Parents & enfants

Les petits mots à l'école existent encore

Temps de lecture : 7 min

Et ça reste un «truc de filles»

Handwritten  par A. Birkan ÇAGHAN, via Flickr, License CC

Pendant mes années lycée, soit à la fin du siècle dernier, mon principal support de communication était la copie perforée à grands carreaux. Une fois ma correspondance rédigée, je pliais la feuille en 64 avant de la remettre à sa destinataire. Certains soirs de ma scolarité, il me fallait écrire jusqu’à trois courriers: l’un pour l’élue de mon coeur, les autres pour mes confidentes. Jamais que des filles. Dans mon lycée, les filles s’écrivaient entre elles, les échanges mixtes existaient aussi, mais jamais on n’a vu un garçon remettre une lettre à un autre garçon.

Ma grand-mère, et n'importe quel individu accoudé au comptoir un pastis à la main, vous dirait qu’à cause de toute cette technologie qui a envahi nos vies, on ne se parle plus, que les discussions superficielles ont supplanté les vraies conversations et que les échanges épistolaires ont disparu, c'est bien triste, c'était si beau. Sauf que les échanges épistolaires n'ont pas disparu. J'en suis le témoin quotidien dans ma classe.

Contrairement à ce que l’on aurait pu imaginer, l’avènement des téléphones mobiles et des réseaux sociaux est loin d’avoir fait disparaître cette pratique de l’échange épistolaire entre lycéens et lycéennes. À chaque récréation ou pause méridienne, je suis surpris de croiser des élèves en train de lire ou relire pour la millième fois une lettre écrite au stylo plume par un(e) prétendant(e) ou un(e) simple ami(e). «C’est tellement plus intime», m’explique Aurore, élève de Terminale ES:

«Quand on reçoit ce genre de lettre, avant même de l’avoir ouverte, on comprend qu’on n’est pas n’importe qui, qu’on a une place à part dans le coeur de la personne qui nous écrit.»

«C’est du temps privilégié que l’on accorde à l’autre»

Aurore a souvent échangé des courriers sur papier avec ses amoureux (c’est elle qui emploie le mot). Pour elle, c’est quasiment ce qu’il y a de plus important: «Comme j’habite très loin du lycée, je ne vois pas beaucoup mes potes et mon mec en dehors du temps scolaire. Grâce à WhatsApp je reste en contact avec tout le monde, mais je trouve ça presque un peu trop facile. Un message de quelques lignes, ça fait plaisir mais ça n’engage en rien. On peut l’écrire en pensant à autre chose ou en parlant avec d’autres gens. Alors qu’une lettre, ça oblige à s’isoler, à se concentrer pour que ce soit bien écrit. C’est du temps privilégié que l’on accorde à l’autre».

Aurore confie s’être désintéressée de plusieurs garçons qui avaient considéré son amour de l’échange épistolaire avec dédain ou paresse. «Je me suis dit qu’ils n’en avaient rien à foutre de moi, que j’étais interchangeable». Depuis quelques années, elle consigne les lettres reçues dans des boîtes qu’elle dissimule dans sa chambre. «J’ai quasiment tout gardé. Je pense que ce sera instructif de les relire plus tard, pour me souvenir des gens qui ont compté et du type de relation qu’on avait. Quand j’écris à mon mec, même si ça n’est pas le but premier, j’espère toujours que lui aussi garde ça précieusement. Et je me dis que si jamais on reste ensemble longtemps, ça nous fera de jolis souvenirs du début de notre relation.»

je me dis que si jamais on reste ensemble longtemps, ça nous fera de jolis souvenirs du début de notre relation

Aurore attache un intérêt particulier à ces histoires de correspondance. Alors pourquoi pas acheter du papier à lettres au lieu d’utiliser des feuilles quadrillées ou des pages de cahier? «Faut quand même que ça ait un peu de charme. Il y a un côté spontané qui me plaît bien. Et puis ça permet de pouvoir écrire de n’importe quel endroit, y compris la salle de classe. On planque une feuille sous une autre et le tour est joué».

Un truc de filles

Des ados comme Aurore, il y en a dans toutes les classes. Des filles, principalement. «Les mecs sont vraiment trop cons», explique Théo, élève de Terminale STL. «Quand j’ai commencé à échanger des lettres avec celle qui est devenue ma meilleure amie depuis, mes potes ont commencé par se foutre de moi. Ils ne comprenaient pas l’intérêt. Pour eux, ça n’est pas efficace, c’est un truc de filles. Ils pensent que se parler directement et s’envoyer des SMS, c’est suffisant. La vérité c’est que j’ai l’impression de me confier beaucoup plus profondément quand j’écris sur du papier. Je n’hésite pas à faire quatre paragraphes sur un seul sentiment ou une seule idée, alors que par SMS on a vite envie de résumer pour aller à l’essentiel».

