Les résultats de ces élections vous rendent malade. Peut-être que, comme moi, vous avez du mal à dormir et à manger. Vous n’arrivez pas à croire que les États-Unis ont élu président un homme ostensiblement sectaire, misogyne et voleur. Vous n’arrivez pas à croire que les électeurs ont rejeté une femme hautement qualifiée pour le poste. Les gens qui ont fait ça, les gens qui ont voté pour Donald Trump, ne sont pas des gens bien. Ils vous ont déclaré la guerre. Ils nous ont déclaré la guerre à tous.
Ce pays est plein de haine, êtes-vous en train de vous dire. Le racisme, le sexisme, l’homophobie, l’islamophobie. Est-ce que les femmes blanches ont voté pour Trump? Oui, parce que son racisme les a séduites. Est-ce que les hommes latinos ont voté pour lui? Oui, parce que son sexisme leur a plu. Il nous faut plus d’éducation sur les sujets de l’ethnicité, du genre et de la diversité. Nous devons davantage parler du racisme de l’Amérique blanche et de la misogynie de notre culture.
Oui, il faut absolument parler de tous ces problèmes. Mais ne faites pas semblant de croire que c’est ce qui vous permettra de remporter les prochaines élections. Vous venez juste d’assister à la démonstration violente qu’attaquer le racisme, le sexisme, l’homophobie et l’islamophobie ne suffit pas. Dans un certain sens, c’est même contre-productif. Il vous faut un message plus large, qui parle aux gens quels que soient leur race, leur sexe ou leur religion. Pour ça, ne vous inspirez pas de mes mots. Inspirez-vous de la femme qui vient de perdre.
La déclaration de Clinton a été déformée
Il y a deux mois, lors d’une soirée de levée de fonds à New York, Hillary Clinton a fait ses désormais célèbres remarques sur le «panier des lamentables». Clinton a été accusée de diaboliser et de mépriser des dizaines de millions d’Américains. Mais ce n’est pas ce qu’elle a dit. Relisez sa déclaration:
«Ne vous laissez pas aller à la suffisance. Devant le prochain commentaire outrancier, inapproprié et injurieux [de Trump], ne vous dites pas: “C’est bon, cette fois il est fini.” Nous vivons dans un environnement politique instable. Vous savez, si on veut généraliser grossièrement, on peut mettre la moitié des supporters de Trump dans ce que j’appelle le panier des lamentables. Vous voyez ce que je veux dire? Les racistes, les sexistes, les homophobes, les islamophobes –ce genre de personnes. Malheureusement il existe des gens comme ça. Et il les a soulevés. Il a donné une voix à leurs sites Internet, qui sont passés de 11.000 personnes à 11 millions aujourd’hui. Il tweete et retweete leur discours insultant, haineux, mesquin. Certains de ces gens sont irrécupérables, mais heureusement, ils ne sont pas l’Amérique. […]
Mais dans un autre panier, il y a des gens qui ont l’impression que le gouvernement les a laissés tomber, que l’économie les a laissés tomber, que personne ne se soucie d’eux, que personne ne s’inquiète de ce qui arrive dans leur vie ni pour leur avenir. Et ils veulent à tout prix que cela change. Peu importe finalement d’où le changement viendra. Ils ne gobent pas tout qu’il raconte, mais il a l’air de proposer un espoir que leur vie puisse changer. Qu’ils ne vont pas se réveiller un matin et constater que leur emploi a disparu, que leur enfant est mort d’une overdose d’héroïne, qu’ils se sentent dans une impasse. Ce sont des gens que nous devons comprendre, et pour qui nous devons aussi ressentir de l’empathie.»
Clinton ne parlait pas vraiment des lamentables. Elle parlait des non-lamentables. Elle parlait de tendre la main à ceux qui étaient attirés par les promesses d’aide et de vie meilleure de Trump. Elle avait compris que pour gagner, elle devait établir un lien avec ces gens. Elle devait les éloigner de Trump et les attirer à elle.
