Pour devenir président de la République en 2017, Jean-Luc Mélenchon est parti très tôt. C'était en novembre 2008, juste après le Congrès de Reims où Martine Aubry et Ségolène Royal firent exploser ce qu'il restait du PS sur fond de magouilles électorales. Jean-Luc Mélenchon, socialiste banni, hérault du «Non» en 2005, fuyait enfin ses camarades pour former un «parti de gauche», un vrai, qui n'accepte pas les compromissions et serait «pur» chimiquement au niveau idéologique. Il voulait être la «vraie» gauche, la gauche de gauche, avant Syriza, et s'inspirait alors de Die Linke en Allemagne.
La crise politique actuelle est-elle en train de lui donner raison? Huit ans plus tard, la cote de popularité de François Hollande est au plus bas. Fin septembre, le chef de l'État socialiste était crédité de 10% d'intentions de vote pour 2017. Soit 1,5 point de moins que Jean-Luc Mélenchon, qui, en juin, culminait à 15%, selon un sondage BVA. Pas rancunier, l'ex-président du Parti de gauche continue de penser que la candidature de son ancien camarade est «nécessaire pour la démocratie»:
«Je suis prêt à la comparaison avec lui quand il veut. Personne ne le laissera se défiler face au bilan de ses tromperies et des misères qu’il a répandues.»
«On attendait du renfort»
Le Parti communiste a voté ce samedi 5 novembre pour le lancement d'une candidature autonome, comme Mélenchon le regrette sur son blog –«Rien n’a changé ce week-end pour nous. Dommage! On attendait du renfort», écrit-il, en attendant la décision finale qui revient aux adhérents fin novembre–, mais la dynamique pourrait bien rester inchangée pour le candidat de la France insoumise qui s'est positionné au-dessus du jeu des partis.
Sa popularité, Mélenchon l'a construite sur une intransigeance qui ne l'a jamais quitté depuis la rupture de 2008. «Nous voulons rester socialistes, c'est pour ça que nous quittons le PS», clamait-il. Sur le fond, il pensait que la social-démocratie était morte en France avant d'être née: le patronat était trop fort, les ouvriers disparaissaient, l'électorat prolétaire se disloquait en même temps que le Parti communiste français. Il fallait inventer un autre modèle, à la fois écologique, anticapitaliste, patriotique et socialiste.
Hollande, c’est le champion d’une figure centrale de l’enseignement de l’ENA que l’on appelle le “balancement circonspect”
Depuis, de l'eau a coulé sous les ponts. Jean-Luc Mélenchon a réuni 11% des voix en 2012, avec le soutien logistique indispensable du PCF et en ratiboisant chez les écolos, les trostkistes et les déçus du hollandisme naissant. Mais sans convaincre une majorité d'ouvriers, qui n'ont pas apprécié ses discours trop optimistes sur l'immigration et sur l'Europe. En réunissant 29% du vote ouvrier, Marine Le Pen se hissait en tête chez cet électorat, devant François Hollande (27%), Nicolas Sarkozy (19%)... et Jean-Luc Mélenchon, qui parvenait à rassembler seulement 11% du vote ouvrier.
Quatre ans après, tout est à refaire et Jean-Luc Mélenchon, politiquement, est face à un champ de ruines: le Front de gauche, qui servit de rampe de lancement à ses ambitions, est à terre, piétiné. Les communistes hésitent à partir seuls. Si l'on se contente d'observer en surface, tout est à reconstruire.
Lame de fond
Mais plus profondément, l'homme insoumis a amorcé un mouvement, il a lancé une lame de fond qui ne peut plus s'arrêter. Il est parvenu à se mettre au centre d'une refondation idéologique de la gauche, définissant les bases d'un modèle social anti-productiviste, soucieux de l'environnement et des plus pauvres. Tout en évoluant sur l'Europe, les frontières et l'immigration, donnant le bâton pour se faire battre à ceux qui l'accusent de parler comme le Front national.
