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Qui sont ces chiens au service de l'État?

Temps de lecture : 11 min

Il y a un an, le hashtag #JeSuisChien, devenu viral, rendait hommage à Diesel, chienne d’assaut du Raid, morte au combat. Ses collègues à la douane ou chez les sapeurs-pompiers sont-ils tout aussi redoutables? Mise au point canine chez les forces de l’ordre.

Le Berger Belge Malinois de la REXPEMO crédit F. BALSAMO - Sirpa-Gendarmerie
Le Berger Belge Malinois de la REXPEMO crédit F. BALSAMO - Sirpa-Gendarmerie

On ne reviendra pas sur le débat «qui a tué Diesel?» il y a tout juste un an, ce 18 novembre 2015, l’enquête suit son cours. Après le décès de 130 êtres humains tombés sous les balles des terroristes à Paris le 13 novembre 2015, la mort de ce berger belge malinois femelle avait étonnament ému le monde entier.

Dans l’Hexagone, c’est le premier chien tué lors d’une opération. Le sort tragique de Diesel n’est pas unique en son genre: récemment, on peut citer le berger allemand Akil, abattu le 18 mars 2015 lors de l’assaut du musée du Bardo à Tunis. Bernard Cazeneuve, ministre français de l’Intérieur, avait fait don à la Tunisie d’un animal pour remplacer Akil. Concernant Diesel, ce sont les Russes qui ont offert un chiot aux policiers du Raid.

Un lien à part

Diesel appartenait à un petit monde, celui des brigades cynophiles, une branche à part au sein des diverses forces de l’ordre: peu importe l’uniforme, policiers, gendarmes, pompiers, douaniers, soldats, tout le monde se connaît et voue une passion à l’espèce canine. «Il faut bien ça, reconnaît le comportementaliste animalier Jean-Marc Graff. Un duo homme-chien qui fonctionne, ça représente des heures de travail, il faut se comprendre en un regard.» Même son de cloche pour Patrick Wissen, adjudant et maître-chien retraité de la gendarmerie, basé en Alsace: «Je m’entendais mieux avec mon chien Patton qu’avec mes confrères, lui était mon ami et un vrai “monsieur”, les autres, des relations de travail.»

Le berger allemand Patton et son maître

Il existe toute une palette d’emplois pour ces cabots qui rejoignent les forces de l’ordre. Diesel a fait fondre le cœur de millions d’internautes, elle n’en était pas moins un chien d’assaut dressée à mordre. Dans l’inconscient collectif, le molosse secondant de musculeux légionnaires est l’image la plus répandue. Détrompez-vous, parmi les recrues canines, figurent aussi des profils plus intellos, moins costauds mais à la truffe en or. Les chiens d’assaut/d’intervention/de patrouille (essentiellement des bergers allemands, bergers belges malinois ou bergers hollandais) sont les plus connus, les «pisteurs», eux, sont moins célèbres mais tout aussi recherchés pour leurs très grandes capacités olfactives.

Le Berger Belge Malinois de la REXPEMO crédit F. BALSAMO - Sirpa-Gendarmerie

Spécialisation

Ensuite, à chacun sa spécialité: recherche de stupéfiants, d’explosifs, d’armes et munitions, de produits accélérateurs d’incendie, de faux billets de banque, de personnes disparues vivantes, de «cadavres» ou restes humains, et en montagne, de personnes ensevelies en avalanche. Depuis les attentats, une nouvelle «technicité» est apparue: les chiens «REXPEMO», pour Recherche d’explosifs sur des personnes en mouvement.

En fonction des missions, les administrations «castent» des pedigrees variés, ce qui peut amener des races inattendues à incorporer les rangs des douaniers, des sapeurs-pompiers ou des gendarmes.

«Pour certaines tâches physiques, explique le comportementaliste animalier Jean-Marc Graff, le critère morphologique intervient mais en réalité, peu importe la race si l’individu est bon. Par exemple, le “roi des pisteurs”, qu’on voit dans toutes les séries américaines, ressemble plus à Pluto qu’à Rintintin: c’est le Saint-Hubert, il n’a rien d’impressionnant et pourtant il possède un flair extraordinaire. Même chose avec les Cocker, les Springer Spaniel: ils n’ont pas de carrure imposante, mais ce sont des as du pistage.»

