Vingt ans après l'effondrement du mur, dix ans après l'élargissement, deux ans après l'adoption du Traité de Lisbonne, six mois après les élections au Parlement européen, l'Europe fait comme si elle n'existait pas.
Elle cherche un président du Conseil dont le destin est de ne point en avoir. Elle confirme un président de la Commission européenne parce que, sans bilan, il est donc sans projet. Elle confie sa Défense à l'OTAN sans rien exiger des Etats-Unis et la France s'y rallie sans conditions.
L'Europe traverse la crise sans rien changer à son projet, à ses instruments, à sa stratégie, à son organisation. Elle ne renforce ni les autorités de contrôles des marchés financiers, ni les mécanismes susceptibles d'introduire de la viscosité aux échanges financiers. Elle laisse sa monnaie s'apprécier par rapport au dollar, au risque de voir ses positions industrielles se détériorer encore davantage. Elle renonce à faire de l'euro la devise de référence et de réserve du système monétaire international. Les chefs d'Etats et de gouvernement sont par ailleurs incapables de se mettre d'accord pour faire présenter des propositions fortes sur l'enjeu du climat, à Copenhague. La taxe carbone est laissée à la discrétion de chaque pays pour bricoler un système fiscal incohérent. Rien n'a été posé à nos frontières comme obstacle aux entrées de produits polluants.
Enfin sur l'immigration, il a été proclamé comme une « avancée » la possibilité d'affréter des charters européens pour reconduire des immigrés clandestins, y compris vers l'Afghanistan.
C'est parce que je suis Européen que je ne me résigne pas à ce glissement, à cet abaissement, à cet avachissement de l'ambition qui a pourtant constitué l'idéal des générations de l'après-guerre. Le contrat de l'après-crise que je propose pour notre pays vaut aussi pour l'Europe.
Sûrement faut-il réduire les déficits, maîtriser l'endettement, remettre de l'ordre dans les finances publiques, préserver la monnaie unique, bref, assurer la stabilité et éviter le retour de l'inflation, mais convenons que l'enjeu est bien plus élevé. C'est l'avenir industriel, technologique, du continent européen qu'il faut préparer. C'est la formation des jeunes, l'enseignement supérieur, la diffusion des savoirs qu'il faut engager. Ce sont les investissements dans les sciences dont il faut trouver les financements. C'est une stratégie dans la mondialisation qu'il faut concevoir.
Ça ne peut plus se faire dans les chuchotis des discussions entre chef d'Etats et de gouvernements. Pas davantage dans les réunions apparemment spectaculaires mais qui ne changent rien dans les choix et les tactiques nationales. Ça ne peut pas davantage s'imaginer dans l'étroitesse du budget européen, dans l'absence de toute fiscalité dédiée au projet européen lui-même. Et si grand emprunt, il doit y avoir, c'est à cette échelle-là qu'il faut l'imaginer, et avec des montants qui n'ont plus rien à voir avec ce que chaque nation est de moins en moins capable de lever sur les marchés financiers.
Ce serait en effet un comble que l'accomplissement d'une utopie, celle d'une grande confédération européenne, capable de surmonter les conflits des siècles précédents, d'effacer Yalta, et de consacrer le rêve de la paix, s'achève sur des actes notariés, des accords de boutiques, des modes de gestion à la petite semaine, bref sur un clapotis de l'Histoire.
Sûrement le réallumage du moteur franco-allemand peut-il servir d'amorce. Mais que de temps perdu depuis deux ans, que de malentendus prolongés, de susceptibilités déplacées, de compétitions ridicules. Mieux vaut tard que jamais. Mais alors allons bien plus loin que je ne sais quel ministre franco-allemand dont ici ou là, on évoque la création. Ce qu'il convient d'engager, c'est de fusionner les budgets de recherche, des universités communes, de lancer des coopérations industrielles. Et de préparer une avant-garde européenne qui fédérerait les pays qui veulent aller plus loin dans l'harmonisation fiscale, sociale, financière, et surtout dans l'élaboration de projets qui uniraient leurs forces économiques. Il ne s'agit plus d'utopie, il s'agit d'urgence.
François Hollande
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