étreint lorsque, en parfaite harmonie avec notre client, nous sommes la défense d’un être humain. Je ne doute pas que David Koubbi a, à l’occasion de la défense de Jérôme Kerviel, vécu très intensément ces vrais instants de grâce. Il incarné la défense c’est-à-dire l’essence même de ce qu’est la profession d’avocat.
Il s’est, j’imagine dans une terrible solitude si ce n’est la solidarité de son associé et des membres de son cabinet, confronté à procès d’une insondable difficulté. Je me souviens des premiers commentaires sur cette affaire. Le trader malhonnête, scandaleux, roué et calculateur avait quasiment ruiné l’une des plus grandes banques du pays. Pour tromper son monde de techniciens irréprochables et d’une compétence exceptionnelle, il avait mis en œuvre, une machination diabolique pour risquer, au nez et à la barbe de tous, cinquante milliards de la Banque. Pour Jérôme Kerviel, tout cela était nécessairement tragique: honni par les professionnels de son tout petit milieu et cloué au pilori. Et, au moins pouvait-il le penser, seul. Or dans la même ville, il y avait un avocat qu’il ne connaissait pas et qui bientôt sera l’être humain le plus proche de lui. Il sera son confident, son rempart, celui qui lui apportera toutes ses connaissances juridiques –la suite a montré combien il en a– toute son habileté stratégique et tout son courage. En un mot, il sera SON avocat.
Dans cette affaire, David Koubbi est allé au bout de sa mission.
Il a relevé toutes les anomalies de ce dossier. Il a inlassablement creusé le sillon de la recherche de la vérité pour démontrer que cette affaire n’est pas celle qui avait été hâtivement construite par la Banque. Il n’y avait pas le méchant, la pauvre victime. La banque soutient avoir manqué à son devoir de surveillance et de contrôle. Et malgré cette infraction à ses obligations professionnelles, elle s’est toujours arcboutée sur la position de l’employeur trahi. Cette thèse a été littéralement disloquée par la décision du Conseil de Prud’hommes de Paris qui l’a condamnée à payer plus de 450.000 euros d’indemnités à Jérôme Kerviel. La banque fera naturellement appel de cette décision, mais cela a été jugé.
Dès l’origine, chacun savait que la Société Générale avait obtenu un crédit d’impôt de plus de deux milliards d’euros. C’est-à-dire que l’argent public avait indemnisé un préjudice qu’elle avait subi du fait de sa propre incurie.
Interroger la justice elle-même
David Koubbi a cassé l’image que la banque voulait donner d’elle-même dans ce dossier. Et il est allé plus loin. Il a, avec une opiniâtreté qui est tout à son honneur, interrogé la justice sur son fonctionnement. Et quelles découvertes a-t-il faites! Il a mis à jour le rapport rédigé par un assistant spécialisé du parquet financier de Paris qui recommandait que le ministère du budget examine à nouveau la déductibilité des deux milliards d’euros accordés à la Société générale si, écrivait-il, «l’enquête venait à révéler la défaillance des contrôles internes de la société qui serait à l’origine, directe ou indirecte, de détournement. Une communication à l’administration fiscale apparaît nécessaire.» La balle est dans le camp des politiques. Qu’ils ne nous déçoivent pas! Ce rapport est étrangement absent de la procédure? David Koubbi l’a rendu public. Nous avons en effet droit, nous autres citoyens, à ce que les données de cette affaire d’État, dans laquelle de l’argent public est en cause, soient portées à notre connaissance.
Grâce encore à l’obstination de David Koubbi, il y aura le témoignage de la commandante de police Nathalie le Roy. Il obtient la déposition de cet officier de police judiciaire devant le doyen des juges d’instruction du pôle financier de Paris. Elle explique avoir été instrumentalisée par la Société Générale. C’est la banque, et elle seule, qui lui envoyait les témoins à auditionner. Ceux-là qui répétaient la leçon bien apprise de la Société Générale. Écrasée par le pouvoir d’une telle partie civile, cette remarquable policière a, avec humilité, dit qu’elle n’a jamais demandé à pouvoir entendre telle ou telle personne. Cette honnêteté lui vaudra peut-être sa carrière. Elle lui vaut mon respect.
On apprend encore, de la bouche de la magistrate du parquet de Paris en charge de l’affaire, que la Société Générale a menti aux juges, que des magistrats se seraient même associés à ses mensonges et, qu’un réquisitoire, acte capital de l’accusation, aurait été rédigé par les avocats de la partie civile.
La libre parole de l'avocat en démocratie
Et je lis qu’il est reproché par les avocats de la Société Générale à David Koubbi d’avoir rendu publiques toutes ces informations, tant devant les juges qu’auprès des médias. Mais enfin, David Koubbi a eu raison, mille fois raison. Ce qui s’est passé est absolument incompatible avec la démocratie. Aucun d’entre nous ne peut admettre qu’une partie, aussi puissante soit-elle, puisse impressionner à ce point un officier de police judiciaire et des magistrats qu’un justiciable devrait être broyé par la machine judiciaire parce que le rapport de force lui est trop défavorable. Dans une démocratie, la parole de l’avocat est libre et les audiences sont publiques. C’est au nom du peuple français que les juges remplissent leur office. C’est à lui seul qu’ils doivent rendre des comptes. Une presse libre doit aux citoyens une information juste et équilibrée. Elle l’a été.
Je vois que de hauts magistrats courageux et honnêtes, Yves Charpenel, Georges Fenech, Hélène Franco et Jean de Maillard, ont publié un article sous le titre «Pour l’honneur de la justice, il faut rejuger Jérôme Kerviel». Ils ont raison.
Mais c’est d’abord à David Koubbi, et à Jerôme Kerviel qui lui a fait confiance, que je veux rendre hommage, lui qui a été avocat, jusqu’au bout, pleinement, intégralement et parfaitement. Je suis fier que mon Barreau compte, en son sein, des avocats de cette trempe.