Monde

Tout ce que vous n'avez jamais appris sur le sexe (parce que vous êtes Chinois)

Temps de lecture : 8 min

Malgré la politique de contrôle des naissances, des millions de chinois ne savent pas comment éviter une grossesse.

exposition à Shanghaï, 2009, REUTERS/Nir Elias
exposition à Shanghaï, 2009, REUTERS/Nir Elias

Pékin - La première fois que Hu Jing a essayé d'avoir des rapports sexuels avec son copain à l'université, il y a eu un problème technique: «On savait qu'il fallait utiliser un préservatif» dit elle, «mais on ne savait pas comment».

Face à l'énigme, Hu et son copain sont allés chercher des réponses - lui auprès de ses amis plus expérimentés, elle à la bibliothèque de la fac, où elle a étudié soigneusement Le rêve de la chambre rouge, un classique de la littérature datant de la dynastie Qing.

La semaine suivante, ils se sont retrouvés pour une deuxième tentative. Cette fois, ils sont arrivés à dérouler le préservatif, puis...mais...où est-ce qu'on met le pénis au fait?  Il fallut une deuxième semaine de recherches avant qu'ils ne parviennent à le faire.

Après trois décennies de contrôle des naissances (un enfant par couple), vous vous attendriez à ce que les gens sachent comment faire l'amour sans provoquer une grossesse. Et vous auriez tort. En juillet, les officiers de santé chinois ont annoncé que 13 millions d'avortements sont pratiqués chaque année dans des institutions médicales officielles, en grande partie parce que les gens manquent d'éducation sexuelle. Le nombre de grossesses non désirées est encore plus élevé quand vous prenez en compte les avortements pratiqués dans des cliniques non agréées, pour ne pas parler des 10 millions de pilules abortives vendues chaque année.

Le tabou du sexe

J'ai rencontré Hu la première fois pour prendre un cappuccino dans le quartier des affaires de Pékin, où les tours scintillantes et les chaînes de restaurants ont remplacé les vieilles ruelles et les cours intérieures où les familles ont vécu pendant des générations. Je m'attendais à ce que Hu, comme la plupart des Chinois, soit mal à l'aise pour parler de sexualité. Mais elle s'est montrée bavarde et confiante et a rigolé en me racontant son histoire. Quand j'ai commencé notre entretien avec des questions faciles, elle m'a interrompu et a demandé: «Vous ne voulez pas connaître mon expérience en matière sexuelle?»

Bien que la société chinoise devienne de plus en plus ouverte, les valeurs traditionnelles persistent. Avec pour conséquence un écart entre l'ouverture d'esprit des gens vis-à-vis des questions de sexualité et leur niveau d'information; et des histoires comme celle de Hu sont beaucoup plus fréquentes qu'on pourrait le penser.

Ces dernières années, le tabou du sexe avant le mariage a largement été renversé parmi les étudiants chinois.  Il est maintenant commun pour des étudiants ayant des liaisons sentimentales d'avoir aussi des relations sexuelles, et les attitudes changent avec une telle vitesse que mes amis chinois qui n'ont que 24 ou 25 ans semblaient incroyablement vieux quand ils disaient que les choses n'étaient pas si ouvertes «de leur temps». En bas de mon appartement du centre ville de Pékin, une épicerie de quartier qui vient d'ouvrir vend des préservatifs avec des noms anglais tels que «007,» «Say Yes,» et «Newlywed.»

Avortements multiples

En revanche, les connaissances du grand public sur le sexe sans risque sont en retard par rapport aux nouvelles libertés des Chinois au lit. Beaucoup de Chinois, surtout dans les régions les moins développées du pays, dépendent de méthodes telles que le coït interrompu ou l'observation des températures (Ogino) pour la contraception. (La pilule est impopulaire, car beaucoup de personnes pensent qu'elle est néfaste pour le corps féminin).

«Les personnes nées dans les années 1980 et 1990 sont les plus en danger,» dit Hu, «Nous sommes progressistes, mais nous n'avons aucune éducation sexuelle».

