Pour faire directement le test de la bulle et lire vos résultats, cliquer ici.
Pour une explication des origines du test de la bulle, lire l'article ci-dessous.
Encore plus que la soi-disant «post-vérité», la «bulle» serait-elle le mot de l'année 2016?
«Vous vivez dans une bulle. Ou plutôt dans une grande caisse de résonance capable de vous convaincre, vous et vos amis, que les Américains n'éliront pas cet idiot de Trump», avait prévenu le réalisateur Michael Moore dans un texte prophétique, plusieurs mois avant l'élection de Donald Trump. L'opinion selon laquelle «The Donald» était avant tout un bouffon sinistre incapable d'être pris au sérieux n'était d'ailleurs pas l'apanage de la gauche intellectuelle, mais concernait les élites urbaines des deux grands partis.
Parmi les facteurs qui ont renforcé cette cécité partielle, on a accusé la «bulle de filtrage». La formule désigne le processus par lequel les réseaux sociaux auxquels chacun de nous (ou presque) est inscrit filtrent les informations du monde extérieur pour n'en conserver qu'un agréable fil d'actualités heureuses, paramétré pour épouser la vision du monde de son récepteur, jamais contredit ni questionné dans ses convictions. La formation de bulles qui limitent les contacts avec l'extérieur et orientent la perception de la réalité ne se limite pas pour autant aux dimensions numériques de nos vies: le malaise est bien plus profond.
Renforcée par le prolongement de notre univers sur les réseaux, la bulle est économique, sociale, culturelle et géographique. L'émission «Saturday Night Live» a réalisé une parodie grinçante d'une Amérique gouvernée par Trump dans laquelle la vie à l'intérieur de «la bulle» continue comme si de rien n'était. Voitures hybrides, bouquinistes sympa, cafés indépendants où poser son MacBook et lait de ferme caillé: tous les attributs classiques du mode de vie de la bourgeoisie urbaine à l'ère de l'information sont convoqués.
La «bulle», en fait les centre-villes des métropoles gentrifiées, est ouverte à tout «libre penseur (mais surtout pas aux opinions opposées)» disposant d'un revenu suffisamment confortable pour vivre dans une des villes dynamiques des États de la coastal elite, les régions économiquement dynamiques des deux côtes (New York, Connecticut, Californie, Oregon, Massachussetts...). La chute du sketch est qu'on trouve dans la bulle de tout, à l'exception d'une diversité d'opinions et de niveaux de vie: vous ne pourrez compter ni sur les pompiers ni sur les policiers car ces travailleurs-clé qui font fonctionner une ville n'ont plus les moyens d'y loger.
La «bulle» américaine ou la révolte des élites
Est-ce un problème? Après tout, chacun est installé dans sa bulle... Il y a des bulles d'obédiences diverses et de tailles variables. C'est dans une de ces «bulles» que se concentre la portion d'urbains diplômés qui travaillent dans les institutions censées représenter l'opinion, sinon la façonner (sondages, médias et industries culturelles, instituts de recherche, think tank, publicité, etc.). Que faire quand celles et ceux dont le travail est de raconter la vie n'ont plus accès au monde qui existe au-delà des parois épaisses de leur bulle socioculturelle? La critique n'est pas nouvelle et, si elle est tolérée tant qu'elle se cantonne au registre humoristique, elle passera rapidement pour populiste dans la bouche d'un intellectuel.
C'est justement le cas de celui qui en a popularisé depuis quelques années l'existence: l'essayiste conservateur et libertarien (comprendre très à droite) Charles Murray dans son livre Coming Apart. Analysant l'évolution de la société américaine entre 1960 et 2010, Murray détecte des «super ZIP codes», des «super codes postaux» dans lesquels vit la nouvelle élite issue du savoir, dans un état d'isolement du reste de la population inédit aux Etats-Unis. Dans sa définition la plus stricte, cette élite compte moins de 100.000 personnes qui dirigent le pays, c’est à dire «sont responsables des films et des émissions que vous regardez, des nouvelles que vous voyez ou lisez, du succès ou de l’échec des grands groupes et des institutions financières, des lois et règlements produits par le gouvernement». Un groupe secondaire, plus massif, est constitué de quelques millions de personnes qui disposent d’une telle influence et occupent des positions comparables à l’échelle des métropoles du pays.