C’est bien pour ça que les Républicains ont bondi sur ces remarques. Dans l’expression «le panier des lamentables», ils ont vu une opportunité de monter l’Amérique blanche contre Clinton. Ils l’ont dépeinte comme si elle avait traité tous les blancs de racistes, tous les hommes de sexistes et tous les chrétiens de fanatiques. Ils ont voulu enterrer son message de solidarité économique. Ils ont voulu réduire la campagne électorale à des questions d’identité et à des élites libérales souillant la nature même des travailleurs blancs.
Cinq paniers d'électeurs
En réalité, si on veut parler des électeurs de Trump, il faut considérer qu’ils se répartissent dans cinq paniers différents. Dans le premier panier, il y a les lamentables: ce sont des gens qui aiment haïr. Ce sont ceux qui peignent des croix gammées et écrivent des insultes racistes sur Twitter. Dans le deuxième panier se trouvent les gens séduits par les propos diffamatoires de Trump à l’égard des immigrants ou qui s’accordaient avec lui pour dire que «Clinton n’avait pas une tête de présidente». Ils sont facilement manipulables. Le troisième est composé de gens qui ne voient du sexisme ou du racisme nulle part. Le quatrième de ceux qui estiment que tout cela n’est pas très grave. Pour eux, les commentaires de la vidéo où Trump parle d’attraper les femmes ne sont que des «bavardages de vestiaire». Et dans le cinquième panier, on trouve des gens sincèrement dérangés par la manière dont Trump a traité les femmes, ou par sa façon de parler d’un juge d’origine mexicaine ou de la mère d’un soldat américain musulman, mais qui ont quand même voté pour lui, ou qui sont restés chez eux parce qu’ils ne pouvaient pas supporter Clinton.
Si vous parlez de tous ces gens comme s’ils étaient tous les mêmes –si vous les qualifiez tous de racistes, de sexistes, de fanatiques ou de haters–, vous allez perdre d’autres élections. Et vous le mériterez, parce qu’en les amalgamant et en les ignorant, vous leur faites ce que les pires d’entre eux viennent de vous faire.
Oui, il faut distinguer les paniers. Ignorez le premier. Vous n’allez pas convaincre ces gens-là, et il ne faut pas être le genre de parti qui y parviendrait, d’ailleurs. Mettez le deuxième panier de côté et revenez-y plus tard. Ils sont éducables, mais ça prendra un moment. Concentrez-vous sur les trois derniers paniers. Essayez d’aider ces gens à reconnaître les préjugés et les inégalités structurelles et pourquoi ces problèmes sont importants. S’ils sont touchés, super. Mais si cela ne leur parle pas, établissez un autre genre de lien avec eux. Inspirez-les en leur donnant la vision de nouvelles opportunités. Expliquez comment vous pouvez améliorer leur vie. Faites appel à des valeurs qui transcendent l’identité.
C’est ce que Clinton voulait faire. C’est ce qu’a fait Barack Obama. C’est une tactique prudente, respectueuse et politiquement intelligente.
Les préjugés ne sont pas l'explication principale
Tout ce dont Clinton parlait dans le premier paragraphe de son discours sur les «lamentables» –le racisme, le sexisme, l’homophobie, la xénophobie, l’islamophobie– est réel. Trump a exploité ces préjugés et j’ai passé la plus grande partie de la campagne électorale à écrire dessus. En tant que pays nous avons un gros travail à faire dans ce domaine. Mais ils ne peuvent pas être le message central du parti démocrate. Et ils ne peuvent pas être l’explication principale de notre défaite.
Cela ne veut pas dire que nous ne devons pas parler de couleur de peau, de genre, de religion ou d’homophobie. Il le faut. Mais nous venons de voir, de la manière la plus cruelle qui soit, que ces sujets ne suffisent pas. Même quand le candidat républicain exploite toutes les sortes de fanatisme, et même lorsqu’il a comme rivale quelqu’un qui aspire à devenir la première femme présidente, ils ne suffisent pas. Trop d’électeurs –blancs, hommes, chrétiens ou autres– ne se soucient pas suffisamment de ces problèmes. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre tous ces gens. Et nous ne pouvons sûrement pas nous permettre de les monter contre nous.