Les informations publiées ces derniers jours sur l'EPR, la nouvelle génération de centrales nucléaires, ou sur la disponibilité du parc nucléaire français, ont remis la question énergétique au centre de l'actualité. C'est une bonne chose, à condition que le débat se fasse sur de bonnes bases, sans outrance, ni démagogie. La France a fait le choix du nucléaire pour sa production électrique. Je le soutiens. Cela nous garantit une certaine indépendance énergétique et un coût de l'électricité moindre que chez beaucoup de nos voisins européens. Sur le plan écologique, ce choix permet de limiter les émissions de gaz à effet de serre, même si le traitement des déchets radioactifs reste un enjeu majeur. Le choix du nucléaire impose aussi des investissements importants et des efforts de recherche et d'innovation en permanence. Je reviendrai dans une prochaine chronique sur ces aspects. Mais je souhaite d'abord inscrire cette réflexion dans une politique d'ensemble, au niveau européen.
Au point de départ de la construction européenne se trouvait l'énergie: la Communauté européenne du Charbon et de l'Acier de 1951 ou l'Euratom de 1957. Depuis, malgré une dépendance énergétique croissante, deux krachs pétroliers, la catastrophe de Tchernobyl, l'énergie est demeurée la grande oubliée de la politique européenne. Sans doute parce que, comme tout sujet qui touche au noyau dur de leur souveraineté, les Etats membres n'ont pas voulu se départir de leurs compétences pour doter l'Union européenne d'une réelle politique commune de l'énergie.
Pourtant cette disette de politique énergétique nuit à l'Union européenne et aux Etats membres. C'est à la fois une cause et une conséquence de sa faiblesse sur la scène internationale. C'est aussi un frein à une limitation de ses émissions de CO².
Il a fallu attendre une énième flambée des prix du pétrole en 2004 pour que l'Europe prenne conscience que l'énergie fait partie intégrante de toute stratégie de défense et qu'elle influe directement sur notre environnement et nos modes de vie. Avec ce nouvel électrochoc, les initiatives européennes ont alors commencé à fleurir sommet de Hampton Court sur l'énergie en 2005, livre vert en 2006... En 2007, la Commission a ensuite décidé de se doter d'objectifs chiffrés à l'horizon 2020: réduire de 20% la consommation énergétique et les émissions de gaz à effet de serre; accroître de 20% la part des énergies renouvelables; porter à 10% la part des biocarburants dans la consommation d'essence.
Pour atteindre ces objectifs, il faut mettre en place une politique énergétique européenne concrète et ambitieuse à l'approche du sommet de Copenhague sur l'environnement. Avec GénérationFrance.Fr je propose que cette politique repose sur trois priorités.
La sécurisation des approvisionnements énergétiques de l'Union. Aujourd'hui chaque État membre ou chaque opérateur privé négocie de son côté face aux géants de l'énergie comme le russe Gazprom. Résultat: ils sont trop faibles pour avoir un vrai pouvoir de négociation et se font imposer des conditions léonines. C'est contre-productif et illogique car la dépendance est en fait réciproque. L'Europe dépend bien sûr du gaz russe (50% de son gaz importé) mais le gaz russe dépend aussi du débouché européen (les achats de gaz de l'Europe représentent 70% des recettes de Gazprom). Il faut donc inverser ce rapport de force en coordonnant ou centralisant les actions des Etats membres.
La lutte contre le réchauffement climatique alors que 33% des émissions de gaz à effet de serre (GES) dans l'Union sont causées par la production d'énergie. En interne, il faut mettre un terme aux initiatives isolées qui dégradent le bilan carbone de l'ensemble de l'Europe. A cet égard, il est sans doute temps pour beaucoup de nos partenaires européens de réévaluer leur position à l'égard du nucléaire. La France qui a misé sur le nucléaire a un taux d'émission de GES par habitant beaucoup plus faible que certains pays européens, comme le Danemark ou l'Allemagne, qui ont pourtant massivement parié sur les énergies renouvelables. Sur la scène internationale, l'Union doit défendre la planète et faire en sorte que les normes environnementales imposées aux produits européens s'appliquent également aux produits importés. C'est tout l'intérêt d'une taxe carbone appliquée aux frontières de l'Europe.
La compétitivité des entreprises européennes. En sécurisant les approvisionnements énergétiques à des prix raisonnables, l'Union enrayera l'érosion de compétitivité de ses entreprises causée par la variation brutale des prix des matières premières.
Pour répondre à ces priorités, je propose trois mesures phares.
Mettre en place une Autorité européenne de l'Energie qui aura la charge d'élaborer une ligne directrice et de coordonner les actions des Etats membres en matière énergétique. Cette instance serait aussi le lieu de concertation de l'ensemble des acteurs du secteur, Etats membres, régulateurs nationaux, opérateurs publics et privés, clients, ONG...
Favoriser la formation de groupes pionniers d'Etats membres désireux d'unir leurs forces pour engager des actions communes dans la recherche et le développement, les investissements dans les capacités de production, la définition d'une stratégie diplomatique dans les négociations internationales. Ces Etats pionniers pourraient travailler à la constitution de champions énergétiques européens. L'heure est en effet à la concentration accélérée des opérateurs énergétiques dans le monde. L'Europe ne peut rester à l'écart de ce mouvement sans accentuer sa dépendance énergétique. L'Europe doit donc assouplir sa politique anti-concurrence pour favoriser l'émergence de conglomérats européens qui pèsent face aux géants mondiaux de l'énergie.
Créer une centrale européenne d'achat du gaz en charge de signer des contrats d'achat de long terme avec l'ensemble des fournisseurs de l'Union pour le compte d'opérateurs européens de distribution. Cette centrale serait, comme en son temps la CECA pour l'acier, un opérateur européen unique acheteur de gaz qui pèserait enfin d'un poids plus lourd dans les négociations face aux fournisseurs.
Plus de 50 ans après le lancement de la construction européenne sur un socle énergétique oublié depuis, le prochain sommet de Copenhague est l'occasion de prouver enfin qu'en Europe si nous n'avons pas de pétrole, nous avons des idées!
Jean-François Copé
SI VOUS AVEZ AIMÉ CET ARTICLE, VOUS APPRÉCIEREZ PEUT-ÊTRE: «Copenhague ne doit pas être le sommet de la honte» ; «Copenhague sera un échec» par Claude Allègre
Image de Une: Un cycliste deva,t une centrale nucléaire à Pékin, REUTERS/David Gray