Le gîte se trouve sur le premier chemin qu'empruntent dans la campagne les pèlerins de Saint-Jean-Pied-de-Port vers Saint-Jacques-de-Compostelle. On les voit passer dans la brume de ce début octobre, dès 8 heures, d'un pas calme et décidé, en silence. C'est là, dans cette grande maison basque, devant un paysage imposant de collines et de vignobles, que l'association Bizi! («Vivre!» en basque), s'est réunie pour deux jours de séminaire afin de préparer l'agenda des trois prochaines années.
L'association altermondialiste basque «ouverte à tous ceux qui veulent batailler pour le climat et la justice sociale» a désormais 7 ans, une étape charnière résumée par Jon Palais, militant star surnommé le «Gandhi écolo» par Libération, et qui expose, via Skype, le bilan et le contexte de ce que l'on peut considérer comme la success story du nouveau mouvement écologiste hexagonal.
Dax : il proteste contre l'évasion fiscale et risque 5 ans de prison. Ce "faucheur" sera défendu par Eva Joly https://t.co/cWnjY8cDJy pic.twitter.com/t8ls0sodwp
— Sud Ouest (@sudouest) 31 octobre 2016
Il y a une trentaine de personnes autour de la table dont un bon tiers de femmes. L'ambiance de travail est studieuse, quelqu'un prend les notes sur son ordi, un facilitateur s'occupe des tours de parole et, comme à Nuit Debout, tout est animé selon deux gestes de base : pianoter les doigts en l'air pour montrer son accord, le même geste en direction du sol pour le désaccord. Il n'y a jamais de murmures («Ouaaais supeeer» ou «Mfgrr c'est con»), même les expressions faciales sont retenues. On est là pour travailler, point barre, la décontraction et les rires reprendront à la pause.
Radical et pragmatique
Né en juin 2009, Bizi! a beaucoup appris d'Act Up. Depuis sa création, le groupe basque a organisé un nombre impressionnant d'actions publiques avec une méthode mêlant une visibilité militante, une organisation pointilleuse et non violente et surtout une bonne dose d'humour qui attire tout le spectre générationnel des Basques qui s'engagent pour leur région. Si le groupe est surtout composé de jeunes, les manifs, elles, rassemblent les plus jeunes et leurs parents. On y sent une forte entraide intergénérationnelle. Les anciens militants basques apprécient l'action non violente et les jeunes, nourris à l'adrénaline des sports de la région (escalade, rafting, surf, randonnées), y trouvent un défouloir politique.
C'est le dernier jalon d'une longue tradition de contestation agricole et écolo, de Thoreau au Larzac.
Les thèmes favoris de Bizi sont le changement climatique, l'agriculture bio ou responsable, le refus des aménagements routiers et ferroviaires - comme le projet de ligne à grande vitesse Bordeaux/Espagne -, le droit des Basques à l'accès au logement malgré la spéculation touristique, la création de la monnaie basque (Eusko, seconde monnaie locale d'Europe), le soutien au prisonniers basques, la défense de la langue. Bref, tout ce qui est local et qui peut avoir une incidence nationale et mondiale. C'est l'exemple type du mouvement grass-roots, dernier jalon d'une longue tradition de contestation agricole et écolo, de Thoreau au Larzac.
ACTION ! A Paris les #FaucheursDeChaises chantent "Argent où t'es ?" en faisant le siège de la @BNPParibas pic.twitter.com/rNnwMpHrZz
— Amis de la Terre FR (@amisdelaterre) 2 novembre 2016
Avec un budget minuscule de l'ordre de 15.000€ par an, sans subvention publique, Bizi! a su multiplier les actions médiatiques. Pour ne citer que les plus médiatisées, il y a les faucheurs de chaises contre les banques et l'évasion fiscale, le blocus pendant trois jours d'un congrès de l'industrie pétrolière à Pau (il faut que vous regardiez cette vidéo!), les chaînes humaines, tout ceci avec une charte graphique normalisée, un logo très reconnaissable et des t-shirts verts que les militants n'ont pas le droit de porter dans la vie de tous les jours et qui sont réservés aux actions.
Bizi! est déjà une marque, une signature, mais une marque 100% crédible avec un capital politique jamais entamé. Après sept ans d'action, sa trajectoire n'a pas failli et même en interne, malgré la fatigue, les militants n'en reviennent pas d'avoir évité les écueils d'une petite association qui s'attaque aux multinationales.
Un bébé qui a grandi très vite
Le grand tournant de Bizi! a été d'insuffler le mouvement Alternatiba qui, en trois ans à peine, a essaimé en France et même à l'étranger. En 2015, l'association avait lancé un pari difficile : traverser la France en vélo tandem par étapes de 60 à 100 kms, afin de rencontrer les élus locaux et d'organiser des réunions publiques, chaque soir. De nombreuses formations à l'action et à la désobéissance civile ont ainsi été dispensées, ce qui a inspiré le lancement d'Action Non-Violente COP21.
