France

Idendité nationale: l'Europe fait partie de l'identité française

Temps de lecture : 5 min

La France et les Français ne peuvent ni ne doivent se définir sans l'élément européen, devenu central.

La tour Eiffel aux couleurs de l'Union Européenne, REUTERS/Mal Langsdon
La tour Eiffel aux couleurs de l'Union Européenne, REUTERS/Mal Langsdon

Embourbé dans des affaires scandalo-buzzantes, le gouvernement français a misé sur un débat haut en couleurs pour détourner l'attention médiatique et populaire: l'identité nationale. Succès assuré en ces temps de crise, mais rien de nouveau à l'heure de la construction européenne.

En Espagne, le thème de l'identité nationale revient très régulièrement dans les médias. La faute aux régionalismes catalans et basques qui parfois mettent à mal l'Etat espagnol. En France, c'est plus rare, mais assez ponctuel, correspondant souvent à des périodes troublées ou pré-électorales. Car si la France se veut universelle, elle aime aussi fixer ses propres règles.

Les eurodéputés embrigadés

Lors de l'annonce de ce débat par le ministre de l'Immigration et de l'identité nationale, Eric Besson, ce dernier a tenu à préciser que les élus seront mis à contribution, dont les députés européens. Intéressant. Scrutant la presse depuis plusieurs jours, nous pouvons relever l'omniprésence des anciens discours, et une absence presque totale de l'émergence du facteur «Europe» depuis 50 ans.

Car peut-on encore en 2009 considérer que l'identité française est un vase clos national alors que les interactions avec nos voisins et partenaires n'ont jamais été si grandes?

A la mi-octobre, le président français, Nicolas Sarkozy, a annoncé sa volonté de transformer le 11 novembre, jour symbole par excellence du sacrifice du soldat citoyen français, en journée de réconciliation franco-allemande. Derrière la levée de boucliers que cela a pu produire dans certaines couches de la société, il ne faudrait pas oublier que l'identité française s'est largement construite en opposition à celle de ses cousins germains. Ils ont misé sur le sang. L'intellectuel français Ernest Renan en 1883 avec son discours devant la Sorbonne a pris le contre-pied de cette position en prônant l'adhésion à des valeurs, avec ce fameux «plébiscite de tous les jours».

Maastricht 1992

Depuis nos frontières sont tombées, plus rapidement qu'elles n'ont été construites. Aujourd'hui, une simple carte d'identité suffit pour aller de Lisbonne à Helsinki. Ce que ne manque pas de faire une jeunesse qui explore les possibilités de la mobilité estudiantine ou professionnelle à grand renfort de multilinguisme. L'exemple souvent évoqué de Bruxelles et son quartier européen n'est qu'une partie de l'iceberg.

Dans ce joyeux capharnaüm, les Français ne sont pas en reste, ni repliés sur leur vieille nation comme pourraient le croire certains. Ils sont les plus nombreux à participer au programme Erasmus, et les expatriés se comptent par milliers: 300 000 au Royaume-Uni, 200 000 en Belgique, 160 000 en Allemagne, 82 000 en Espagne, 5000 en Pologne, etc. Tous ceux-là (et bien d'autres) ont compris que si leur nationalité est française, leur citoyenneté est européenne. Et ce, depuis 1992 et le Traité de Maastricht, article 8:

1. Il est institué une citoyenneté de l'Union. Est citoyen de l'Union toute personne ayant la nationalité d'un État membre.

2. Les citoyens de l'Union jouissent des droits et sont soumis aux devoirs prévus par le présent traité. »

En découlent alors des droits (nombreux mais encore limités sous certaines conditions) et des devoirs (non définis mais répétés dans la Charte des droits fondamentaux). C'est finalement là que se situe tout l'enjeu: dans ce nouvel équilibre entre nationalité et citoyenneté, puisque le traité est clair, avoir la nationalité d'un Etat membre de l'UE vous confère automatiquement la citoyenneté européenne.