La taille compte

Le caniche, à l’odorat également très développé, a connu son heure de gloire dans les années 1990 au sein des douanes françaises: on imagine plus volontiers la bestiole sur un canapé qu’au milieu des bagages et pourtant, cet être apparemment délicat détecte à merveille drogues douces et dures dans les caches les plus inaccessibles.


«J’ai fait équipe 12 ans avec Hash, mon caniche nain de 6 kg, raconte avec des étoiles dans les yeux Jean Muller (le nom a été modifié), maître-chien anti-stup et contrôleur principal dans les douanes françaises. Objectivement, c’était le meilleur! J’ai travaillé avec lui à l’aéroport de Roissy, au début dans les sous-sols puis beaucoup en civil au “filtre passager”.»

À deux mètres de moi, Pierrot lève son fusil à pompe, pas le temps de dire “attaque” ou de dégainer, mon chien l’a stoppé d’un coup en le choppant à l’épaule

Un homme sans uniforme accompagné d’un toutou de mémère, quoi de plus passe-partout? Toutefois l’expérience a été abandonnée. Selon l’un des porte-parole du service communication, «les caniches étaient bons sur le plan olfactif, mais quand la bête fait la moitié de la taille d’une valise, c’est compliqué, on a préféré abandonner». Trop petit, le chien ne tient pas sur la durée mais trop gros, c’est contre-indiqué dans certains domaines, explique Olivier Riffard, vétérinaire-colonel du Service départemental métropolitain d’incendie et de secours (SDMIS) et référent national pour la cynotechnie chez les sapeurs-pompiers:

«Dans la sécurité civile, on ne travaille qu’avec des chiens de taille moyenne. Nos éléments doivent pouvoir circuler sur des décombres post-séisme par exemple, or le chien de petite taille n’arrivera pas à cheminer sans assistance et le chien de grande taille sera désavantagé, car trop lourd. Nos recrues doivent pouvoir passer partout, on privilégie donc les robes courtes et non frisées. Sur des ruines, les poils longs prennent la poussière et en campagne, ils s’accrochent dans les ronces et les buissons, c’est inconfortable pour eux et ça les rend moins performants.»

Des personnalités

Dans certains cas, l’intello-renifleur doit pouvoir «aller au carton» comme dit l’ex-gendarme Patrick Wissen: «Si la personne recherchée n’est ni un enfant, ni un vieillard atteint de la maladie d’Alzheimer, mais plutôt un malfaiteur, le “pisteur” doit savoir attaquer. Mon berger allemand m’a sauvé la vie en 1992, en arrêtant “Pierrot le fou” [pas celui du film de Jean-Luc Godard, mais celui-ci, ndlr]: à deux mètres de moi, Pierrot lève son fusil à pompe, pas le temps de dire “attaque” ou de dégainer, mon chien l’a stoppé d’un coup en le choppant à l’épaule.»

Le travail des conseillers techniques, chargés de la sélection au sein des brigades cynophiles ou «cynotechniques», consiste à déceler et comprendre la personnalité du limier. Certes, un patrimoine génétique domine, mais comme chez l’homme, il y autant de caractères que d’individus selon Jean-Marc Graff:

«Si vous avez un joueur foufou, vous allez l’orienter vers les “stup” et surtout pas vers les “explo”, parce que s’il fait une fête du feu de Dieu chaque fois qu’il trouve la substance, il ne va pas vivre longtemps.»

Pour le pisteur, chercher le peroxyde d’acétone ou la barrette de shit, c’est chercher sa «poupée», son jouet pour ensuite obtenir une récompense auprès de son maître. «Quand il a trouvé, il doit “marquer”: si c’est de l’“explo”, il doit rester immobile et se coucher, si c’est du “stup”, il doit aboyer et gratter.» Ces dernières années, les labradors tiennent le haut du pavé dans les douanes pour débusquer MDMA, cocaïne, héroïne etc.: «Ils sont régulièrement formés aux nouvelles substances qui apparaissent sur le marché. Les trafiquants sont de plus en plus inventifs, mais nous aussi», affirme d’un air amusé le maître-chien stup’ Jean Muller.