Pour Murray, le divorce s'observe avant tout dans les styles de vie de cette nouvelle classe dirigeante. Les endroits où elle réside et où elle part en vacances, l’âge auquel elle se marie, les séries et films qu'elle regarde, les yaourts et les bières qu’elle consomme, la manière dont elle décore ses intérieurs, le type d’humour qu’elle apprécie: chaque aspect de sa vie quotidienne diffère de l'expérience d'une majorité de ses concitoyens, remarque l'auteur. Pour Murray, un nostalgique de l'époque où l'Amérique était encore great et la société (blanche bien entendue) partageait une expérience commune de la vie sociale, cet exil des élites renie la tradition américaine d'absence de snobisme des notables.
Sachant qu'il s'adressait exclusivement à cette nouvelle élite dans son livre, et que les statistiques sont peu convaincantes, Murray a décidé d'y intégrer un petit test, le «quiz de la bulle». En vingt-cinq questions portant sur son expérience, ses habitudes de vie et sa connaissance de la culture de masse, il montre à son lecteur que par son ignorance de certains pans du folklore populaire américain, il vit dans un monde qui, pour être plus sophistiqué et stimulant, n'a plus rien à voir avec l'expérience commune de la majorité.
Murray, inquiet avant tout du déclin moral des classes populaires blanches américaines (en particulier de la baisse de leur taux de mariage), est un essayiste controversé et son «test de la bulle» n’a pas fait exception à la règle. Mis en ligne dans une relative indifférence à l’époque de la publication de son livre, il a connu un regain d’intérêt pendant la campagne présidentielle et les médias se sont déchirés à son sujet: Murray a-t-il objectivement mesuré la sécession d’une élite américaine qui n’a plus rien en commun avec les 99% de la société, de l’école aux loisirs et de l’idéologie aux habitudes alimentaires, ou a-t-il utilisé son test comme un outil politique pour décrédibiliser l’intelligentsia urbaine américaine, particulièrement visée par l’orientation de certaines questions?
Les médias démocrates ont beau ne pas partager l'idéal de restauration des valeurs morales du travailleur américain de Murray, depuis l'élection de Donald Trump, ils reconnaissent cependant qu'il a été visionnaire sur au moins un point. L'isolement culturel des membres de la «bulle» leur a fait rater le phénomène majeur de l'élection: l'alignement du vote des classes populaires et moyennes blanches, les fameux «WWC» (white working class), sur un candidat dont les propos heurtaient trop leur sensibilité, leurs convictions et leur vision du monde pour qu'ils considèrent sérieusement l'éventualité de sa victoire.
«Vous avez de nos jours l’opportunité de vivre dans un milieu social rempli de gens intéressants, des gens qui partagent vos goûts et vos préférences, qui comprennent vos blagues, saisissent vos allusions, partagent vos idées politiques», analyse Charles Murray: ça ne fait pas de vous une mauvaise personne, bien au contraire. L'Américain moyen regarde 35 heures de télé par semaine; est-ce une mauvaise chose de ne pas suivre cette moyenne? Non, certainement pas. «Et si vous n'allez pas voir les films que les autres vont voir, si vous ne mangez pas dans les mêmes restaurants, si vous ne vous intéressez pas aux mêmes choses et activités sportives que les autres, ce n'est pas très grave, ce n'est ni bien ni mal. Mais c'est une isolation des nouvelles classes supérieures du courant majoritaire de la culture américaine.»
Si l'idée que les vraies gens se trouvent uniquement dans certaines localités ou chez certaines catégories sociales est populiste au dernier degré, oublier que son propre cas n'est pas nécessairement celui de la majorité constitue un grave problème de discernement sur la société dans laquelle on évolue, surtout quand on a pour métier d'en commenter les tiraillements.
Le phénomène commence à être bien cerné et dépasse de loin le cas américain. Comme l'écrit Serge Halimi dans le numéro de décembre du Monde diplomatique, dans un article intitulé «La déroute de l'intelligentisa», le malentendu dure depuis une dizaine d'années, se répétant à chaque scrutin dans plusieurs pays occidentaux, et sa persistance «se comprend d'autant mieux que la plupart des électeurs protestataires résident souvent fort loin des grands centres de pouvoir économique, financier, mais aussi artistique, médiatique, universitaire. New York et San Francisco viennent de plébisciter Mme Hillary Clinton; Londres s'est prononcé massivement contre le "Brexit” en juin dernier; il y a deux ans, Paris reconduisait sa municipalité de gauche à l'issue d'un scrutin national triomphal pour la droite.»
Le test de la bulle
Après avoir joué au test, répondez aux deux questions ci-dessous, qui nous permettront de cartographier les résultats.