En général, les parents et les enseignants chinois ne parlent pas de sexe aux jeunes, et la politique du gouvernement au sujet des divertissements «malsains» a pour conséquence qu'au cinéma, vous ne voyez que rarement des acteurs qui font plus que s'embrasser. Cet été, le gouvernement a ordonné que seuls certains sites Web puissent fournir des informations sur le sexe, et que les ordinateurs dans les écoles, les cafés Internet et d'autres lieux publics soient équipés avec Green Dam Youth Escort, un logiciel qui filtrent les sites pornographiques et tout ce qui a un rapport avec l'homosexualité (pour ne pas parler du contenu «politiquement sensible»).

Ce n'est pas étonnant à la fin que les adolescents se posent des questions sur le sexe - et qu'ils soient mal informés. Certains postent leurs interrogations sur les forums. Ceux qui veulent éviter la sagesse «collective», souvent douteuse, peuvent envoyer leurs questions par email à «Sister Siyu,» sur le très populaire portail QQ.com.

Un adolescent écrit: «J'ai 18 ans, et ma copine en a 16. Nous nous sommes tenus la main et nous nous sommes embrassées, et j'ai peur qu'elle soit enceinte. Est-ce possible?» D'autres demandent à Sister Siyu si la méthode des températures est fiable, pourquoi les garçons couchent avec vous et disent après qu'ils ne vous aiment pas, et qu'est-ce qu'il faut penser des rapports bucco-génitaux.

Des préoccupations typiques de l'adolescence, a priori. Sauf quand vous lisez des histoires comme celle-ci: «J'ai 20 ans, et je me suis fais avortée quatre fois. Pourrai-je avoir un enfant quand je serai mariée?» (Des confessions en ligne sont fréquentes sur les forums chinois).

Ce qui est choquant, c'est la vitesse avec laquelle les jeunes Chinoises passent de leur premier baiser à des avortements multiples. Prenons, à titre d'exemple, Hu et ses colocataires à la fac, qui y sont toutes arrivées vierges. Très tôt, une d'entre elles qui venait de Guizhou - une province rurale pauvre du sud de la Chine - a demandé à Hu et aux autres comment il fallait embrasser un garçon: avec ou sans langue? A la fin de leurs études, toutes les quatre couchaient avec leurs copains, et celle qui dormait dans le lit en dessous de Hu s'est faite avortée trois fois en une année.

Selon le China Daily, journal anglophone proche du gouvernement chinois, le sondage d'un hôpital de Shanghai à montrer que moins de 30% des appelantes sur un numéro vert mis en place pour des femmes enceintes savaient comment empêcher une grossesse. Ce n'est pas uniquement la contraception qui reste un mystère. A l'université de Pékin, une étudiante membre d'une association m'a dit que ses pairs lui posaient des questions de base sur la menstruation et même sur la fréquence de renouvellement des protections périodiques.

Education sexuelle

Officiellement, le Ministère de l'Education Chinois a introduit l'éducation sexuelle dans les écoles en 1988, puis un cursus sur la prévention du SIDA en 2003. Mais l'existence de ces protocoles étonnerait la majorité des citoyens chinois.

Jerry Tseng, un ami qui travaille aujourd'hui dans la finance à Pékin, se souvient bien de son cours d'éducation sexuelle, mais pas du contenu du cours. Ce jour-là, son enseignant a obligé un assistant - qui jusqu'à ce jour n'avait jamais fait une seule leçon - à faire le cours. Le jeune enseignant était tout rouge devant les élèves, absolument incapable d'aborder le sujet. Finalement, on a dit aux étudiants de lire le chapitre dans le manuel. Telle était la méthode pédagogique encouragée par beaucoup d'enseignants; la douzaine de Chinois à qui j'ai raconté l'anecdote connaissait des histoires similaires.

Aujourd'hui à Pékin, l'éducation sexuelle est dispensée au collège, mais il n'y a pas de protocole sur ce qui devrait être enseigné et de quelle manière, et les enseignants sont peu motivés pour aborder le sujet. Après tout, le «safe sex» ne fait pas partie du concours d'entrée à l'Université, pour lequel les étudiants passent des années de préparation. En gros, les étudiants apprennent l'anatomie reproductive.  Ils apprennent qu'ils ne doivent pas avoir de rapports sexuels, et que s'ils en ont, il faut prendre des précautions. Et c'est tout - aucune indication de ce que sont ces «précautions».