«Hidol, mon labrador actuel, est dressé pour trouver la drogue à 3m50 du sol s’il le faut… En exercice, j’ai déjà planqué des échantillons dans des lustres! Le plus grand plaisir qu’on puisse avoir sur le terrain, c’est quand le chien vous devance et pense à une cache que vous ne soupçonniez pas. Chez ces chiens-là, c’est le plaisir de jouer qu’il faut entretenir, c’est ça le moteur. Hidol, mordre, ça ne l’intéresse pas, il n’est d’ailleurs pas formé à cela, mais il aboie de façon très convaincante quand je prononce le prénom de ma femme, ça porte déjà bien ses fruits.»

Lewis, le chien on/off de Laurent Marty

Chiens dangereux?

Ces cerbères sont-ils ou peuvent-ils devenir dangereux? «Ce ne sont évidemment pas des machines à tuer, mais encore une fois, tout dépend du caractère», tempère Frédéric Lorentz, gardien de la paix et homme d’attaque au sein de l’unité canine départementale de Strasbourg [il encadre des binômes homme-chien et supervise les entraînements de la recrue à quatre pattes, ndlr]. «Certains spécimens sont plus craintifs. Si vous les approchez, ils vont grogner, montrer les dents… C’est un SMS qu’ils vous envoient: “M’approche pas!” Ça ne veut pas dire qu’ils sont dangereux, mais qu’ils n’ont pas envie de se laisser caresserLe fameux effet dissuasif, composante essentielle lors des rondes d’anti-délinquance et les recherches de flagrant délit chez les policiers patrouilleurs: «Tout de suite, dès que vous sortez le chien, les gens sont plus courtois», constate en riant Laurent Marty, sous-brigadier et maître-chien au sein de la police strasbourgeoise. Lewis, son berger belge malinois de 20 mois, se laisse caresser et en redemande mais «si je lui donne l’ordre de vous bouffer, il le fera! C’est qu’on appelle un chien ON/OFF, on l’allume et l’on éteint: il est sociable et joueur au repos, mais “clac on passe en phase opérationnelle, il est aussitôt au travail.»

Le chien jouit d’un statut de militaire avec matricule. Il sert pendant 8 à 9 ans en moyenne et fait l'objet, comme son maître, de remises de décorations dès lors qu'il a rendu certains services éminents à la nation

Par ailleurs, le chien-flic attaquant tous crocs dehors à tout bout de champ est une légende. Celui-ci est la plupart du temps muselé, la réglementation française étant la même qu’avec une arme de service: on ne dégaine/démusèle qu’en cas de légitime défense. Les chiens sont donc formés «au mordant», mais ils pratiquent plus fréquemment la «frappe muselée» que décrit Olivier Sonntag, brigadier-chef de police, responsable de l’unité cynophile de Strasbourg:

«Les muselières étant renforcées avec des plaques métalliques, au niveau force d’impact, un chien lancé à pleine vitesse qui percute un fuyard aura la puissance d’un coup de poing de boxeur professionnel, ça casse facilement une côte, du moins ça assomme le fugitif et ça permet d’éviter d’avoir recours à des armes non-létales voire létales…»

Décorations

Les forces de l’ordre n’échappent pas à la crise, les manifestations policières récentes l’ont prouvé. À l’heure où les moyens manquent, le chien en uniforme est-il une dépense nécessaire? La réponse est sans appel en ce qui concerne les pisteurs: aucun robot, aucun nez électronique ne remplacera jamais le flair canin. Et inutile de traiter ces quadrupèdes de fonctionnaires ou de planqués: ils n’ont globalement ni retraite, ni salaire, ni statut particulier, sauf chez les militaires.