Comment lire mes résultats
Voici une première tentative de transposer le test de la bulle à la population française. Est-ce bien raisonnable? Après tout, les Etats-Unis consituent un pays divers dont les extrêmes n'ont pas grand-chose en commun: la polarisation des modes de vie y est plus marquée qu'en France, pays plus tassé autour de sa moyenne. Néanmoins, la spécialisation des territoires, l'avènement d'une élite culturelle globalisée qui partage des codes communs ignorés des hinterlands sont des tendances qu'on observe de part et d'autre de l'Atlantique, même atténuées par l'idéal redistributeur et égalisateur à la française.
Pour éviter le plus possible les biais politiques sur la notion de «bulle», souvent renvoyée aux élites comme insulte ou pour les disqualifier, ce test n’évalue pas d’opinion du lecteur: seules sont testées les situations de vie (habiter tel type de territoire), les pratiques (aller faire ses courses à tel endroit) et la connaissance de la culture populaire. A l'inverse, certaines questions testent la familiarité du lecteur avec la culture de la bulle.
L’appartenance à une «bulle» révèle que vos réponses vous placent dans les 5 à 10% de Français les plus aisés (pour les réponses concernant les modes de vie) et / ou dont les pratiques culturelles se distinguent d’une grande majorité de la population (pour les réponses sur la culture populaire).
Voici une explication de la raison d'être de chacune des questions du test.
Avez-vous passé un séjour à l'étranger dans le cadre de vos études?
Moins de 5% des étudiants français sont concernés par la mobilité internationale. Les étudiants qui bénéficient du programme Erasmus sont au nombre de 30.000 chaque année, sur plus d’un million d’inscrits. La question sert surtout à identifier les élèves de grandes écoles (environ 5% d'une classe d'âge), dans les programmes desquelles le séjour à l'étranger est souvent obligatoire.
C'est aussi un bon exemple des ambiguïtés autour de la consitution d’une bulle: ceux qui ont séjourné à l’étranger lors de leurs études parlent plus de langues, ont été confrontés à un autre système social et sont donc plus «ouverts» sur le monde que leur contemporains. Pourquoi donc les isoler? Parce que statistiquement parlant, ils représentent une minorité de Français. Les «expats» ont par ailleurs un niveau de vie souvent plus élevé que la moyenne de la population.
Avez-vous passé votre permis de conduire?
Désolé pour les Parisiens, qui perdent logiquement des points sur cette question. En dépit des discours à la mode sur la fin de l'automobile, les 18-29 ans étaient encore 73% en 2012 à passer leur permis. En 2010, 70% des actifs de France métropolitaine utilisent leur voiture pour aller travailler tous les jours. Prendre un Vélib' le matin est donc très sympathique: réduire les questions de transports et de choix de mobilité aux pistes cyclables est en revanche une opinion typique d'habitant de zone urbaine dense dont le logement se situe à distance raisonnable de son travail.
Avez-vous fréquenté un hypermarché lors des six derniers mois?
Contrairement à un supermarché ou à une supérette, un hypermarché est un magasin surtout centré sur l'alimentaire, dont la surface est de 2.500 mètres carré minimum. Là encore, don't believe the hype: selon l’enquête «Commerce» du Crédoc de 2012, 91% des personnes interrogées ont fréquenté un hypermarché dans l'année.
Avez-vous déménagé dans une autre région que celle où vous êtes né?
Sept Français sur dix habitent dans leur région natale. La probabilité de quitter sa région d’origine est fortement liée au niveau d’étude. 37% des diplômés du supérieur vivent dans une autre région que celle où ils sont nés, contre 25% des niveau bac ou inférieur. Une récente étude de France Stratégie révèle que «85 % des jeunes d'origine populaire nés entre 1965 et 1979 ont suivi leurs études dans la même région de naissance que leurs parents».
On propose une réponse à part aux natifs d'Île-de-France, car l’offre universitaire et d’emploi y est la plus diverse et la plus qualifiée du pays. Rester dans sa région n’est donc pas lié dans ce cas à un défaut d’offre d’études ou d’emplois.
Lors des deux dernières années, êtes-vous parti en vacances d'hiver...
Faut-il vraiment développer? Comme l'explique l'Observatoire des inégalités, «les deux tiers des Français ne partent jamais en vacances l’hiver (de début décembre à fin mars) selon le Crédoc. Moins d’un Français sur cinq (17%) part au moins une fois tous les deux ans, un sur dix tous les ans. Partir skier est encore plus rare. 8% des Français partent au ski au moins une fois tous les deux ans».
