Monde / Culture

Iran: répondre à la crise par l'image

Temps de lecture : 3 min

Deux expositions présentent des photos d'Iran

JAVAD MONTAZERI, 30 octobre 2005, Téhéran, tirage argentique, au musée de la Monnaie
JAVAD MONTAZERI, 30 octobre 2005, Téhéran, tirage argentique, au musée de la Monnaie

Depuis six mois, l'Iran connaît une surexposition médiatique. Le contrôle du nucléaire iranien, enjeu fort de la politique étrangère d'Obama et pièce maîtresse de la stratégie nationaliste d'Ahmadinejad, reste hissée à la une des rubriques internationales. A côté de cette saga dans laquelle le président iranien joue le rôle d'une starlette (disant oui puis non à ces négociations), la répression de l'opposition occupe aussi tristement les colonnes de nos journaux. Depuis l'élection du 12 juin 2009, où les partisans du candidat Moussavi ont crié à la confiscation de leur vote, un bras de fer s'est engagé entre la rue et le président mal élu. Mais ni les violences lors des manifestations, ni les arrestations massives, ni les tortures et les viols commis sur les prisonniers ne font taire la rue, comme le démontrent encore les manifestations du 4 novembre. Les photos des opposants à Ahmadinejad, arborant aux poignets ou en écharpe la couleur verte de Moussavi et bravant les milices sont ainsi devenues des icônes de la résistance.

Aujourd'hui, ces photos iraniennes se sont échappées des journaux pour s'exposer dans les musées de Paris et proposer aux visiteurs un regard en profondeur sur l'Iran contemporain. La capitale française célèbre en effet en grande pompe 165 ans de photographie iranienne (au Musée du Quai Branly), et 30 ans de Photojournalisme en Iran (à La Monnaie de Paris).

L'idée était bonne. L'Iran est une grande civilisation de l'image, sans aucun doute celle, au sein du monde islamique, qui a créé les plus grandes œuvres iconographiques et suscité les réflexions théoriques les plus abouties sur le sujet. A chaque grande crise, politique ou sociale, à chaque essor d'un pouvoir, une réflexion avec l'image et par l'image a répondu à ces mutations. Des bas-reliefs achéménides (VIe siècle avant JC) mettant en scène le grand roi Darius et ses populations conquises à l'élaboration de miniatures («persanes») au service de la poésie plus que du pouvoir (14-16e siècle) et qui ont déjà su explorer une dimension documentaire en peignant les gestes les plus précis des artisans, des masseurs, des pharmaciens, des marchands...., jusqu'au développement de la photographie (à la cour du Shah dès 1844) puis du cinéma (en 1900, toujours à la cour des rois Qadjar), l'Iran a montré des trésors d'inventivité en la matière. Et ses artistes ont su composer avec une censure toujours présente. A l'origine attribut du pouvoir, la maîtrise de l'image a été saisie par le peuple, comme le montre l'histoire de la photo iranienne.

Soumission au régime

L'ambitieuse exposition du Quai Branly rend cependant bien peu honneur à la richesse du patrimoine photographique iranien et à ce transfert de souveraineté. Le visiteur, au terme d'un parcours sinueux, ressort avec une impression d'indigence. Peu de photographies exposées, mais surtout de surprenantes lacunes, notamment celles concernant l'Iran des années 50 à la fin des années 70, moment où la photo documentaire gagne pourtant ses lettres de noblesse pour saisir la vie quotidienne des Iraniens. Seuls de rares clichés de Ahmad Aali ou ceux de Kaveh Golestan sont là pour attester de cette prise en charge décisive. Difficile en visitant l'exposition d'échapper à l'impression que l'accrochage s'est soumis aux diktats d'un régime qui cherche à rayer des mémoires l'époque qui l'a précédé.

Réalisé au musée de La Monnaie de Paris suivant la même direction artistique (Anahita Ghabaian) et par les mêmes commissaires d'exposition (Bahman Jalali et Hasan Sarbakhshian), «L'Iran entre l'espoir et le Chaos, trente ans de photojournalisme iranien» présente un regard plus modeste mais plus aiguisé, plus dense et plus complexe sur la photographie iranienne. L'entrée par une salle qui expose des photos anonymes prises lors des manifestations de juin 2009 affiche d'emblé comment les photographes se sont saisis des tensions les plus vives. Photographiés du côté des manifestants, un de ces clichés montre des motards habillés en civils, montés à deux sur une moto, l'un conduisant, l'autre matraquant. Pour répondre à cette violence un homme les affronte à mains nues. Citons aussi cette photographie, toujours anonyme, d'une femme en tchador noir levant la main contre ces milices venues pour casser de l'étudiant devant le parvis de l'Université de Téhéran et qui s'acharnent sur un homme à terre. Tout est dit: la violence de la répression, mais aussi la résistance d'une opposition sans arme, loin d'être uniquement composée de jeunes occidentalisés et de se réduire à une seule catégorie sociale. La censure des journalistes et des photographes lors des élections de juin 2009 montre combien le pouvoir redoute l'image et saisit la portée politique et symbolique d'un cliché.

Apparemment moins politiques, les salles suivantes font place aux photographies de l'intime (des hommes qui se rasent dans un hammam), et des fantasmes (les photos accrochées dans une chambre d'adolescente). Quatre photos de Mahdieh Moradi montrant quatre femmes posant à l'entrée de leur cuisine, ouvertes sur le salon, révèlent à la fois une société iranienne hétérogène (une femme porte le tchador noir, une autre un simple foulard et une troisième est en arrogant brushing), mais aussi une forme d'homogénéité, trop souvent oubliée des analyses politiques : à bien des égards ces cuisines et ces femmes se ressemblent. Et tout comme sur la scène politique, il serait bien hasardeux d'y établir des catégories stables opposant modernité et tradition.

Paul Chami

165 ans de photographie iranienne, Musée du Quai Branly, du 22 septembre au 29 novembre.

Entre l'espoir et le chaos.30 ans de photojournalisme iranien, Monnaie de Paris, du 6 novembre au 20 décembre

Image de une: JAVAD MONTAZERI, 30 octobre 2005, Téhéran, tirage argentique, au musée de la Monnaie

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