Le 25 mars 2016, à Pau, Bizi! et Action Non-Violente COP21 avait installé une scène de crime climatique à l’entrée du centre technique et scientifique Jean-Feger, où Total menait une opération de promotion de son supercalculateur Pangea. ⎜IROZ GAIZKA / AFP
S'appuyant sur les nombreuses associations avec lesquelles elle travaille étroitement (Les Amis de la Terre, La Confédération Paysanne, Attac-France, Greenpeace, 350.org, CADE, etc.), tout en utilisant Facebook et Twitter, Bizi! a été au départ d'Alternatiba pour lui donner aussitôt son indépendance. Dans toutes les régions, les écologistes déçus par leurs partis traditionnels ont rejoint une dynamique pragmatique comme une traînée de poudre qui a convergé vers Paris pour le sommet de la COP21.
Bizi! a su utiliser les deux moteurs d'actions d'Act Up : l'outreach, pour avoir le courage d'aller au devant des gens, et l'empowerment, pour leur offrir la liberté de s'engager comme ils le veulent. Aujourd'hui le bébé de Bizi! est plus grand que ses parents et selon les militants, son succès a été au-delà de leurs propres espoirs. 80 antennes se développent en France et en Europe, questionnant les politiques locales, utilisant le réseau pour encourager des stratégies nouvelles respectueuses de l'environnement.
Un modèle fragile
Malgré son hyperactivité, Bizi! se sait fragile et ne dispose toujours pas de modèle économique autonome. Le groupe manque de donateurs, de développeurs, de geeks, de codeurs. Le site Internet est clair, mais pas assez proactif. Car l'énorme travail prodigué ces deux dernières années sur le mouvement Alternatiba a presque provoqué un «burnout».
L'importance de son leader caché Txext Etcheverry a fait de Bizi! un groupe presque trop humble.
Depuis sa création, l'association est passée de 20 membres à plus de 400 mais le roulement est important car il manque des structures d'accueil ou de parrainage des nouveaux. Quand ils débarquent, ces derniers sont souvent dépassés par le niveau d'expertise des dossiers et des débats. La majorité des militants bénévoles étant précaires, l'association a du mal à passer au niveau supérieur en pérennisant les postes clé.
Bizi! ne se facilite aussi pas la tâche avec un standard éthique très élevé : la parité sexuelle des membres et des porte-paroles n'est pas un vœu mais un objectif à atteindre rapidement, ainsi que l'ouverture à d'autres problématiques comme celle des migrants. De plus, le refus des subventions publiques rend timide l'aspect marketing de l'association. Bizi! pourrait vendre des T-shirts ou des produits dérivés de son image mais hésite encore à produire (écologiquement bien sûr) des objets militants.
D'une manière générale, l'importance de son leader caché, Txext Etcheverry, a fait de Bizi! un groupe presque trop humble. Pour assurer le fonctionnement démocratique du groupe et ne pas focaliser l'attention sur lui, Txetx a inculqué au groupe une culture du retrait, pourtant en contradiction avec une forte fierté basque et surtout un concept que le groupe veut développer, celui du mot Burujabe («indépendant» ou «souverain» en français). Maitre, propriétaire (Jabea) de sa tête, de sa personne (Buru), il peut désigner par là une notion d'autonomie à la fois personnelle et collective, pas si éloignée du concept de fierté homosexuelle.
Briser le plafond de verre
Il serait temps que les médias mettent en avant Bizi! comme un des rares mouvements novateurs en France qui réussisse la transversalité quand tout le monde en parle sans y parvenir. En tant que cofondateur d'Act Up-Paris, je ne connais pas une seule association qui ait si bien assimilé son mode de fonctionnement : la transparence de ses comptes-rendus, la rigueur de l'agenda tout en multipliant les actions médiatiques.
Il y a une histoire à raconter sur l'étonnante réappropriation d'un héritage activiste oublié par la communauté LGBT-Sida via ce mouvement altermondialiste provincial qui est gay-friendly de fait, parce qu'il sait d'où vient une partie de ses influences. Bizi! est la preuve que l'on peut poursuivre le mouvement contestataire en France en toute indépendance du pouvoir centralisé, et ceci malgré l'incertitude des échéances politiques à venir. Et tout cela, dans la bonne humeur et l'entraide.
Il est assez amusant de dire aux membres de Bizi!, le dernier soir de ce weekend de travail, qu'ils sont sexys. Hommes et femmes, ça les fait rougir. Et pourtant une partie non dite du succès des actions vient de son sex-appeal. C'est un groupe jeune, physique, intelligent, très visuel mais qui n'a pas encore compris qu'une des clés de son succès viendra de l'exposition de ses membres, de leur parcours et de leur histoire. Contrairement au mouvement Nuit Debout qui a raté sa visibilité et qui s'est perdu dans un anonymat louable mais opposé à la culture actuelle (selfies, Instagram, etc.). Bizi! est le renouveau de l'écologie et je suis heureux de l'avoir vu!