«Rien n'est dit dans les écoles au sujet des relations. Il n'y a rien au sujet de la grossesse», dit Lily Liu, qui dirige les opérations de Marie Stopes International, une ONG qui gère des cliniques qui promeuvent l'accès aux moyens de contraception. Des préservatifs? Liu a ri. «Pas de préservatifs, bien sûr,» dit elle.

Contradiction avec les valeurs traditionnelles

Des personnes comme Liu essaient de changer la situation. Mais comme pour beaucoup de choses en Chine, ces idées nouvelles sont en contradiction avec les valeurs traditionnelles, ainsi que je l'ai appris en rendant visite à Zhang Meimei, un professeur responsable du centre de recherche sur l'éducation sexuelle à Capital Normal University.

Il y a deux ans, Zhang a lancé un programme d'éducation sexuelle pour des élèves en CM2 et en 6e.  Les enfants ont joué à des jeux et ont regardé des dessins animés sur la puberté. Le professeur a fouillé dans son bureau et a trouvé deux grandes affiches; chacune montrait un dessin simple du corps d'un garçon et d'une fille, avec des parties anatomiques clairement identifiées. «Les enfants étaient très contents d'apprendre» dit Zhang. «Ils n'étaient pas du tout embarassés.»

Cependant, après quelques minutes, notre discussion est entrée dans le champ de la tradition. Zhang, qui forme des professeurs pour enseigner l'éducation sexuelle, me disait comment les collégiens apprennent «à être un homme et à être une femme» dans les cours. «Certaines filles ont envie de porter des habits de garçon. Et beaucoup de garçons sont trop féminins», disait Zhang. Je me demandais si elle voyait la contradiction entre la promotion du rôle traditionnel de chaque genre et l'enseignement de l'éducation sexuelle. Une fille qui a apprise à être douce et silencieuse, osera-t-elle demander à son copain d'utiliser un préservatif? Une fille qui insiste pour prendre des précautions sera-t-elle considérée comme une femme «correcte»?

La semaine suivante, j'ai pris le métro à Wudaokou, l'équivalent de Harvard Square - des cafés, une foule d'étudiants brillants, des SDF avec des opinions arrêtées, et, ce qui est rare en Chine, des musiciens dans la rue. Dans un McDonald's populaire, je me suis assise avec Sisi Liu, une étudiante en deuxième année de journalisme à Université Tsinghua, une grande école qui est souvent appelée le MIT chinois.  Elle venait de voir un documentaire sur la démocratie dans les villages de Chine profonde, et bien qu'il pleuvait à verse à l'extérieur, elle était toute sèche dans une robe d'été jaune.

Avant que Liu n'arrive à Tsinghua - dans ses mots, « avant que je ne susse quelque chose» - elle avait l'intention de rester vierge jusqu'au mariage.  Au lycée, elle avait été choquée quand une de ses amies lui avait annoncé qu'elle avait l'intention d'avoir des rapports sexuels pendant sa première année à l'université.  Ces derniers temps, l'attitude de Liu est un peu plus inspirée par Woodstock, et un peu moins par Confucius. «Nous sommes tous des adultes,» dit elle.  «Si cela doit se passer, alors c'est très naturel».

Liu m'a dit qu'il y avait beaucoup d' «hôtels d'amour» dans le quartier, avec une clientèle d'étudiants, et qui leur proposaient un espace privé pour à peu près 20 euros la nuit. Une autre personne à notre table a exprimé de la surprise - elle n'en avait pas entendu parler quand elle était étudiante à Tsinghua seulement quelques années auparavant.

En tant qu'étudiante dans une des meilleures universités chinoises, Liu profite de beaucoup d'avantages. L'un d'eux est qu'elle a pu participer à un atelier d'éducation sexuelle pendant la semaine d'intégration, où elle s'est entraînée à mettre un préservatif sur une banane.

Liu et ses amies à l'université regardent Sex and the City, qui reste extrêmement populaire en Chine.  «Au début, nous préférions Miranda», dit elle. «Mais maintenant, nous préférons Samantha. Elle maîtrise sa vie et montre que les filles peuvent être indépendantes».

En descendant l'escalier pour sortir du McDonald's, deux étudiants ont attiré mon attention. Ils étaient dans leur propre monde, en train de s'envoyer en l'air sur une banquette.

Par Michelle Tsai

Traduit par Holly Pouquet

Image de une: exposition à Shanghaï, 2009, REUTERS/Nir Elias

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