Est-ce qu’il s’imaginerait tenir une telle correspondance avec un autre garçon? «Moi je n’ai rien contre, mais c’est sûr qu’on se ferait traiter de pédé par certains autres», répond-il. «Quand deux filles s’écrivent, on en déduit que ce sont les meilleures amies du monde et on leur fout la paix. Quand c’est deux mecs, j’ai l’impression qu’on imagine tout de suite qu’ils veulent se choper. Et je n’ai pas l’impression que les gens de mon âge soient tous très à l’aise avec ça».

En attendant, Théo continue d’écrire à son amie Audrey, au moins une fois par semaine. Un sourire en coin, il confie: «En voyant qu’on s’écrivait tout le temps, deux autres filles de la classe se sont mises à m’écrire elles aussi. Je crois que ça met en confiance de voir qu’un garçon prend le temps d’écrire et de lire des lettres. J’imagine qu’on se dit qu’il est moins bête que la moyenne des mecs de 17 ans. Ça n’était pas mon but au départ, mais j’ai clairement plus de succès avec les filles que lorsque je n’écrivais pas. Parmi les deux filles dont je parlais, l’une d’elles était venue vers moi juste parce qu’elle trouvait ça cool de se confier à l’écrit et de recevoir des confidences en retour. La deuxième avait une autre idée derrière la tête». Théo n’en dira pas plus: comme le contenu de ses échanges, sa vie sentimentale ne nous regarde pas.

Voir un mec ou une fille avec un portable, ça ne fait pas rêver

Sonia partage un peu l’avis de Théo: elle sait que celles et ceux qui échangent des sentiments et des pensées sur copie double savent se rendre immédiatement attirants pour les autres. «Maintenant, tout le monde a un portable. La plupart d’entre nous ne s’en sert que pour des conneries, comme poster des images sans intérêt sur Snapchat ou échanger des images marrantes sur Facebook. Voir un mec ou une fille avec un portable, ça ne fait pas rêver. Alors que si la personne est en train de lire une lettre, ça la rend immédiatement plus mystérieuse. Quelqu’un à qui on a tellement à raconter est forcément un peu unique».

Ecrire et recevoir des lettres, c’est comme appartenir à une société secrète: ça n’est pas donné à tout le monde

Sonia

Alors Sonia l’avoue: parfois, lorsqu’elle sort pour la cinquième fois de la journée la feuille A4 transmise le matin même par l’une de ses amies, c’est moins pour la relire que pour montrer aux autres, l’air de rien, qu’elle fait partie de ces gens à qui on écrit. «Parmi les gens qui n’écrivent pas, il y a ceux qui s’en foutent totalement, et puis il y a ceux qui aimeraient bien mais qui n’y arrivent pas, ou qui n’ont trouvé personne à qui écrire. Ceux-là, ils nous admirent un peu. Ecrire et recevoir des lettres, c’est comme appartenir à une société secrète: ça n’est pas donné à tout le monde».

Devenir adulte

Mais qu’est-ce que s’écrivent ces jeunes gens, au juste? «Parfois c’est juste des mots d’amour», confie Aurore. «J’essaie de trouver des métaphores pas trop pourries pour expliquer à celui que j’aime pourquoi je l’aime. Et j’aime quand il fait pareil de son côté.»

L’écrit est aussi une façon apaisée de régler des conflits ou d’adoucir des rancoeurs, comme le confie Sonia: «Parfois on se fâche pour des gamineries, du genre “tu parles trop à X ou à Y alors que c’est moi ta meilleure amie”. Si on s’en parlait de vive voix, on ne serait jamais d’accord et on risquerait de dire des méchancetés qu’on ne pense pas. Ecrire permet de ne pas envenimer les choses, et ça évite aussi de se prendre la tête pour des bêtises: parfois, c’est en écrivant sur un sujet de dispute que je me rends compte qu’il n’a aucun intérêt».

Mais tout ne tourne pas forcément autour des rapports amoureux ou amicaux, comme le confie Aurore. «Avec une de mes copines, on parle aussi de films et de politique. Comme j’aurai 18 ans le 17 décembre, je vais pouvoir voter en 2017, mais je ne sais pas pour qui. On parle de ces choses là, parce qu’on est en train de devenir des adultes et que je me sens parfois un peu perdue».

Que penserait-elle de ses propres lettres si elle avait l’occasion de les relire dans dix ans? «Je me trouverais sans doute un peu immature, mais j’imagine que c’est que tout le monde pense quand il se retourne sur son adolescence». Et si quelqu’un d’autre que ses correspondants ou elle-même tombaient sur les fameuses lettres? «Ça serait horrible. Même quand je parle de choses futiles, c’est l’endroit où je me mets le plus à nu. Je détesterais que ma mère ou les demeurés de ma classe tombent sur ça.»

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