Nous assistons à un relâchement total de la parole politique, des codes, des us et coutumes, avec une surenchère de mises en scène spectaculaires. C'était vrai à l'évidence lors de la conférence de presse de Charles Pasqua consacrée à l'Angolagate. Un exercice à mi-chemin entre Pagnol et le Parrain, entre Fernandel et Al Paccino. Un sénateur de la République, ancien responsable du SAC, ancien roi des Hauts de Seine, ancien ministre de l'Intérieur, fraîchement condamné par la justice, a traité, devant nous, un ancien Président (par ailleurs renvoyé lui-même devant la justice) et un ancien Premier ministre (lui-même aussi sous le coup d'un autre procès) de lâches.
En réalité, ça fait 15 ans que Charles Pasqua œuvre politiquement contre ces deux anciens amis pour le compte d'abord d'Edouard, Balladur, puis pour son propre compte (Charles Pasqua, ne rigolez pas, avait pensé se présenter à l'élection présidentielle de 2002). Dans ce camp là, on ne sait plus qui a trahi qui en premier. Bref les vannes sont ouvertes. On a eu droit aux crocs de boucher de Nicolas Sarkozy contre Villepin, puis à Villepin en Mirabeau contre Sarkozy accusé de brader les valeurs de la République...et, comme si tout était possible, on a eu aussi, dans le cadre du «quand les bornes sont dépassées, il n'y a plus de limites» ambiant, à une semaine de toutes les outrances. Juste avant Charles Pasqua déballeur en chef, l'idée la plus bête qui soit, celle d'Eric Raoult: le député maire du Raincy voudrait que les lauréats des prix littéraires s'imposent un droit de réserve. La nuance semble avoir disparu ces derniers temps de la pensée et du discours politique. Rien que cette semaine donc...
Prenez les deux présidents des deux principaux groupes parlementaires, le groupe UMP et le groupe socialiste. Jean-François Copé a déclaré, concernant l'éventuelle commission d'enquête sur l'utilisation des sondages à l'Elysée, qu'il la trouvait attentatoire au principe de la séparation des pouvoirs... Il a dit «la confusion des pouvoirs c'est le début de la dictature»! Dans le même ordre d'idée, Jean-Marc Ayrault peut dire, en évoquant l'élection de 2012 et Nicolas Sarkozy: «Il doit être battu pour la survie de la République»! Donc une commission d'enquête sur les sondages à l'Elysée serait le début de la dictature et Nicolas Sarkozy réélu ce serait la fin de la République!
On a comme l'impression que pour retenir l'attention dans une actualité politique qui se renouvelle chaque jour et même plusieurs fois par jour, il faut forcer le trait pour retenir l'attention. Alors les leaders de partis, mais aussi la presse, cèdent à la tactique de la construction d'un enchainement abusif.
Voilà comment ça marche: restons sur nos deux exemples de Copé et Ayrault, deux personnages plutôt responsables et d'ordinaire modérés. Demander une commission d'enquête sur les agissements du Président de la République, c'est vrai que ce n'est pas prévu dans la constitution. C'est vrai que, du coup, ce peut être perçu comme une atteinte, assez minime, à la séparation des pouvoirs. La séparation des pouvoirs est un élément essentiel de la démocratie, donc y toucher c'est le début de la dictature. Ben tiens! Imparable. De même, vérifions l'enchainement abusif proposé par Jean-Marc Ayrault: Nicolas Sarkozy concentre les pouvoirs à l'Elysée. C'est une atteinte à la séparation des pouvoirs donc le réélire serait la fin de la République. Rien que ça...
Ces deux phrases procèdent de la même logique du «qui vole un œuf vole un bœuf, qui vole un bœuf braque une banque etcetera» donc qui vole un œuf braque une banque! La presse succombe aussi à ce besoin d'outrance pour se distinguer. Le summum a quand même était atteint en la matière par nos confrères de Marianne qui, à propos de l'affaire Jean Sarkozy, avaient titré... «La République abolie»!
Thomas Legrand
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Image de Une: Eric Raoult en 2007. Charles Platiau / Reuters