Le photomontage a déboulé sur Twitter quelques jours à peine après l’élection de Donald Trump à la Maison-Blanche. D’abord sur des comptes américains, puis sur celui de twittos français, tout fiérots.
America’s First Ladies… pic.twitter.com/MX3YsZjK88
— Diego L. Buñuel (@TheDiegoBunuel) November 13, 2016
Le sous-texte n’aura échappé à personne: il s’agit bien de décrire la nouvelle première dame comme une grosse cochonne qui fait rien qu’à montrer ses seins. Et le procédé a un nom, c’est du slut-shaming pur jus, mais qui se pare cette fois des oripeaux de la critique politique. Ainsi, rappeler que la seconde épouse de Donald Trump est un ex-mannequin, ayant parfois posé pour des photos très suggestives serait supposément devenu une manière efficace de protester contre son populiste de mari.
Tabloïd
Précisons d’ailleurs que cette manœuvre avait commencé dès la campagne pour les primaires du camp républicain. C’est dire si elle a été efficace. Les supporters de Ted Cruz avaient publié une photo de Melania Trump nue, alanguie sur un manteau de fourrure, encadrée du texte suivant:
«Voici Melania Trump, votre prochaine première dame.»
L’objectif était de convaincre les Mormons de l’Utah et de l’Arizona qu’ils ne pouvaient décemment pas élire un homme dont l’épouse a à ce point défié la modestie vestimentaire et la pudeur chères à leur cœur.
La presse tabloïd américaine, dont on connaît la ligne éditoriale quand il s’agit de femmes, s’était elle aussi allègrement repue de Une chocs, clichés de Melania Trump nue à l’appui.
Today's cover: Melania Trump like you've never seen her before https://t.co/wkoDGWTF9g pic.twitter.com/V375rBTUEw
— New York Post (@nypost) July 31, 2016
Today's cover: Melania Trump's girl-on-girl photo shoot revealed https://t.co/QUEjkxZnXg pic.twitter.com/38p82c0MiM
— New York Post (@nypost) August 1, 2016
Il est alors étonnant de constater que la rhérorique consistant à dire qu’«une femme de président ne devrait pas se conduire comme ça» soit désormais employée par ceux-là même qui se disent scandalisés par les propos bas du front et misogynes de Trump.
«Une pute»
Car ce photomontage, qui aligne des premières dames supposément dignes et élégantes pour les opposer à une Melania Trump décrite comme vulgaire, c’est du bon vieux machisme goguenard: comparer les femmes entre elles et décréter laquelle ou non mérite validation.
C’est le même raisonnement qui amène certains à dénier à Melania Trump son statut de premiere dame au bénéfice d’Ivanka Trump, plus policée, plus WASP, plus sage, plus couverte. Ivanka Trump devient l’«atout charme de la Maison-Blanche» qui «sait ce qu’elle veut» quand sa belle-mère, elle, est au mieux, décrite comme «la touche sexy». Ou plus simplement encore, comme «une pute».
Donald Trump lui-même avait joué à «comparons les premières dames pour voir qui est la plus classe» en publiant sur Twitter une photo désavantageuse de l’épouse de Ted Cruz
Ensuite, il y a quelque chose d’absurde dans le fait de lyncher publiquement une femme pour faire de l’anti-Trump alors que ce dernier a fait du slut-shaming et de la misogynie sa marque de fabrique. Comment s’élever contre un président qui a qualifié une femme de «miss Piggy», s’est vanté d’«attraper les femmes par la chatte», est accusé d’agression sexuelles, ne veut s’entourer que de «jolies femmes» en employant exactement la même rhétorique que lui?
Faire du Trump
Slut-shamer Melania Trump, c’est ni plus ni moins faire du Trump. Considérer qu’une femme ne doit être évaluée qu’à travers son physique. Et ce qu’elle en fait. Être obsédé par le physique des femmes. Rappelez-vous, Donald Trump lui-même avait joué à «comparons les premières dames pour voir qui est la plus classe» en publiant sur Twitter une photo désavantageuse de l’épouse de Ted Cruz au côté d’un cliché d’une Melania Trump éthérée et sublime.
"@Don_Vito_08: "A picture is worth a thousand words" @realDonaldTrump #LyingTed #NeverCruz @MELANIATRUMP pic.twitter.com/5bvVEwMVF8"
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) March 24, 2016
C’est oublier également que Michelle Obama a elle aussi été attaquée sur son physique, critiquée pour avoir osé montrer ses bras nus, et elle-même comparée à Melania Trump de manière parfaitement abjecte.
#InTrumpsAmerica The #FirstLady will be Great Again! #Trump2016 https://t.co/2FGmMQ1bBo pic.twitter.com/g2SOBjFXSI
— BenGarrison Cartoons (@GrrrGraphics) May 13, 2016
Que globalement, chaque première dame a été jaugée sur son apparence physique et presque toujours jugée pas assez élégante, pas assez jolie, pas assez chapeauté. Ou en tout cas, pas assez Jackie O.
Rôle politique
Pour ceux qui tiendraient absolument à s’en prendre à Melania Trump, il existe des tas de leviers possibles sans avoir à s’attaquer à son physique ou à ses photos érotiques. Car faut-il le rappeler, une femme a parfaitement le droit de disposer de son corps comme elle l’entend, et cela comprend les photos de nus, sans que cela soit érigé comme preuve implacable d’immoralité.
Vous voulez vous déchainer sur Melania Trump? Alors voilà:
Melania Trump a plagié presque intégralement un discours de Michelle Obama.
Melania Trump a menti sur ses diplômes.
Melania Trump a défendu «les discussions entre mecs» de son mari.
Mais réfléchissons-y. Après tout, quel est l’intérêt de s’en prendre à la First lady? Certes, c’est Trump lui-même et son épouse qui ont donné des verges pour se faire battre en médiatisant à outrance leur couple. Mais ils ne sont pas les seuls et cela semble faire intégralement partie du système américain. Pour autant, participer au slut-shaming ou plus largement à une cabale anti-Melania Trump revient à la considérer comme une extension de son mari. Un appendice. Un objet. Alors même qu’elle a bien pris soin de préciser qu’elle ne comptait jouer aucun rôle politique au côté de son mari. Et que Donald Trump se suffit à lui-même pour offrir bien des raisons de ricaner, s’offusquer, ou de jouer au jeu des sept erreurs avec tous ceux qui l'ont précédé.