Dans la police, ils ne sont que de simples instruments, détaille l’éducateur Frédéric Lorentz: «Quand ils sont muselés, ils sont considérés comme des armes intermédiaires, au même titre qu’un bâton télescopique ou un pistolet à impulsion électrique.»

Les soldats sont moins ingrats: selon le Sirpa, Service d’information et de relations publiques des armées (qui gère aussi la gendarmerie), «le chien jouit d’un statut de militaire avec matricule. Il sert pendant 8 à 9 ans en moyenne et fait l'objet, comme son maître, de remises de décorations dès lors qu'il a rendu certains services éminents à la nation. Après son temps de service, il est admis à la retraite, généralement chez son ancien maître. Les décorations ne sont pas forcément courantes, elles dépendent des constats effectués par les chefs sur le terrain. Dernièrement, plusieurs décorations, médaille de la défense nationale, médaille du courage et du dévouement, ont été attribuées à des chiens. Des médailles de la sécurité intérieure ont été demandées pour la première fois à la suite de l'Euro 2016 pour les chiens REXPEMO.»

MaxPPP

Côté gendarmerie, les bergers Allemands de Patrick Wissen ont tous vécu sous son toit: à chaque fois, l’adjudant a dû prendre une assurance à ses frais, rien n’était pris en charge, ni croquettes ni soins vétérinaires, «alors que [s]es homologues allemands bénéficiaient d’un défraiement à hauteur de 50%».

Les protocoles au sein des bridages cynophiles varient d’un pays à l’autre. Au moment des attentats de Madrid en 2004, les Espagnols ont eu recours au Braque de Weimar pour la détection d’explosifs, un choix qui a surpris les spécialistes français avoue Jean-Marc Graff: «Pour nous, ce sont des chiens bien trop chauds pour tâter de l’“explo”, c’est du 380 volts… Mais finalement, le choix de nos voisins démontre que rien n’est gravé dans le marbre, c’est surtout une histoire de lignée et de l’usage qu’on en fait.»

«Ça reste un chien»

Il n’y a pas de champion du monde en matière de cynotechnie, confirme le vétérinaire-colonel Olivier Riffard, «il y a simplement plusieurs approches opérationnelles. Nous, Français, on s’engage sur le terrain avec nos chiens. D’autres protections civiles dans le monde envoient les chiens d’abord. On choisit, nous, de les accompagner car d’expérience, on sait qu’ils ont un comportement qui diffère entre l’exercice et l’opération réelle. En exercice, on leur demande d’aboyer, ça peut leur arriver de ne pas le faire car une foule d’événements les perturbe, du stress du maître jusqu’au tas d’odeurs inhabituelles. Ils réagissent autrement, c’est pour ça qu’il faut rester près d’eux: on les laisse faire et on interprète leurs attitudes. Si on reste en arrière, on n’aura pas l’info. Et puis dans certains cas, si le maître n’est pas là pour dire “halte”, le chien, qui n’a pas conscience du danger, va se blesser ou s’intoxiquer. Pour nous, la présence au côté de l’animal est indispensable, les autres nations préfèrent, disent-elles, privilégier la sécurité humaine… Il n’y a pas une façon de faire meilleure qu’une autre.»

Finalement, le lien qui unit un policier/gendarme/pompier/soldat/douanier à son compagnon à quatre pattes est peut-être l’un des plus sains qui soit. Patrick Wissen, béat devant ses bergers allemands, n’a jamais perdu de vue ce précepte: «Les chiens, c’est comme les enfants, si vous les laissez faire, c’est le bordel! Il faut un cadre!» L’affection est vive, le maître peut exiger des breloques pour son animal, il le respecte, oui, mais sans tomber dans l’anthropomorphisme. «Mon chien serait prêt à mourir pour moi, assure Frédéric Lorentz, c’est un collègue à part entière, mais ça reste un chien. Diesel était une éclaireuse, elle a fait son travail jusqu’au bout, comme n’importe quel policier. Vous préférez annoncer le décès d’un chien, ou d’un papa ou d’une maman?»

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