Tout a commencé par un bon mot. Le 13 novembre 2011, Jean-Luc Mélenchon détruit son adversaire socialiste François Hollande, qu'il dépeint dans le JDD en «capitaine de pédalo au moment d’entrer dans la saison des tempêtes». Tandis que les écolos s'évertuent à négocier le meilleur accord électoral possible, jusqu'à 60 circonscriptions gagnantes (!), lui se moque des guerres d'appareil auxquelles il a trop longtemps cédé. Tandis qu'Arnaud Montebourg a négocié chèrement ses 17% obtenus au premier tour de la primaire, alors même que François Hollande représente tout ce qu'il déteste idéologiquement, Jean-Luc Mélenchon incarne une gauche décomplexée qui veut transformer le système plutôt que l'accompagner.
Hollande «est un sophiste raffiné»
Mais passée la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon va vite déchanter. Il ambitionnait de retisser les liens du Congrès de Tours où, en 1920, le PCF était né d'une scission avec la SFIO de l'époque. Il espérait renouer une histoire déchirée, souder le camp progressiste autour de sa candidature.
C'est la première pierre de sa révolution citoyenne, inspirée d'Amérique latine. Prendre le pouvoir par le peuple, pour le peuple. Un populisme qui renoue avec la tradition de la gauche. Et dont François Hollande, social-démocrate au tempérament modéré, est censé être l'ennemi principal:
«Le balancement perpétuel des arguments de Hollande lui permet de faire toujours passer sa propre position politique pour une évidence entre deux extrêmes absurdes, tacle-il dans un livre. C’est le champion d’une figure centrale de l’enseignement de l’ENA que l’on appelle le “balancement circonspect”. C’est un sophiste raffiné.»
Quand François Hollande a abandonné sa promesse de taxe à 75%, Jean-Luc Mélenchon persiste à dire: «au-delà de 360.000 euros par an, je prends tout!», proposant ainsi un salaire maximum dont la philosophie est résolument humaniste.
Voilà que ses nouveaux alliés font ami-ami avec la gauche aux législatives, puis aux municipales en 2014. Moribond depuis des années, le PCF conserve ainsi des sièges en s'alliant dans les éxécutifs locaux. Jean-Luc Mélenchon, qui a théorisé la rupture totale avec les socialistes, sent que son bébé lui échappe. Et quand les communistes décident de faire alliance à Paris avec le PS pour les municipales, il déballe sur son blog:
Jamais je n’aurais cru que tout ce que nous avons construit pourrait s’échouer comme ça, dans un imbroglio municipal misérable
«En fait je mâche des cendres. Jamais je n’aurais cru que tout ce que nous avons construit pourrait s’échouer comme ça, dans un imbroglio municipal misérable où les gesticulations publiques couvrent les arrangements les plus sordides.»
Les deux gauches
Depuis, Jean-Luc Mélenchon a traversé un désert entrecoupé d'oasis. Il a enterré le Front de gauche. Et s'est présenté seul à la présidentielle, dans une posture gaullienne traditionnelle sous la Ve République.
Durant le quinquennat, François Hollande et Manuel Valls ont mis en pratique cette rupture entre «deux gauches» irréconciliables: celle qui se contente de réformer le système et celle qui veut le renverser. Elle aura au moins permis de clarifier les lignes idéologiques: du Pacte de responsabilité, que Mélenchon décrit comme une «trahison plus plus», à la Loi Travail, François Hollande a fait son coming-out. Les frondeurs d'ailleurs ne disent pas autre chose. «Ce qui sépare Mélenchon du reste de la gauche, c'est sa radicalité et son isolement», proclame Montebourg au JDD.
Mais les deux points iront-ils longtemps de pair? «Celui qui est en mesure de porter un coup à gauche tout en étant un acteur majeur de la reconstruction demain, c’est Jean-Luc Mélenchon», avance Noël Mamère dans le magazine Regards. «Je voterai Mélenchon, c’est décidé», expliquait de son côté à Slate l'écologiste Camille Saféris dans un texte mi-amusé mi-desespéré favorable à l'amateur de quinoa. S'il arrive à rallier à lui les nombreux déçus du Hollandisme, alors, Mélenchon peut ratisser large.