Tous Français?

Le XIXème a permis l'émergence de l'Etat-nation, concept dans lequel la nationalité et la citoyenneté sont mêlées, expliquant la fin d'empires (Austro-hongrois, Ottoman) ne pouvant s'y conformer. Or, depuis 1945, il y a un décollement progressif entre les deux. D'abord de traité en traité, puis aujourd'hui dans la vie quotidienne, la citoyenneté échappe de plus en plus à nos vieux Etats, remplacés par l'Union européenne: Cour de justice des communautés européennes, Parlement européen, Charte européenne des droits fondamentaux. Ce sont ces organes qui aujourd'hui protègent le citoyen, pouvant recadrer un Etat niant les principes européens dans ses actes.

Et c'est là qu'on peut apercevoir une certaine faiblesse du débat français. Beaucoup déclarent depuis plusieurs jours qu'être Français signifie un attachement aux valeurs démocratiques, aux droits de l'Homme, à la liberté. Si tel est le cas, l'Europe entière est française. Ces valeurs sont celles de tout un continent (voire plus), et pas seulement d'une nation. Tenir de tels discours était possible quand une moitié d'Européens vivaient sous le joug communiste ou que les régimes fascistes étaient plus nombreux que les démocraties. Mais en 2009, cela ne tient plus la route. De nouveaux facteurs sont à prendre en compte.

Une migration verticale

La difficulté est que ce phénomène est vertical, allant vers le haut, vers la création d'un nouvel ensemble, plus grand que les précédents alors que la tendance actuelle est inverse. Depuis plusieurs années, nous assistons au développement d'identités individuelles, horizontales: sexuelle, religieuse, régionale, etc. A l'heure d'une mondialisation et d'une plus grande inter-connectivité de notre planète, le repli sur soi est une valeur refuge. Miser sur la citoyenneté européenne est donc un pari, avec une assez mauvaise cote. Surtout que cela réduit la définition «d'être français», sans pourtant la remplacer.

L'aspect artificiel que les détracteurs de l'Europe mettent en avant aurait bien mauvaise place dans le débat français. Ne doit-on pas l'unité de l'hexagone à un Etat centralisateur, sacrifiant les particularismes régionaux au nom de la nation?

Pour tous ceux qui en ont fait l'expérience, il est souvent plus facile de se sentir français lors de séjour à l'étranger que chez soi. Puisqu'à ce moment, sa propre identité, même inconsciente, est confrontée à l'Autre.

En 2009, la France et les Français ne peuvent ni ne doivent se définir sans l'élément européen, devenu central. A partir de là, il devient plus évident de voir qu'être Français est plus la somme de certains us et coutumes (célébrer l'épiphanie par exemple), de concepts particuliers (la relation avec l'Etat) et leur hiérarchisation (la société française privilégie l'égalité alors que les Britanniques sont plus portés sur la liberté), de points de référence (avoir lu Molière à l'école ou rire aux Guignols de l'info) ou de conceptions linguistiques (un seul verbe aimer chez les Français, trois chez les Allemands) qui font votre identité nationale. Car le reste dépend de votre citoyenneté. Et pour les Français comme pour les Italiens, les Polonais, les Espagnols ou les Bulgares, elle est maintenant européenne. C'est dans ce cadre que la France doit aujourd'hui repenser son identité et débattre.

Jean-Sébastien Lefebvre, Europa451

Si vous avez aimé cette contribution, vous pouvez lire les autres, de chroniqueurs ou de lecteurs. Vous aimerez peut-être aussi «Jean-François Copé: Identité nationale, réussir le débat» et «Refuser ce débat», par Tzvetan Todorov. N'hésitez pas à participer au débat en nous envoyant vos contributions: etrefrançais.slate @ gmail.com

Image de Une: La tour Eiffel aux couleurs de l'Union Européenne, REUTERS/Mal Langsdon

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