Pour la centième édition du Guide rouge, inventé en 1900 mais non paru pendant les deux guerres et en 1921, les 15 inspecteurs «France» dirigés par l'ancien journaliste lyonnais Jean-François Mesplède s'en sont tenus à un prudent statu quo, crise économique oblige: le Michelin soutient depuis toujours la gastronomie française, et celle de 23 pays dans le monde où un guide est publié, se refusant à aggraver la situation souvent périlleuse de certaines enseignes, même les plus célèbres et triplement étoilées (26 trois étoiles en 2009, chiffre inchangé).
Il n'y qu'un seul chef promu à la 3e étoile, Éric Fréchon du Bristol, un palace très fréquenté par Nicolas Sarkozy pour un plat de luxe, les macaronis farcis à la truffe noire et foie de canard (78 euros) qu'il fait aussi livrer à l'Elysée. De l'Elysée, le Président de la République n'a qu'à traverser le Faubourg Saint-Honoré pour accéder à l'une des deux salles à manger du Bristol, propriété de la richissime allemande, Madame Otker.
Normand d'origine, Éric Fréchon, 44 ans, a été formé au Crillon dans la grande brigade de Christian Constant, lequel a frôlé la 3e étoile dans les années 90. Devenu le second de son chef, Fréchon a été fait Meilleur Ouvrier de France en 1999 et a mis au point pour le Bristol une carte de haute cuisine reposant sur l'emploi de produits nobles (poularde de Bresse, bar de l'Île d'Yeu, sole des sables) et d'ingrédients plus simples comme les oignons, le lard, les maquereaux et le merlan, ce qui lui permet de proposer un menu au déjeuner à 95 euros, à la carte 250 euros sans les vins. C'est le coût habituel des plus grands restaurants de France, selon le Michelin.
Le seconde promotion concerne l'Hôtel Ritz et le restaurant historique L'Espadon au plafond bleuté et drapés majestueux qui accède à la deuxième étoile — le jardin en lisière du Ministère de la Justice permet des repas stylés sous le ciel de Paris. L'Alsacien Michel Roth est le 7e chef du fameux palace depuis Auguste Escoffier, partenaire du Suisse César Ritz dans la construction du Ritz au début du XXe siècle. Dans les cuisines vastes comme celles d'un paquebot, une brigade de 80 cuisiniers, pâtissiers, boulangers envoie toutes sortes de préparations, de la pizza à 50 euros au tourteau au caviar, aux langoustines royales au thé noir et canard laqué au cidre — en fait, le client roi peut commander n'importe quel plat: couscous, méchoui, paella, Michel Roth l'exécute sans broncher. Mais c'est le classicisme culinaire, la suprême qualité des produits, le répertoire d'hier et d'aujourd'hui qui sont récompensés, tout autant que «le service irréprochable» (dixit le Michelin) et les bienfaits de la formation culinaire hors ligne. Le Ritz, c'est un peu l'École Polytechnique de la grande cuisine (menu à 80 euros au déjeuner).
Huit autres restaurants accèdent à la seconde étoile (73 adresses). Il s'agit de L'Atelier de Jean-Luc Rabanel à Arles, adepte du «bio» et bon mitonneur de tapas (menu à 45 euros au déjeuner), du Saint James à Bouliac dans la périphérie de Bordeaux dont le chef Michel Portos, un technicien hors pair, est en progrès constant (menus à 30, 59 et 90 euros), du chef Guy Lassausaie, au cœur du village de Chasselay proche de Lyon, honoré pour la justesse des préparations réalisées sur des bases classiques (menus à 48 et 95 euros), de Mathieu Viannay qui a ressuscité La Mère Brazier, deux fois trois étoiles à Lyon et au Col de la Luère dans les années 40-50, dont le pâté en croûte au foie gras, la volaille de Bresse et le Paris-Brest retrouvent une seconde vie (menus à 31 et 35 euros au déjeuner).
En Corse, le Casadelmar, un hôtel tout de verre et d'acier donnant sur la mer, devient la seconde table à deux étoiles de l'île — après La Villa de Calvi — pour un ensemble de créations goûteuses à base de produits locaux (olives noires) et d'influence italienne. Une vraie découverte du Guide.
Au Trianon de Versailles, le britannique Gordon Ramsay, ancien footballeur, star des casseroles à Londres, a décroché deux étoiles dans un écrin clos de trente places, fermé au déjeuner. Spécialiste de l'imitation culinaire, nourri de leçons apprises chez Robuchon et Savoy, le fantasque Écossais fait envoyer par l'Italien Jean-Marc Zanetti, son second, un corpus de plats soignés et goûteux à 90 euro l'unité — dommage que la superbe vue sur le parc et les moutons de la Reine soit réservée à La Véranda, une brasserie correcte non citée dans le Guide. Et où l'addition ne dépasse pas 70 euros, c'est l'adresse à recommander.
63 chefs sont étoilés pour la première fois, ce qui constitue un tremplin (30% de clients supplémentaires) et un encouragement à progresser vers les sommets. Après tout, c'est la première marche du podium. A Paris, le Jules Verne à la tour Eiffel, piloté par un chef d'Alain Ducasse, retrouve l'étoile, de même qu'au splendide Château Saint-Martin sur les hauteurs de Vence.
Si Frédéric Robert, ancien chef de Lucas Carton et de L'Ambroisie aux côtés de Bernard Pacaud (trois étoiles), reste injustement cantonné à une seule étoile solitaire à La Grande Cascade dans le Bois de Boulogne, Le bistrot chic Etc..., conçu par Christian Le Squer, trois étoiles chez Ledoyen, L'Arôme, tout près de Saint-Philippe-du-Roule et son chef Thomas Boullault, sont étoilés, tout comme La Bigarrade dans le 17e et Fogon, une auberge espagnole dont le chef Alberto Herraiz est le prince de la paella aux langoustines (menu à 46 euros).
A noter, l'étoile accordée à Chez Michèle, le bistrot propret de Bruno Poiré, au cœur du village mosellan de Languimberg (208 habitants), à 21 kilomètres de Sarrebourg, dont les menus au déjeuner sont à 18 et 27 euros, un record dans l'Hexagone pour un admirable moelleux de brochet et un rare café liégeois — la perle du Guide 2009.
Tiré à 380.000 exemplaires, le Michelin est mis en vente le 5 mars au prix de 24 euros. Nous reviendrons sur le système Michelin et l'internationalisation du Guide, une nécessité économique.
Nicolas de Rabaudy