Avez-vous déjà résidé dans une commune de moins de 50.000 habitants? (hors vacances)
Plutôt que d'opposer urbain et rural, cette question donne une bonne idée du cadre quotidien des trois quarts de la population, puisque 76,3% des Français résident dans une commune de moins de 50 000 habitants selon l'Insee. Cette répartition ne dit rien par ailleurs de leur niveau de vie (communes très riches ou très pauvres).
Avez-vous pris l'avion au moins une fois au cours de l'année pour des raisons professionnelles?
Si l'éloignement du lieu de travail, et donc les longs trajets quotidiens, peut être le résultat d'un choix résidentiel comme d'une nécessité économique de se loger dans un territoire abordable, le «capital spatial» des individus varie beaucoup en fonction de leur position sociale. Selon l'Observatoire des inégalités, «la moitié des voyages en avion sont réalisés par les 2% des personnes les plus riches. En 2008, les 10% des habitants les plus riches ont fait en moyenne 1,3 voyage aérien, alors que jusqu’aux 50% les plus pauvres, le nombre moyen de vols est proche de zéro (moins de 0,2, soit un voyage tous les 5 ans). Pour la grande majorité des personnes, prendre l’avion est impossible financièrement, en dépit du développement des compagnies à bas prix.»
Poursuivez la série: KPMG, EY...
La bonne réponse était «Pwc»: il s'agit de sigles des grands cabinets de conseil en organisation. Si vous les connaissez, c'est probablement que vous êtes passé par une école de commerce ou que vous occupez un poste à responsabilité dans une grosse structure.
Avez-vous une télévision?
Selon l’Insee, en 2015, 97% des ménages français étaient équipés d’un téléviseur couleur. Les jeunes générations qui ont adopté le visionnage sur Internet s’équipent un peu moins en téléviseurs. La réponse à cette question est donc liée à votre âge.
Connaissez-vous au moins une personne dont le travail est pénible physiquement? (station debout, tâches répétitives, port de charges, exposition au bruit. Le «bore-out» ne compte pas)
Difficile d'estimer le nombre de personnes concernées. Les emplois d'employé et d'ouvrier, dans lesquels le travailleur dispose de peu d'autonomie et obéit à des routines, concernent la majorité de la population active.
Poursuivez la série: Lilian Renaud, Slimane...
La bonne réponse était Kendji Girac: les trois compétiteurs ont en commun d'avoir remporté une saison de l'émission «The Voice» (TF1), dont les audiences moyennes tournent autour de 6 à 7 millions de téléspectateurs.
Savez-vous ce que signifie «RT»?
Cette question sert à savoir si vous faites partie de la population qui utilise régulièrement Twitter pour donner son avis sur la marche du monde. Le réseau social, très prisé des faiseurs d'opinion (ou qui prétendent au titre), compte environ 300.000 personnes en France qui tweetent tous les jours.
Combien de personnes pouvez-vous nommer sur ce selfie?
Pour battre le record du selfie collectif le plus tweeté de l'histoire, détenu par la présentatrice américaine Ellen DeGeneres entourée de stars hollywoodiennes, Cyril Hanouna (au premier plan), présentateur de «Touche pas à mon poste», s'est entouré de ses chroniqueurs pour cette photo.
Hé @TheEllenShow t en dis quoi ? Nous aussi on a notre selfie de ouf !! #TPMP pic.twitter.com/V5MUZy85mh
— Cyril Hanouna (@Cyrilhanouna) November 7, 2016
Malgré un relatif échec, la photo a été retweetée plus de 122.000 fois.
Combien de ces films avez-vous vus? Intouchables, Bienvenue Chez les Ch’tis, Qu'est-ce qu'on a fait au Bon Dieu?, Astérix et Obélix: Mission Cléopâtre, Les Bronzés 3.
Les cinq figurent dans le top 10 des plus gros succès du box-office de l'histoire des films français, et sont tous sortis en salle après le passage à l'an 2000. À eux tous, ils cumulent environ 75 millions d'entrées, soit plus que la population française.
Êtes-vous sorti au restaurant au cours des deux dernières semaines?
Selon un sondage effectué en 2012, l’immense majorité des Français se rend au restaurant au moins une fois dans l’année. Un tiers s’y rend au moins une fois par mois. Mais seulement 9% s’y rendent une fois par semaine ou plus.
Avez-vous consommé au moins un produit sans gluten au cours des 30 derniers jours?
Un petit trolling des familles. La question évalue à quel point vous êtes proche des modes alimentaires du moment.
Avez-vous, lors des derniers mois, eu au moins une conversation politique avec quelqu'un qui n'était pas du tout de votre avis?
Une question qui permet d'évaluer si vous êtes exposé à des opinions divergentes.